Enigmes de l'Histoire

Qui était le chevalier d’Eon ?

Le 5 octobre 1728, Françoise de Charanton donne un troisième enfant à son époux, Louis d’Éon de Beaumont, directeur des domaines du roi. L’enfant est baptisé le 7 octobre et reçoit les prénoms de Charles-Geneviève-Louise-Auguste-Andrée-Timothée. Chose étrange pour un garçon d’avoir trois prénoms masculins et trois féminins ! Car pour tout le monde, il s’agit bien d’un fils.  Ses deux premiers prénoms font référence à ses parrain et marraine, Charles Régnard – avocat au Parlement – et Geneviève d’Eon, sa tante. Le jeune Charles-Geneviève commence ses études en 1743 à Tonnerre, dans sa Bourgogne natale, avant d’intégrer le collège Mazarin à Paris. Diplômé de droit en 1749, Charles-Geneviève devient avocat au Parlement de Paris. Remarqué par Louis XV après ses écrits « Considérations Historiques et Politiques », il est nommé censeur royal pour l’Histoire et les Belles Lettres. Parallèlement, le jeune d’Eon de Beaumont apprend l’escrime et devient un bon cavalier. En 1755, le prince de Conti Louis-François de Bourbon, cousin du roi, charge le chevalier d’Eon d’une mission secrète auprès de la Tsarine de Russie, Elisabeth Ire : la France souhaite seller une alliance avec la Russie et Charles-Geneviève a pour rôle de séduire et de gagner la confiance de la Tsarine. Afin qu’Elisabeth Ire se sente plus proche de son espion, le prince de Conti décide de travestir le chevalier d’Eon, qui devient Mlle Lya de Beaumont. Gagnant la confiance la Tsarine, Mlle de Beaumont devient l’une de ses intimes et sa lectrice.

Gravure de Charles-Geneviève d’Eon de Beaumont, par Augustin de Saint-Aubin (XVIIIe siècle)
Gravure de Charles-Geneviève d’Eon de Beaumont, par Augustin de Saint-Aubin (XVIIIe siècle)

C’est à son retour en France que les gens commencent à se poser des questions sur le chevalier : Charles-Geneviève a trop bien joué son rôle de femme pour n’être qu’un travesti. De plus, on ne connaît au jeune Beaumont aucune amourette ni fiancée, alors qu’il a la réputation d’être un fort bel homme. Il s’appelle Charles, certes, mais également Geneviève ! De 1758 à 1760, le chevalier est de nouveau en Russie où il passe pour une femme. Il parcourt l’Europe pour mener à bien des missions confiées par Louis XV mais il est tantôt habillé en homme, tantôt en femme. A son retour à Paris en 1760, Charles-Geneviève devient capitaine des Dragons et reçoit la croix du Saint-Esprit. Durant deux ans, il s’illustre au combat et les rumeurs sur sa féminité cessent : une femme ne peut se battre de la sorte et recevoir des commandements de la part du roi.

En 1762, le chevalier d’Eon quitte l’armée pour reprendre son rôle d’agent secret en Angleterre, à Londres, où il travaille pour la politique de Louis XV. Selon les intrigues qu’il doit mener, le chevalier d’Eon se présente en homme ou en femme. Les anglais, perplexes face à cet étrange chevalier d’Eon, se mettent à parier sur son sexe si bien qu’en 1771, le montant parié atteint 300.000 livres sterling. En 1774, Louis XV exige de Charles-Geneviève qu’il mette  un terme aux rumeurs et de déclarer s’il est de sexe masculin ou féminin. Le chevalier signe alors une proclamation dans laquelle il annonce être une femme. Cette constatation est établie et approuvée par plusieurs médecins. Dés lors, le roi ordonne à Charles-Geneviève de conserver ses vêtements féminins et de ne plus apparaître travesti en homme. Le chevalier d’Eon devient donc officiellement Mlle d’Eon de Beaumont. Il aura fallu des négociations de quatorze mois pour faire admettre au chevalier son véritable sexe, moyennant une rente. Etant une femme, Charles-Geneviève n’a plus accès à l’armée, aux affaires politiques et à la diplomatie.

Le chevalier d’Eon, en capitaine des dragons du roi, et habillé en femme (gravure de Jean-Baptiste Bradel, 1779)
Le chevalier d’Eon en capitaine des dragons du roi, et habillé en femme (gravure de Jean-Baptiste Bradel, 1779)

Devenant inactive, la jeune femme demande bientôt au roi la permission de pouvoir à nouveau porter des vêtements d’homme. Louis XV n’a pas envie que Mlle d’Eon de Beaumont soit de nouveau l’objet  de rumeurs concernant son sexe et refuse. Après la mort du monarque Mlle d’Eon de Beaumont renouvelle sa requête auprès de Louis XVI. C’est ainsi qu’en 1777, vêtue de son uniforme de capitaine des dragons, Charles-Geneviève supplie le roi de lui permettre d’user de nouveau de sa personnalité masculine. Mais Louis XVI, soutenu par son ministre Maurepas, campe sur les positions de son prédécesseur. Après un exil en Tonnerre, Charles-Geneviève repart pour Londres en 1785 où elle mène une vie de lady, avant de perdre sa rente octroyée par le roi de France. Même après la Révolution Française et la mort de Louis XVI, la vieille Mlle d’Eon de Beaumont ne reprendra pas l’habit d’homme, sans doute résignée à être ce qu’elle a toujours été : une femme. En effet, avant la naissance de Charles-Geneviève, ses parents ont eu une fille (Marguerite, née en 1724) puis un garçon (Théodore, né en 1727), qui décède peu après sa naissance. Pour combler la perte de ce fils, Louis d’Eon de Beaumont, a-t-il présenté son troisième enfant comme étant de sexe masculin alors qu’il s’agissait en réalité d’une fille ? Cette hypothèse est retenue et on imagine que Mlle d’Eon, qui avait été habituée et élevée en tant qu’homme, a voulu revenir à cette personnalité après 1774.

Gravure anglaise représentant le chevalier d'Eon et sa double personnalité
Gravure anglaise représentant le chevalier d’Eon et sa double personnalité

Le 21 mai 1810, l’ex chevalier d’Eon s’éteint à Londres, à l’âge avancé de 81 ans. Oubliée de tous, Charles-Geneviève était morte dans la misère. Lors de la toilette funéraire, les médecins, et une quinzaine de personnes, s’aperçoivent que la vieille dame était en réalité…un homme.  Retournement incroyable de situation ! En 1774, le chevalier d’Eon avait pourtant affirmé être une femme et plusieurs médecins avaient confirmé ses dires. Pourquoi donc Charles-Geneviève a-t-il accepté d’être une femme durant près de quarante années ? Louis XV et Louis XVI étaient-ils au courant que « Mlle d’Eon » était, en réalité, de sexe masculin ? Dans ce cas, pourquoi ont-ils refusé qu’elle redevienne ensuite  un homme ? Après la mort de Louis XVI, pourquoi donc le chevalier d’Eon n’a-t-il pas repris sa véritable identité ? Le 23 mai, l’un des membres de la faculté d’Angleterre déclare après l’autopsie : « Par la présente, je certifie que j’ai examiné et disséqué le corps du chevalier d’Éon et que j’ai trouvé sur ce corps les organes mâles de la génération parfaitement formés sous tous les rapports ». Mais qui sait. Et si ces quelques personnes présentes autour de la dépouille de Charles-Geneviève s’étaient mises d’accord pour affirmer qu’il était un homme alors qu’il s’agissait en réalité une femme ? Le mystère demeure.

Bibliographie : 

Le Chevalier d’Eon, par Michel de Decker
Le Chevalier d’Eon, « une vie sans queue ni tête », par Evelyne et Maurice Lever

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