Enigmes de l'Histoire

Henriette d’Angleterre fut-elle empoisonnée ?

Le 29 juin 1670, la duchesse d’Orléans, Henriette-Anne d’Angleterre, est radieuse malgré une petite douleur sur un côté, qui dure depuis quelques jours : elle vient tout juste de rentrer d’Angleterre où elle a mené à bien des négociations entre son pays natal et la France. Après avoir bu une tasse de chicoré, Henriette est prise d’atroces douleurs qui ne feront que s’amplifier dans la soirée. D’après la duchesse, le mal dont elle souffre est pire que les douleurs provoquées par l’enfantement. Monsieur, son époux, ne paraît pas s’alarmer devant l’état de sa femme. Quand soudain, Henriette s’écrie qu’on l’a empoisonnée. Philippe d’Orléans demande alors que l’on fasse boire à un chien  la même chicorée que son épouse a prise. Mme Desbordes, première femme de chambre de Madame la duchesse, annonce que c’est elle qui a préparé le breuvage et que, par conséquent, c’est à elle de prouver qu’il n’y a aucun poison dedans. Après s’être versée un peu de la chicorée dans un verre et l’avoir bu, Mme Desbordes se porte toujours aussi bien. A l’inverse, la duchesse est au plus mal et demande plusieurs fois du contrepoison.

Les médecins, qui se pressent au chevet de Madame, tentent de la rassurer et annoncent au duc d’Orléans que son épouse n’est pas en danger. Ils préconisent seulement une saignée. Toujours souffrante, Henriette aurait même déclaré qu’elle se tuerait sur l’heure pour en finir avec tant de douleurs si elle n’était pas chrétienne. Le contrepoison que l’on donne à Madame la fait vomir, mais le mal persiste. A onze heures du soir, Louis XIV arrive au chevet de sa belle-sœur. Depuis quelques heures, Henriette n’a plus d’espoir et sent qu’elle est perdue. Elle se permet alors d’annoncer au roi  « Sire, la première nouvelle que vous aurez demain sera celle de ma mort ». Devant Philippe, la duchesse d’Orléans a ces mots : « Hélas Monsieur, vous ne m’aimez plus et il y a longtemps ; mais cela est injuste car jamais je ne vous ai trahi ». Henriette d’Angleterre meurt vers deux heures et demi du matin, le 30 juin 1670, neuf heures après avoir commencé à se sentir mal.

Henriette d'Angleterre et sa chienne Mimi, par Pierre Mignard (XVIIe siècle)
Henriette d’Angleterre et sa chienne Mimi, par Pierre Mignard (XVIIe siècle)

Dés qu’Henriette a cessé de respirer, les premières rumeurs d’empoisonnement se répandent. L’ambassadeur d’Angleterre, qui avait pu parler avec Madame en anglais peu de temps avant qu’elle n’expire, est certain qu’elle a été empoisonnée. Son frère, le roi Charles II, en restera convaincu toute sa vie. Mais comment expliquer l’empoisonnement ? Il a été démontré que la chicorée était saine. Seulement, personne n’a pensé à la tasse dans laquelle Madame a bu et qui a mystérieusement disparu. Lorsque Louis XIV apprend la mort de sa belle-sœur, il fait ordonner une autopsie du corps qui conclut à une mort naturelle. Cependant, il semble que le roi ait reçu une information, indiquant qu’Henriette a été assassinée : en effet, le 29 juin, le marquis d’Effiat  (l’un des favoris de Monsieur) a été surpris par un valet de chambre, dans la pièce où se trouve le buffet à vaisselles, en train de toucher la tasse de la duchesse d’Orléans. L’intrus aurait alors prétexté qu’il avait soif et qu’il essuyait la tasse de Madame, venant tout juste de se rendre compte qu’il avait bu dedans  par mégarde (personne n’est autorisé à se servir des biens personnels des membres de la famille royale). Cette scène a été rapportée par la seconde épouse de Monsieur qui la tenait du valet en personne.

Suite à cette révélation, Louis XIV aurait convoqué le maître d’hôtel de Madame,  M. Purnon. Ce dernier aurait fait des aveux stupéfiants : le marquis d’Effiat – surpris dans les appartements de Madame avant le drame – aurait frotté la tasse de la duchesse avec du poison afin qu’elle trépasse. Etaient au courant le comte de Beuvron et le chevalier de Lorraine – alors en exil en Italie – qui aurait fait apporter ce poison en France par l’intermédiaire d’un provençal nommé Morel. Les deux premiers hommes sont des amis de Monsieur, frère du roi ; le troisième, son favori. Ce dernier avait justement dû prendre le chemin de l’exil à cause d’Henriette, qui s’était plainte à Louis XIV du mignon de son époux. Malgré les supplications de Monsieur, le roi avait tenu le chevalier de Lorraine à l’écart. Le favori vexé et ses complices auraient alors voulu se débarrasser de la duchesse d’Orléans. Par la même occasion, le chevalier espérait pouvoir revenir à la cour. D’ après Purnon – et au grand soulagement de Louis XIV – Monsieur ignorait tout du complot. Cette conversation entre le roi et le maître d’hôtel nous est rapportée par le duc de Saint-Simon. Eut-elle vraiment lieu ? En tout cas, le chevalier de Lorraine obtient bientôt le droit de revenir à la cour, suite à l’insistance du duc d’Orléans. La peur qu’avait le roi de voir son frère impliqué dans cette sombre affaire n’était pas sans fondements : cela faisait des années que Monsieur rendait la vie impossible à son épouse, et plus encore depuis son voyage en Angleterre. Il était vexé d’être mis à l’écart de la politique, à l’inverse d’Henriette. La reine Marie-Thérèse rapportera que Madame lui avait demandé sa protection, tant elle avait peur de son mari…

Portrait posthume de Madame, par Samuel Cooper (commandé par son frère Charles II d'Angleterre)
Portrait posthume de Madame, par Samuel Cooper (commandé par son frère Charles II d’Angleterre)

Devant la mort si soudaine de sa belle-sœur, le roi n’a d’autre choix que d’ordonner une autopsie, afin de faire taire des rumeurs d’empoisonnement. Les médecins concluent à une mort naturelle : d’après leur rapport, Henriette d’Angleterre a succombé à une péritonite ou à une occlusion intestinale. On s’abstient toutefois, dans les communiqués officiels, de mentionner que le foie est « tout brûlé, tombant en miette » : le poison agissant sur cet organe, cette note n’aurait pas manqué de semer le doute. De là vient la rumeur selon laquelle Louis XIV aurait ordonné aux médecins de s’arranger pour ne trouver aucune trace de poison. En effet, s’il était dit que la sœur du roi d’Angleterre avait été empoisonnée par les mignons de Monsieur, cela aurait eu de graves conséquences dans les relations entre la France et l’Angleterre.  Lorsqu’en 1671, Philippe d’Orléans se remarie avec la princesse Palatine, celle-ci semble être au courant de la mort très suspecte de sa première épouse et prend peur d’être, elle aussi, empoisonnée. La Seconde Madame demeurera persuadée qu’Henriette d’Angleterre était morte par empoisonnement. La fille aînée de Monsieur et de la défunte, Marie-Louise d’Orléans, aura toujours des doutes sur les causes du décès de sa mère : lorsqu’en 1679, elle s’apprête à partir pour l’Espagne épouser le roi Charles II de Habsbourg, elle apprend que c’est le chevalier de Lorraine qui la conduit vers son pays d’adoption. La jeune princesse se montre alors indignée de devoir se faire escorter par « celui qui avait tué sa mère ».

Bibliographie :

– Le lit, le pouvoir et la mort : reines et princesses de la Renaissance aux Lumières, par Bartolomé Bennassar
– Les reines de France au temps des Bourbon : les Femmes du Roi-Soleil,
par Simone Bertière
– Henriette d’Angleterre, duchesse d’Orléans, par Jacqueline Duchêne
Louis XIV et son siècle,  par Alexandre Dumas
– Monsieur, frère de Louis XIV, par Philippe Erlanger

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