La mort de Gabrielle d’Estrées : la main de Dieu ou celle de l’homme ?
Nous sommes en 1599. Le roi Henri IV, fou de sa maîtresse Gabrielle d’Estrées, duchesse de Beaufort, a décidé de l’épouser contre l’avis des français et même du pape. Marié à Marguerite de Valois depuis 1572, le roi apprend que son épouse consent enfin à divorcer, en février 1599. Plus rien ne s’oppose à son union avec Gabrielle. Pourtant, celle-ci ne sera jamais reine de France, mourant quelques heures avant son mariage, le 10 avril, loin de son royal amant. Tout de suite, une rumeur circule et prend de l’ampleur : la duchesse de Beaufort est morte assassinée, victime d’un empoisonnement. Dieu a-t-elle frappé seul Gabrielle ou l’a-t-on aidé ? Qui avait intérêt à voir disparaître la duchesse ? A la vérité, beaucoup de monde ! Les français détestent Gabrielle d’Estrées qu’ils jugent capricieuse, hautaine et de mauvaise influence sur le roi mais qui, en plus, se permet de le tromper. Depuis que Henri IV l’a faite duchesse de Beaufort en 1597, le peuple ne l’appelle plus que la « duchesse d’ordure ». Pourtant, le roi reste très épris de sa maîtresse, qui lui a déjà donné trois enfants, et qui est à nouveau enceinte. En l’épousant, Henri IV donnerait un dauphin à la France, le petit duc de Vendôme, César, né en 1594. Mais pour épouser la belle, il lui faut d’abord divorcer. Or, Marguerite de Valois n’accepte, durant longtemps, de se séparer de sa couronne uniquement si Henri épouse une femme de haute naissance et en aucun cas sa « putain ». Si Marguerite finit par céder, le pape Clément VIII n’accepte le divorce que si le roi épouse une autre femme, de noble naissance. C’est pourquoi, dans les même temps qu’il prépare son mariage avec Gabrielle, le roi mène des négociations avec la famille florentine de Médicis, le grand-duc de Toscane ayant une nièce à marier !
La situation inquiète la duchesse de Beaufort, qui ne comprend pas pourquoi son amant joue ce double jeu. D’un côté, Henri promet d’épouser Marie de Médicis, de l’autre, il fixe son union avec Gabrielle pour la Saint-Quasimodo. Le 23 février, il offre à sa maîtresse l’anneau du couronnement. Mais Gabrielle prend peur. Afin d’assurer son avenir, elle va jusqu’à dire au roi qu’il ne pourra plus avoir d’enfant, après que celui-ci se soit remis d’une maladie. Etre impuissant ? Cela voudrait dire que son union avec Marie de Médicis ne donnerait pas de dauphin à la France, alors que Gabrielle lui a déjà donné de potentiels héritiers. La duchesse de Beaufort va plus loin en consultant des devins : tous les présages sont néfastes. Selon l’un d’entre eux, Gabrielle « toucherait du bout du doigt à son dessein mais un petit enfant la garderait d’y parvenir » (Gabrielle est justement enceinte) ; pour un autre, la duchesse ne devait se marier qu’une seule fois ( et elle a déjà contracté une première union avec le seigneur de Liancourt) ; enfin, on lui prédit qu’elle mourra jeune (elle a 28 ans). Dans Paris, d’autres annoncent au peuple que la duchesse « ne verra point le jour de Pâques » (le 11 avril). En recevant toutes ces prédictions, Gabrielle d’Estrées est prise de crises de panique. Si Henri la réconforte, lui ne s’en inquiète pas et trouve même absurde que sa maîtresse écoute ces racontars.
Il est prévu que le couple se sépare le 6 avril, Henri IV voulant faire bonne impression en renonçant à sa maîtresse lors de la semaine Sainte. Le roi part pour Fontainebleau, Gabrielle reste sur Paris. Sa piété publique n’émeut personne dans la capitale. Le 7 avril, Gabrielle va trouver du réconfort chez le banquier italien, Sébastien Zamet, intime d’Henri IV, qui a souvent reçu le roi et sa favorite. Le 8 avril, après avoir mangé un citron, Gabrielle ressent des brûlures à l’estomac puis les premières douleurs de l’enfantement. C’est dans d’atroces souffrances qu’elle meurt le 10 avril après l’accouchement d’un fils mort-né. Détail curieux : le roi est prévenu de la mort de Gabrielle seize heures avant qu’elle ne trépasse ! Avec la duchesse de Beaufort disparaît la menace d’une crise à l’intérieur du royaume qui aurait pu devenir une crise européenne pour le seul amour d’un roi envers sa maîtresse.
Ce citron que Gabrielle a mangé était-il empoisonné ? Depuis longtemps les conseillers et ministres du roi voulaient se débarrasser de la jeune femme, qui représentait une menace pour l’équilibre de la France. Zamet fut-il l’assassin de Gabrielle, obéissant à quelques ordres ? La disparition de Gabrielle ne permit-elle pas à Henri IV d’épouser, sans regrets, Marie de Médicis ? Certains vont jusqu’à penser que, si la mort de Gabrielle arrange bien les affaires du roi, ce dernier est peut-être impliqué dans son trépas : Henri IV a mené des négociations avec l’Italie tout en promettant de l’épouser, n’a pas réagi pas aux crises d’angoisses de sa favorite, a ordonné une séparation avant le mariage et enfin n’a pas accouru auprès d’elle lorsqu’il apprit, le 8 avril, qu’elle était au plus mal. Au final, la mort de Gabrielle d’Estrées arrange beaucoup de monde. Mais si, pour certains, elle fut empoisonnée, sa mort peut être également naturelle : la duchesse aurait été victime d’éclampsie, maladie survenant dans les derniers mois de grossesse, qui était, à l’époque, fatale à l’enfant comme à la mère. Mais quand la mort frappe une personne si importante, et dans des conditions si mystérieuses, l’hypothèse du poison prime toujours sur toutes les autres…
Bibliographie :
– Favorites et dames de cœur : quand l’amour triomphe de la raison d’Etat, par Pascal Arnoux
– Henri IV, le passionné, par André Castelot
– Gabrielle d’Estrées, le grand amour d’Henri IV, par Michel de Decker