Un Tableau, une Histoire

Elisabeth Ire : reine mythique de l’Angleterre

Le Portrait de l'Armada, par George Gower (1588)
Le « Portrait de l’Armada », par George Gower (1588)

Toute œuvre d’art constitue un appareil de propagande royale dans la période dite « Élisabéthaine ». Nous avons ici un portrait de la reine Elisabeth Ire (1533-1603), fille d’Henry VIII, qui règne sur l’Angleterre à partir de 1558. Le peintre, George Gower (vers 1540-1596), n’est pas de noble naissance, mais est apprécié par la reine pour ses qualités artistiques. En 1581, il est fait « Sergent Painter » (Peintre Officiel) de la souveraine. Dès lors, il surveillera la qualité des portraits représentant Elisabeth Ire. La reine se veut être mythique avec un visage impassible, imposant le respect pour ce qu’elle est : la souveraine incontestée de l’Angleterre (déclarée illégitime par son père, Elisabeth a dû batailler pour se maintenir sur le trône). Un portrait officiel de la reine est avant tout destiné à servir sa propagande. Le tableau reste une icône idolâtre. Le statut de l’image d’un souverain est différente des autres modèles des peintres : on ne peut tourner le dos aux rois et aux reines, tout comme à leurs portraits. Détruire un tableau représentant le souverain, c’est détruire ce dernier en pensée : le portrait de la reine est aussi sacré que sa personne. 

Sur ce tableau de 1588, nous avons deux plans. Au premier, Elisabeth semble debout devant un fauteuil de bois doré, bancal (on voit qu’il penche vers la gauche) à pompons (signe de richesse). Le mobilier est de couleur pourpre, couleur de la royauté. La souveraine porte un habit de cour noir et rouge, brodé d’argent. Elle tient un éventail d’or et de plumes d’autruche. A l’époque, celles-ci sont  rares et très onéreuses ; elles sont donc réservées à une élite aisée. L’éventail est également un signe de puissance et de dignité. Elisabeth porte une fraise en dentelles de Calais à la mode, pour mettre sa tête en valeur. La reine a  un visage blanc, des lèvres très rouges, une perruque rousse ondulée et ornées de perles, surmontée d’une aigrette (bijou de tête) faite, elle-aussi, avec des plumes d’autruche. Elisabeth Ire n’a jamais voulu se voir vieillir et passe des heures à se faire mettre de la poudre et des crèmes sur le visage, pour le rendre blanc et cacher ses rides. Bien que la reine ait 56 ans à la date où ce portrait est réalisé, elle paraît avoir une jeunesse éternelle. 

Détail important : Elisabeth porte le nœud de chasteté. En effet, cette reine ne s’est jamais mariée, revendiquant, à travers ce symbole, avoir épousé la couronne – et donc le peuple – d’Angleterre. Le fait qu’elle n’ait ni époux ni enfant lui fera gagner le surnom de « Reine Vierge »  : appartenant à son pays, elle ne pouvait être à aucun homme. La topaze sur l’aigrette est aussi symbole de virginité. La reine est couverte de perles (selon la légende, elles appartiendraient à sa rivale Marie Stuart), signe de richesse qui peut également se rapporter à la mer (les perles les plus précieuses se trouvent dans les huîtres), faisant d’Elisabeth la reine des océans. D’ailleurs, à droite du tableau, sur un autre meuble, une sirène au visage masculin et dur regarde vers l’Ouest. Ce symbole renvoie à la conquête de la mer mais également à la découverte et à l’exploitation de l’Amérique : en effet, c’est en 1588 que la première colonie anglaise est fondée, à laquelle on donne le nom de Virginie en hommage à la « Reine Vierge ». Les anglais (symbolisés par cette sirène masculine) tiennent alors l’Atlantique. Elisabeth pose sa main sur le globe, annonçant la domination de l’Angleterre sur le monde. La couronne impériale, posée à la droite de la reine, est symbolique et vient renforcer la légitimité d’Elisabeth Ire.

Le second plan est très proche du premier. Nous y découvrons une loggia avec quatre colonnes (qui rappellent l’emblème de la reine) reposant sur un petit mur sombre, recouvert d’une toile foncée (de couleur verte ou noire selon les versions du tableau). Les rideaux de soie encadrent deux tableaux évoquant l’Armada (la flotte espagnole). A gauche, il s’agit d’une représentation de jour avec un temps calme, au port de Calais. A droite, nous avons une scène sombre avec des navires pris dans une tempête et faisant naufrage. Ce tableau retranscrit le désastre de l’Armada. L’invincible Armada (ce qui veut dire « la grande et très heureuse flotte »), c’est la flotte d’invasion armée du roi d’Espagne Philippe II (1527-1598). Celui-ci veut conquérir l’Angleterre face au refus d’Elisabeth Ire de l’épouser, et ainsi l’évincer du trône. Philippe II est perçu comme un souverain très puissant et personne ne doute de sa victoire. C’est ainsi que le roi fait construire l’invincible Armada. C’est un projet très coûteux pour l’Espagne et non discret. Elisabeth Ire, prévenue, se prépare donc à faire face. L’Armada part en juin 1588 pour l’Angleterre, tandis que la Reine Vierge passe commande de plusieurs flottes, munies de canons anglais. En Angleterre, on ne fait pas qu’armer les navires pour combattre les espagnols : on prie beaucoup. Les anglais sont en grande majorité protestants, s’opposant ainsi à Rome et aux grandes puissances catholiques d’Europe.

Détail du tableau : l'Armada au port de Calais
Détail du tableau : l’Armada au port de Calais

En mer, lorsqu’une tempête s’abat sur l’Armada, les anglais envoient des bateaux enflammés sur l’ennemi, du 23 au 29 juillet. Au lieu de se regrouper, les navires espagnols se dispersent dans la confusions général, surpris par l’attaque anglaise. Ils décident alors de contourner l’Angleterre par l’Irlande. L’Armada du roi d’Espagne est frappée par de violentes tempêtes et fait finalement naufrage. On compte onze navires perdus, 600 morts et 800 blessés. C’est la consternation tant la victoire paraissait acquise aux espagnols. En Angleterre, il apparaît clairement que Dieu est anglais et qu’il soutient Elisabeth Ire. C’est également la victoire des protestants sur les catholiques.

Détail du tableau : le naufrage de l'Armada
Détail du tableau : le naufrage de l’Armada

La reine Elisabeth Ire nous apparaît ici comme une reine parfaite, séduisante et féminine, déesse de la justice. Les perles que la souveraine porte en grande quantité symbolisent la perfection et sa virginité. Bien qu’elle soit protestante, on ne peut s’empêcher de voir en elle la vierge Marie. A travers ce portrait allégorique, Elisabeth Ire apparaît comme la maîtresse des mers.

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