L'Histoire portée à l'écran

Versailles : saison 1

Série historique et fictionnelle, créée par Simon Mirren et David Wolstencroft, diffusée en 2015 sur Canal +

La série Versailles débute en 1667. Louis XIV, alors âgé de 28 ans, décide de s’établir à Versailles, dans le petit pavillon de chasse de son père, qui sera le reflet de sa magnificence. Le roi se lance dans la construction du plus somptueux des châteaux, un projet titanesque et très coûteux qui mécontente ses ministres et le peuple.  Afin de soumettre la noblesse, qui s’est révoltée contre le pouvoir royal durant la Fronde,  le monarque absolu exige que celle-ci le suive à Versailles. Pour conserver leurs privilèges, les courtisans doivent respecter l’Étiquette et prouver l’ancienneté de leur noblesse. C’est dans cette ambiance tendue qu’un complot se forme pour renverser Louis XIV, dans lequel des proches du roi sont impliqués…

Force est de constater que, si la série s’appuie sur les éléments véridiques, les scénaristes jouent sur la chronologie. Ainsi, la première saison de Versailles se déroule entre 1667 et 1670, mais met en scène des événements antérieurs ou futurs. La série exploite également certains mythes, dont la véracité n’est pas fondée, afin de « pimenter » l’histoire. Ainsi, les erreurs suivantes doivent être relevées : 

–  Dans la série, il est de connotation publique que Louis XIV est l’amant d’Henriette d’Angleterre, duchesse d’Orléans et épouse de son frère. En réalité, il n’existe aucune preuve que le roi ait eu une liaison charnelle avec sa belle-sœur. Cousins, ses derniers s’entendent très bien et partagent le même goût pour la danse, les fêtes et divertissements de la cour. De plus, Monsieur, le frère du roi, délaisse volontiers son épouse pour ses mignons. Si Louis XIV et Henriette d’Angleterre ont eu un penchant l’un pour l’autre, il est vraisemblable que leur amour fut exclusivement platonique. En effet, par son mariage avec Philippe d’Orléans, Henriette est devenue la « sœur » par alliance de Louis XIV. Dès lors, en ayant une liaison charnelle, le roi et la duchesse d’Orléans se seraient rendus coupables d’adultère mais également d’inceste, ce que l’Église n’aurait pu tolérer.

– A l’écran, la reine Marie-Thérèse accouche d’une petite fille à la peau noire. Il apparaît clairement que le roi n’est pas le père de l’enfant, et que celui-ci est le fruit d’une liaison de la reine avec son nain, Nabo, ou avec un prince étranger. Pour éviter un scandale, le bébé passe pour mort-né à la cour, mais est secrètement confié à un couvent. En réalité, cet épisode intervient en novembre 1664 : la reine donne naissance, avant terme, à une fillette non pas noire mais à la peau violacée, en raison de l’accouchement difficile et d’un manque d’air. La petite princesse décède le mois suivant. La légende naît dans les années 1690, lorsqu’une religieuse à la peau noire, Louise-Marie-Thérèse, affirme être la sœur du dauphin de France.

– Dans la série, Louis XIV est victime d’une maladie, qui le fait délirer, et tout son entourage le croit perdu. Si le roi a bien failli succomber à une fièvre, cet épisode s’est déroulé en 1658, à une époque où Louis XIV n’est pas encore marié, n’est pas père d’un dauphin et n’a donc que son frère pour héritier.

Georges Blagden (Louis XIV)

– En 1667, la faveur de Louise de la Vallière, maîtresse du roi, décline. A l’écran, la jeune femme implore Louis XIV de la laisser se retirer dans un couvent, pour expier ses fautes. Avant la fin de série, le souverain accepte que son ancienne favorite quitte Versailles et prenne le voile. En réalité, c’est à la suite d’une fausse-couche, survenue en 1670, que Louise de la Vallière émet le souhait de se retirer au Carmel. Il lui faudra attendre 1674 pour pouvoir quitter la cour, après que Louis XIV ait trouvé le moyen de légitimer les enfants que lui a donnés sa nouvelle favorite, Mme de Montespan.

– Dans la série, le frère du roi montre sa bravoure sur le champs de bataille, ce qui fait de l’ombre à Louis XIV. Philippe d’Orléans est ensuite mis à l’écart du pouvoir, et n’a plus qu’un rôle de figuration à la cour de Versailles. Dans la réalité, Monsieur a bien participé à la guerre de Hollande (1672-1678), contre Guillaume d’Orange, et a remporté des victoires, ce dont Louis XIV s’est montré jaloux. Dès lors, plus aucun commandement militaire ne sera confié à Philippe d’Orléans. Cependant, ces faits se sont déroulés en 1677. Dès lors, il est impossible de sa première épouse, Henriette d’Angleterre, soit allée le rejoindre sur le front, comme le montre la série.

– A l’écran, Louis XIV demande à son frère de mettre en place l’Étiquette, qui va régir la vie du monarque et de sa cour, à toutes heures de la journée. En réalité, c’est le roi qui a décidé de son emploi de temps et de l’organisation de la vie de sa cour. A ce sujet, le souverain écrira dans ses Mémoires : « Les peuples sur qui nous régnons, ne pouvant pénétrer le fond des choses, règlent d’ordinaire leur jugement sur ce qu’ils voient au dehors, et c’est le plus souvent sur les préséances et les rangs qu’ils mesurent leur respect et leur obéissance ». 

–  Dans la série, le chevalier de Lorraine, amant et favori du duc d’Orléans, est compromis dans un complot visant à éliminer Louis XIV. Le chevalier se retrouve enfermé dans un cachot et risque la peine capitale pour son crime. En réalité, aucune preuve ne vient appuyer la thèse selon laquelle le chevalier de Lorraine ait un jour comploté contre le roi. A l’écran, son implication – contre son gré – dans un complot contre l’autorité souveraine n’est là que pour pimenter l’intrigue.

Maddison Jaizani (Sophie de Clermont), Amira Casar (Béatrice de Lorraine) et Evan Williams (le chevalier de Lorraine)

– La principale intrigue de cette première saison tourne autour d’un complot contre Louis XIV, dans lequel trempe l’un des plus proches amis du roi :  le chevalier de Rohan. Conspirant avec les Pays-Bas espagnols, il est finalement arrêté et exécuté. La trahison du chevalier de Rohan, ami d’enfance du roi,  est véridique celui-ci ayant pris part au complot de Latréaumont, déjoué en 1674. C’est l’un des seuls complots connus contre l’État, sous le règne du Roi-Soleil. Les conjurés seront exécutes et le chevalier de Rohan décapité, le 27 novembre 1674.

– A la fin de la série, le dauphin est enlevé par les hommes de main du chevalier de Rohan. Si le but du complot de Latréaumont était bien de renverser Louis XIV  -voire de l’assassiner – et d’enlever le dauphin de France, les conjurés n’eurent pas de temps de mettre leur plan à exécution : le fils du roi ne fut donc jamais victime d’un enlèvement.

– La série met en scène le meurtre d’un courtisan ayant comploté contre l’Etat, Montcourt (personnage fictif), par Louis XIV lui-même. Cette scène ne peut, en aucun cas, être le reflet de la réalité : le roi n’est pas au dessus des lois et ne peut se permettre de faire assassiner (ou d’assassiner lui-même) des personnes ayant mal agi. Même les traîtres doivent être jugés : c’est pourquoi, par exemple, les conjurés du  complot de Latréaumont ne furent pas sommairement exécutés, mais arrêtés, jugés et condamnés. On a également l’exemple de Nicolas Fouquet, ancien ministre des Finances qui a déplu au roi : lors du procès, Louis XIV espérait que les juges prononcent la peine de mort, pour crime de lèse-majesté. Or, Fouquet fut condamné à la confiscation de ses biens et au bannissement. Mécontent du verdict, le roi ne put que commuer la peine en détention à vie. Ce fait démontre que le monarque n’ a pas droit de vie et de mort sur ses sujets. 

– La série est endeuillée par la mort d’Henriette d’Angleterre, victime d’un empoisonnement, œuvre des hommes de main du chevalier de Rohan. On voit ainsi la duchesse d’Orléans à l’agonie, crachant du sang (conséquence du poison) durant plusieurs jours, dans le propre lit de Louis XIV, au château de Versailles, entourée du roi et de son époux. En réalité, Henriette d’Angleterre décède quelques heures après avoir bu un verre de chicorée, quoiqu’elle se plaignait d’une douleur de côté depuis plusieurs jours. La duchesse d’Orléans se trouve alors dans la demeure de son époux, au château de Saint-Cloud, lequel ne semble pas être touché par l’état de sa femme.  Si Henriette elle-même croit être empoisonnée, à cause de la soudainement de ses maux et des fortes douleurs qu’elle endure, la thèse du poison n’a jamais été confirmée, même par l’autopsie. Il semblerait que la belle-sœur de Louis XIV ait succombé à une péritonite. Si le scénario s’est emparé de la thèse de l’empoisonnement, c’est que certains contemporains de la duchesse seront toujours persuadés qu’Henriette a été assassinée. Le coupable aurait été le chevalier de Lorraine, amant du duc d’Orléans, dont la princesse avait obtenu qu’il soit exilé. 

Alexander Valhos (Philippe d’Orléans, frère du roi) et Noémie Schmidt (Henriette d’Angleterre)

D’autre part, des personnages fictifs ont été intégrés au scénario, mais certains prennent beaucoup de place, au détriment de personnages réels, à l’exemple de Fabien Marchal. Celui-ci occupe le poste de chef de la police du roi, et fait partie des personnages principaux de la série. A l’inverse, les ministres de Louis XIV, tels que Colbert ou Louvois, sont relégués au second plan. De même, la présence du personnage fictif de Fabien Marchal empêche de mettre en scène Gabriel-Nicolas de La Reynie, premier lieutenant de la police de Louis XIV. 

Malgré le fait que les scénaristes jouent avec la chronologie pour qu’il n’y ait aucun temps mort dans la série, on peut noter que celle-ci met en lumière le traumatisme véridique dont souffre Louis XIV depuis son enfance : choqué par les agissements de certains membres de la noblesse, lors de la régence d’Anne d’Autriche et de Mazarin, le roi restera marqué toute sa vie par la révolte des princes frondeurs. Suite à ces événements, Louis XIV n’aura de cesse de vouloir domestiquer la noblesse. En lui imposant l’ Étiquette du cérémonial, et de venir s’installer à Versailles, le roi s’assure de son emprise sur ses membres. 

Georges Blagden (Louis XIV) et Alexia Giordano (« nymphe » apparaissant dans le rêve du roi)

La série revient également sur les relations complexes entre Louis XIV et son frère cadet, Philippe, duc d’Orléans, dit « Monsieur ». Marquée par les trahisons de Gaston d’Orléans contre son frère aîné Louis XIII, Anne d’Autriche fait élever son fils cadet dans la soumission. Dans son plus jeune âge, Philippe est élevé « en fille », afin de développer chez lui un côté efféminé, qui le tiendra éloigné du pouvoir royal. De ce fait, même s’il les accepte difficilement, Louis XIV tolère les favoris de son frère, dont le chevalier de Lorraine. Le roi aime son frère mais ne supportera jamais qu’il lui fasse de l’ombre : ainsi, lorsque Philippe d’Orléans est acclamé par le peuple, suite à ses victoires lors de la guerre de Hollande, le roi décide de ne plus confier de commandement militaire à son frère, ce que met la série en évidence. De même, Louis XIV n’a jamais toléré que son frère cadet aille à l’encontre de ses décisions. Ainsi, lorsqu’il est décidé que la duchesse d’Orléans irait en Angleterre négocier le traité de Douvres, Monsieur s’y oppose farouchement, jaloux que son épouse soit impliquée dans les affaires d’État. En dépit de la colère de son frère, le roi ne cède pas. Cet événement est également abordé dans la série. Pour Philippe d’Orléans, il sera toujours difficile de savoir où se trouve la limite entre son frère aîné et son statut de souverain absolu. 

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