Sous la Russie Impériale

Catherine Ire, la bien-aimée de Pierre le Grand

Le 5 (ou le 15) avril 1684, Elisabeth de Moritz, épouse de Samuel Skavronski, donne naissance à une fille, Marthe Hélène Skavronskaïa , en Livonie (actuelle Estonie). Le couple est pauvre et vit dans une ferme. Les conditions de vie étant difficiles pour la paysannerie, la fillette perd sa mère dès 1685, puis son père vers 1689.  Pendant la guerre russo-suédoise, Marthe est violée et sur le point d’entrer dans un bordel. Elle évite ce déshonneur en épousant un soldat suédois, Johann Rabe, en 1702. Ce dernier exploite alors sa femme, qui est d’une grande beauté, et Marthe est forcée de se prostituer, après la prise de Marienbourg par les russes. Tombé sous le charme de la jeune femme, Alexandre Menchikov – chef militaire et ami du tsar Pierre le Grand – parvient à acheter Marthe et l’emmène à Moscou. Si Menchikov a pour projet d’en faire sa femme, il doit vite céder la place au tsar, qui est tombé amoureux fou de Marthe , rebaptisée  Catherine.

A cette époque, Pierre le Grand (né en 1672) est séparé de sa première épouse, Eudoxie Lopoukhina, dont il a eu un fils, le tsarévitch Alexis (né en 1690). Il se murmure alors que le tsar désire épouser sa maîtresse, Anna Mons, mais sa rencontre avec Catherine change tout, même si cette dernière est de modeste naissance. Pierre Ier décide d’installer sa nouvelle maîtresse près de lui et celle-ci lui donne plusieurs enfants avant que le tsar ne se décide à divorcer de sa première femme, pour épouser secrètement Catherine, le 8 novembre 1707, à Saint-Pétersbourg.  Entre temps, le premier mari de Catherine, Johann Rabe, était mort. Durant longtemps, Pierre le Grand garde son union secrète, même pour ses ministres et sa famille. Ce n’est qu’en 1711 qu’il présente Catherine comme son épouse et non plus comme sa maîtresse. C’est cette année que Catherine suit le tsar lors de sa campagne contre les Turcs.

Catherine Skavronskaïa et Pierre le Grand, par Jean-Marc Nattier (1717)
Catherine Skavronskaïa et Pierre le Grand, par Jean-Marc Nattier (1717)

L’année suivante, Pierre Ier organise son mariage officiel avec Catherine, le 19 février 1712. Bien que le tsar ait quelques relations extra-conjugales  durant son second mariage, Catherine reste le grand amour de sa vie, celle  qui parvient à apaiser ses colères et à le comprendre. Catherine est décrite comme chaleureuse, gaie et robuste, ne se montrant jamais maussade. Soutenant son époux dans sa politique, Catherine joue un rôle déterminant pour la Russie : en 1711, elle  négocie avec l’ennemi turc qui détient le tsar, et donne tous ses bijoux pour obtenir le départ du Grand Vizir. La paix est signée grâce à l’épouse de Pierre le Grand. Un ambassadeur décrit Catherine ainsi : « Elle avait un grand désir de bien faire et, si elle ne possédait pas tous les charmes de son sexe, elle en avait toute la gentillesse ». N’oubliant pas ses origines, l’épouse du tsar s’efface en public, restant derrière son époux et les princes de sang royal. 

En privé, Catherine est toujours présente aux côtés de Pierre, approuvant ses décisions, et le soutenant dans les moments de doutes. Le couple très uni, aura douze enfants. Hélas, beaucoup sont victimes de la mortalité infantile, et décèdent en bas âge :

– Pierre (1704-1707)
– Paul (1705-1707)
– Catherine (1707-1708)
– Anne (1708-1728), mariée en 1725 à Charles-Frédéric de Holstein-Gottorp (mère du futur tsar Pierre III)
– Elisabeth (1709-1762), future impératrice de Russie (sans alliance)
– Nathalie (1713-1715)
– Marguerite (1714-1715)
– Pierre (1715-1719)
– Paul (né en mort en 1717)
– Nathalie (1718-1725)
– Pierre (né et mort en 1723)
– Paul (né et mort en 1724)

La mort d’un grand nombre d’enfants nés du tsar et de Catherine est perçue comme une malédiction en raison de l’infanticide que Pierre le Grand commet sur le tsarévitch Alexis. En conflit avec son père, l’héritier du trône avait été soupçonné d’avoir voulu comploter pour renverser – voire assassiner – le tsar. Condamné à mort, il disparaît obscurément en aout 1718.

Le tsarévitch Pierre en Cupidon (1715-1719) et la princesse Nathalie (1718-1725) par Louis Caravaque (en 1716 et 1722)
Le tsarévitch Pierre en Cupidon (1715-1719) et la princesse Nathalie (1718-1725) par Louis Caravaque (en 1716 et 1722)

La mort de tous ses autres fils en bas âge contraint Pierre le Grand à anticiper sa succession. En 1722, le tsar promulgue un décret qui donne la possibilité au monarque de désigner librement son successeur, sans différence de sexe. Ainsi, Pierre peut annoncer qu’il fait de Catherine, son épouse et sa « chère amie », son héritière, convaincu qu’elle saura diriger la Russie d’une main de fer, et poursuivre sa politique.  Pour donner de l’importance à Catherine, le tsar la fait officiellement impératrice en décembre 1721, et la couronne le 7 mai 1724. Peu après  le sacre de Catherine, le tsar apprend de ses services secrets que son épouse a un amant : son chambellan, William Mons (qui n’est autre que le frère d’Anna, ancienne maîtresse de Pierre).  Officiellement accusé de corruption  et de « détournements de fonds au détriment de la tsarine », William Mons est exécuté le 27 novembre 1724. Catherine n’obtiendra pas de clémence pour celui qui était trop proche d’elle. Il se peut également qu’elle n’ait rien tenté pour le sauver, craignant elle-même pour sa vie. En effet, la légende prétend que le tsar força son épouse à regarder le corps supplicié de Williams Mons, allant même jusqu’à lui présenter la tête du traître dans un bocal de vodka.

L’affaire du chambellan, possible amant de l’impératrice, crée des tensions dans le couple et Catherine fait profil bas. Les pourparlers engagés avec la France, pour marier sa fille Elisabeth au jeune Louis XV, la sauvent sans doute : impossible pour le tsar de condamner publiquement la mère d’une future reine de France. Pierre le Grand se réconcilie avec son épouse devant les ambassadeurs des cours étrangères qui notent : « La tsarine a fait une longue génuflexion devant le tsar ». Le projet de mariage avec la France ne se concrétise pas et Pierre le Grand commence à être gagné par la fatigue : sa santé se dégrade et il souffre de maux de tête, qui viennent s’ajouter à des problèmes de reins. En dépit de son apparente bonne entente avec Catherine, le tsar n’a plus confiance en elle : sa fille aînée Anne devant épouser le prince allemand Charles-Frédéric de Holstein, Pierre désigne comme son héritier le fils qui naîtra de cette union. 

Les princesses Anne (1708-1728) et Elisabeth (1709-1762), uniques survivantes des enfants de Catherine Ire, par Louis Caravaque (1717)
Les princesses Anne (1708-1728) et Elisabeth (1709-1762), uniques survivantes des enfants de Catherine Ire, par Louis Caravaque (1717)

Le 25 janvier 1725, le tsar  souhaite  faire son testament mais tombe dans le coma avant d’avoir écrit à qui il lègue le pouvoir. Pierre le Grand meurt le 8 février sans avoir repris connaissance. Durant les derniers jours du tsar, Catherine est restée à ses côtés. Dès la mort de Pierre Ier, ses ministres proclament Catherine impératrice de toutes les Russies. Alexandre Menchikov aurait même songé -à nouveau ! – à épouser celle-ci, afin d’exercer le pouvoir. En effet, le tsar étant décédé avant le mariage de sa fille aînée, l’héritier mâle qu’il espérait n’est pas encore né. A sa mort pourtant, Pierre le Grand a  déjà un petit-fils en la personne du prince Pierre, né en 1715 de l’union du tsarévitch Alexis avec la princesse Charlotte de Brunswick-Lunebourg. C’est de cet enfant de 10 ans que les ministres ont peur, celui-ci ayant le soutien de l’aristocratie. Pierre Ier ne laissant pas de testament officiel, on s’appuie sur le décret de 1722 suite auquel il avait fait de Catherine son héritière. Afin d’éviter une guerre pour le pouvoir, les dignitaires et la majorité de la noblesse  acceptent de reconnaître la veuve de Pierre le Grand comme unique souveraine. 

Pour la première fois depuis l’accession au trône des Romanov (en 1613 avec Michel Ier, grand-père de Pierre le Grand), la famille du tsar conserve la couronne grâce à une femme qui, de plus, n’est pas de son sang. Catherine Ire se sert du fait qu’elle ait été couronnée dès 1724 et désignée par Pierre Ier pour achever son œuvre : « J’ai le désir de mener à bonne fin, avec l’aide de Dieu, tout ce que Pierre avait commencé ».  L’impératrice poursuit les réformes engagées par son époux pour moderniser le royaume. Elle inaugure ainsi l’Académie des Sciences à Saint-Pétersbourg, souhaitée par le défunt tsar.

L'impératrice Catherine Ire (anonyme)
L’impératrice Catherine Ire (anonyme)

Si Alexandre Menchikov n’a pas épousé la veuve de Pierre le Grand, il prend peu à peu le pouvoir, Catherine le nommant à la tête du Conseil suprême, créé en février 1726, pour « alléger le lourd fardeau du gouvernement de Sa Majesté ». En 1727, Catherine Ire s’éprend d’un jeune officier et commence un régime alimentaire, afin de perdre son embonpoint, conséquence de ses nombreux excès lors des grandioses réceptions qu’elle donne.  Le 21 janvier 1727, la tsarine passe en revue vingt mille hommes dans un froid glacial, après la bénédiction des eaux glacées du fleuve de la Neva (à l’occasion de la fête religieuse orthodoxe, la Téophanie). Catherine tombe malade et il apparaît bientôt que la souveraine souffre d’importants troubles cardiaques. La souveraine s’éteint le 17 mai 1727, à l’âge de 43 ans, victime d’une « fièvre chaude ». Dans son testament, elle désigne comme successeur le prince impérial Pierre, dont l’aristocratie soutenait les droits en 1725. Né et élevé en Russie, cet enfant de 12 ans paraissait sans doute à Catherine plus apte – et légitime –  à lui succéder que le fils né de l’union d’Anne, en 1728, qui est prince allemand. 

Si Catherine est la première femme à hériter du trône de Russie, elle ne sera pas la dernière : grâce au décret de 1722, Pierre le Grand permettra, sans s’en douter, à de nombreuses femmes de prendre légitimement le pouvoir. 

Bibliographie : 

La saga des Romanov : de Pierre le Grand à Nicolas II, de Jean des Cars
Les Tsarines : les femmes qui ont fait la Russie, de Vladimir Fédorovski
Terribles tsarines, de Henri Troyat 

Laisser un commentaire