Mes fictions historiques

A l’ombre du Soleil

La fiction historique ci-dessous est l’oeuvre de Jessica Cinar, passionnée d’histoire et fidèle lectrice du site. 

La fiction historique que vous allez lire se concentre sur le personnage de Louise de La Vallière, première favorite de Louis XIV. L’Histoire est ici chamboulée, ainsi que l’existence de Louise de la Vallière, qui va connaître un tout autre destin que celui que nous lui connaissons…

Louis XIV et Louise de La Vallière, par Jean Frédéric Schall (XVIIIe siècle)

« Saint Germain en Laye, le 17 juin 1676 :

– Allons ne soyez pas pingre Sire ! Qu’est ce que deux millions de livres pour le roi de France ? , répliqua Athénaïs, marquise de Montespan, en faisant face au roi.

Louis XIV soupira :

– Vous ne m’aimez pas Madame, vous aimez les pierreries, les châteaux et les pensions, mais nullement moi.

La favorite royale répondit sèchement :

– Si vous voulez de l’amour allez voir à Paris rue st Jacques Madame de La Vallière !

Furieuse, elle quitta la pièce en claquent des talons.

« Louise … » songea Louis XIV, il y avait si longtemps, comme si cela n’avait était qu’un rêve.

Lentement le roi se dirigea vers son escalier secret par lequel Bontemps amenait ses petites maîtresses. Il sortit du château en direction du Val de Grâce. Là-bas se trouvait tout ce qui restait comme preuve de l’existence de son ancien amour. Arrivé dans la chambre, le roi posa sa simple cape sur le dossier d’un fauteuil orné d’or, et se laissa choir dessus en face d’un portrait de Diane, la déesse chasseresse. Mais, en y regardant mieux, cette Diane ressemblait bien trop à une charmante demoiselle aux cheveux blonds, originaire de Tours. En se servant un peu de vin et profitant de ce moment d’intimité si rare lorsque l’on le roi de France, Louis songea à nouveau à celle qui fut sa première favorite et l’un de ses grands amours : Françoise-Louise de La Baume Le Blanc de La Vallière ou plus simplement Louise. Sa Louise désormais devenue Sœur Louise de la Miséricorde depuis qu’elle avait quitté la cour en 1674. Rien qu’à l’imaginer en robe de bure cela faisait remonter au monarque un gout aigre dans la bouche. Comment avait-elle pu ? Comment avait-elle osé ? Lui ! Le roi de France abandonné par l’une de ses favorites ! Apollon devait bien rire de lui. L’insolente ! Soudain, il se rappela l’amour, la passion même qu’il avait pu éprouver pour elle. Il lui arrivait encore de rêver des nuits qu’ils avaient passées ensemble : son visage encore tendre et juvénile, son air doux, sa joue posée contre le torse royal. Elle n’avait pas beaucoup de gorge mais celle-ci était ronde et bien faite. Louis se rappela avoir passé des heures à l’admirer. Il se gifla mentalement, il revît son départ deux ans plus tôt, son visage inexpressif. Ce jour là s’il n’avait été le roi il l’aurait giflée, l’ingrate !

Quand, pour la première fois on lui avait fait part de son désir d’entrer au couvent il avait ri. Oh il connaissait la piété de Louise mais tout de même, elle qui l’assurait chaque nuit de son amour et qui lui avait donné quatre enfants magnifiques (même si deux n’avaient pas survécus à la petite enfance). Comment pouvait-elle songer à le quitter ? Elle était duchesse et mère d’enfants légitimés. Nombres de femmes auraient vendu leurs âmes pour être à sa place mais Louise était malheureuse. Elle osait ne pas se satisfaire de ce que le roi lui avait offert. Bien sûr la jeune femme, qui était romantique, avait souffert de la relation du roi avec la belle Athénaïs mais c’était différent : Louise n’était pas capable d’assumer le rôle de favorite. Certes, elle avait de l’esprit mais était trop timide et trop simple. Athénaïs, elle, était la splendeur incarné et était dotée d’un esprit fin, celui des Mortemart. Elle avait le port d’une reine, ce qui faisait d’ailleurs défaut à l’épouse de Louis XIV.

Louise ne comprenait pas, elle ne pouvait pas comprendre que Louis aimait ses femmes (épouse ou favorites) de façon différente et qu’il avait besoin d’elles autant qu’elles avaient besoin de lui. La reine, Marie-Thérèse d’Autriche, lui donnait des enfants et se soumettait en bonne épouse. Louise de La Vallière l’aimait et avait son cœur. Athénaïs avait ses sens et elle était une conquête perpétuelle. Ce qui poussait le roi toujours à plus de magnificence. Ensemble, ces trois femmes étaient les miroirs réfléchissant la lumière de l’astre royal. Pourquoi Louise ne l’a-t-elle pas compris ? Louis avait eu vent de ses querelles avec Athénaïs mais c’était là des affaires de femmes. De plus la marquise de Montespan était comme lui, taquine sans être vraiment méchante. Pourtant, Louis avait été cruel. Il voyait sa chère Louise dépérir et cela le blessait. Quiconque s’en prenait à un membre de son entourage, le touchait également. Il s’attendrit soudain. Il était vrai que, entre sa Venus et l’État, il avait eu peu de temps. L’État avant tout mais il aurait pu faire un effort. Cependant elle lui avait fait affront. Louise était malheureuse, elle avait osé faire croire à tous qu’il la maltraitait alors qu’il la gardait prés de lui, qu’il l’avait faite duchesse et avait reconnu ses enfants. Il avait des liaisons avec d’autres femmes ? Et après ? Il était le roi, de quoi aurait il eu a se sentir coupable ? Ses larmes était un affront, aussi décida-t- il de l’ignore … au moins elle aurait des raisons de pleurer !

Louis se releva pour se servir du vin et passa sa main sur le tableau représentant Diane, contre les lèvres peintes. Qu’avait-il fait ? Mais il n’était pas seul responsable. Malgré tout Louise lui manquait. Les battements affolés de son cœur, son sourire tendre après une nuit d’amour, ses yeux, son sourire, tout lui manquait. Elle était boiteuse et pourtant si gracieuse. Elle l’écoutait et croyait en lui. Jamais elle ne lui avait menti et lui avait prouvé son amour plusieurs fois comme à sa première fuite, suite à une dispute. Tendre enfant ! Pauvre enfant ! Louise était une fleur délicate qui n’était pas faite pour la cour, mais cette cour si cruelle quelqu’un pouvait-il vraiment y vivre sans étouffer ? C’était là la revanche de Louis XIV sur cette noblesse désormais réduite à son pouvoir. Pour l’écouter le roi avait la sage Mme de Maintenon qui lui apportait du sérieux et du courage. C’était une femme forte et entière qui avait survécu au pire, elle-aussi livrée à elle-même des son plus jeune âge. Il voyait en elle une sorte de sœur qu’il n’avait pas eue. Elle avait aussi un peu de sa mère, la reine Anne d’Autriche, belle, forte et irréductible, à qui il devait son trône. En y repensant Louis réalisa que toutes ces femmes l’avaient aimé et servi. Et lui, le Roi-Soleil, il les avait écartées une à une car nul ne pouvait se prétendre plus brillant que l’astre solaire. Mais à présent il avait atteint son zénith, il était le plus grand et le plus puissant monarque d’Europe. Tous lui étaient soumis. Il n’était plus le jeune homme frivole et léger qu’il paraissait être autrefois, il était maintenant le plus grand roi du monde. Le plus grand mais aussi le plus seul. Louis s’était isolé lui-même pour mieux se magnifier, mais cela lui pesait. Il ne pouvait faire confiance à personne. Aucune personne n’était vraiment un ami pour lui car tous s’inclinaient en tremblant… tous sauf une. Une seule qui l’avait bravé. Elle avait fui la lumière du soleil. Elle avait préféré la nuit et sa fraîcheur. Il aurait dû le savoir car Diane était la déesse de la lune. Apollon et Diane ne sont-ils pas complémentaires ? Si seulement Louise était encore là …si … seulement… Louis se réveilla brusquement au contact de sa main avec la langue de sa chienne. Il devait regagner ses appartements.
 
*****
  Paris, le 9 Septembre 1683 :

« Il y a différentes façons d’aimer ».  Son sang se glaçait à chaque fois que cette phrase lui revenait en mémoire. C’est ce que Louis XIV lui avait déclaré après qu’elle ait découverte sa liaison avec Athénaïs. Elle ne devait plus y penser. Louise se gifla mentalement et se remis à son ouvrage. En dépit de tous ses efforts elle n’était jamais parvenue à se couper totalement du monde comme elle l’aurait souhaitée. Tout d’abord il y avait ses enfants, ou plutôt les victimes de son péché. Louise les avait aimés tout les quatre et ce dès l’instant où elle les avait tenus dans ses bras. Cependant elle ne pût être leur mère et d’ailleurs elle ne le méritait pas. Ses enfants innocents étaient nés souillés et par sa faute risquaient la damnation. Non ! Il n’y avait nul repos possible pour elle en ce monde, trop de gens avaient souffert à cause d’elle. Son fils Louis, qu’elle n’avait pu protéger et éloigner de cette fosse aux serpents, était tombé dans la débauche et la disgrâce. C’était elle la responsable. Elle aimait cet enfant mais son châtiment lui interdisait de goûter les joies de la maternité, elle n’en était pas digne. Ainsi cet enfant fut privé de mère. Au moment où elle avait résolu de quitter la cour, la jeune duchesse avait envisagé de se retirer sur ses terres avec ses enfants, pour ainsi mener une vie plus simple loin des affres du pouvoir et ainsi protéger ses deux trésors des intrigues qu’elle abritait. Mais Monsieur de Condom lui avait rappelé : » Allons Madame auriez-vous oublié qu’il ne s’agit point là de vos enfants mais de ceux du roi ? ».  Cette seule phrase avait mis fin à ses rêveries plus encore que sa fausse couche, survenue inopinément en 1670. Ce dernier événement lui avait démontré toute son indignité et bien qu’elle ne fût pas morte, elle ne méritait point de demeurer parmi les vivants. Avait-elle mérité de vivre une existence paisible après toutes ses erreurs ? Elle avait souhaité protéger ses enfants mais, en les éloignant elle risquait de les priver d’un avenir brillant. Louis XIV aimait leurs rejetons et avait promis d’en prendre soin. Sa fille pouvait espérer un beau mariage, et son fils de hautes charges. Après tout n’avait-il pas été nommé Amiral de France dès le berceau ? Les prendre avec elle, c’était les priver d’un bel avenir et Louise s’était alors dit qu’à défaut d’avoir une mère, ils auraient une bonne situation. La duchesse de La Vallière nourrissait aussi, en secret, l’espoir de pouvoir prendre sur elle toute la responsabilité de l’adultère commis avec le roi. Elle voulait prier pour que ses enfants soient épargnés. Son seul geste maternel serait des les préserver de l’enfer auquel leur naissance les avait condamnés.

Madame, épouse de Monsieur frère du roi, avait accepté de prendre soin de Marie-Anne et surtout de son petit Louis. Cela l’avait surprise car nul n’ignorait le dégoût de cette princesse allemande pour les bâtards. Pourtant, la princesse Palatine s’était rapidement prise d’affection pour le jeune comte de Vermandois et l’emmenait régulièrement visiter sa mère. Pour Louise ces visites faisaient parties de son chemin de croix car, en dépit de ses sentiments, elle refusait de le prendre dans ses bras. Cet enfant, son enfant, souffrait, mais à travers lui c’est elle-même qu’elle flagellait. Peu à peu elle se mura dans une solitude et un silence rarement troublé, en dépit des nombreux membres de la cour qui venaient visiter la nouvelle Marie-Madeleine. Louise aurait voulu être transférée dans un couvent carmélites, en province. Cela lui fut refusé car elle était une source de curiosité qu’on exhibait soit pour se moquer soit pour édifier. Cela lui pesait parfois et la dégoûtait davantage du monde. Aujourd’hui pourtant elle était contrainte de retourner dans cet autre pays. Sa fille avait besoin d’elle. Marie-Anne était mariée depuis près de trois ans avec le Prince de Conti. Louise avait même eu l’honneur de se voir demander la main de sa fille par le Grand Condé en personne. Cependant le mariage de ces deux enfants n’était guère harmonieux et le prince de Conti avait rapidement obtenu d’aller se battre en Hongrie contre les Ottomans, loin de son épouse. Quant au comte de Vermandois, il avait été disgracié par le roi pour de mauvaises fréquentation mais, grâce à la princesse Palatin, il pouvait espérer se racheter au cours de la guerre en Flandres. C’est au milieux de ces troubles que la reine de France décéda en juillet.

A de nombreuses reprises, Marie-Anne avait tenté de faire venir sa mère à la cour, ne supportant plus de la voir à travers une grille au parloir et en présence d’une autre sœur. La stricte règle des carmélites s’y opposait mais la mère supérieure accepta, consciente que malgré tout sœur Louise de la Miséricorde demeurait une religieuse à part. Dans le carrosse qui la conduisait vers Versailles, Louise sentait ses mains devenir moites. Ce n’est pas temps cette cour qu’elle craignait que le fait de le revoir LUI, le roi. Dans son cœur elle avait toujours gardé le souvenir du jeune roi : un jeune homme doux, ardent et attentionné. Lors de leurs rendez-vous il n’était pas le roi, il était simplement Louis. Il avait si bon cœur. Mais peu à peu Louise avait vu se charmant damoiseau se changer en un roi froid, distant et calculateur. Il était devenu un astre bien trop haut et trop brillant pour elle, une simple mortelle. Comme Icare, elle s’était brûlée les ailes à vouloir trop approcher le soleil. Son cœur battait à tout rompre. Plus que quelques instants et elle serait à Versailles. Louise sentait qu’elle allait défaillir mais se ressaisit « Allons ! Je ne resterai que deux jours tout au plus. Versailles est si grand et le roi si occupé que je n’aurai sans doute pas l’occasion de l’approcher ». Le carrosse s’arrêta et le cocher ouvrit la porte. Elle était arrivée. Pendant un moment elle se sentit gênée par sa triste vêture, mais se gifla mentalement : elle était sœur Louise de la Miséricorde et non plus la duchesse de La Vallière. La princesse de Conti eut grande peine à ne pas se jeter dans les bras de sa mère. Il y avait si longtemps. Dès l’arrivée de Louise, sa fille ne la quitta plus. Elle l’amena dans ses appartements pour lui faire prendre une collation mais Louise refusa poliment. Après quoi elles discutèrent longuement. Cette visite, bien que banale en apparence, était source d’une grande agitation au sein de la cour : nombreux étaient ceux qui avaient parié que Louise de La Vallière reviendrait sur sa vocation, qu’elle n’était partie que pour se venger. Aucun ne voulait rater le moment où le roi arriverait ; car oui le roi viendrait passer un moment chez sa fille après son diner. Lorsque Louise l’appris la panique la saisie, comme si elle avait été piégée par sa propre fille. La jeune princesse nia toute préméditation. De toute façon Louise ne pouvait plus se défiler.

Ce que Louise ignorait encore c’était que sa fille, ainsi que la princesse Palatine, espéraient secrètement provoquer la chute de la marquise de Maintenon, qui avait pris sur le roi une forte ascension. Madame n’était guère fière de se genre de procédé mais elle préférait une douce et pieuse Louise de La Vallière qu’une vielle femme hypocrite et austère (Mme de Maintenon avait trois ans de plus que le roi). Madame rejoignit Marie-Anne et la duchesse de La Vallière alors que la foule se pressait dans l’antichambre. Il était 13 heures et le diner commençait. La foule se dispersa pour mieux revenir ensuite. L’horloge sonna 14 heures, un valet vint annoncer l’arrivée du roi. Les trois femmes se levèrent pour plonger dans une profonde révérence. Le roi les salua, et au moment où il se trouva devant Louise, dont le cœur cessa de battre un instant. Elle releva les yeux sur lui, elle rougit, puis elle pâlit. Louis s’inquiéta :

– Que se passe-t-il Madame ? Vous trouvez-vous mal ?

– Non, sire, tout va bien, répondit Louise

Dieu, il n’avait pas changé, malgré l’âge et un certain embonpoint. Le roi avait conservé le même regard, à la fois tendre et froid. Seules quelques rides étaient apparues aux coins de ses yeux et sur son front. Elle crut être revenue 20 ans en arrière. Le roi s’approcha et la mena prés d’une fenêtre pour discuter plus à son aise, sous les yeux de tous. Nul ne dit un mot et pendant un instant, on pensa réellement que le temps avait inversé sa course. Déjà les paris étaient lancés sur qui de l’ancienne ou de l’actuelle favorite aurait désormais la faveur du roi.

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Lettre de la princesse Palatine, Saint-Cloud, 20 Novembre 1683 :

« … Notre roi, comme je vous le disais, n’est pas homme à s’accommoder du veuvage. De nombreux projets ont étaient fait en faveur d’un remariage. On avait d’abord songé à l’infante du Portugal, ou encore à une princesse de Toscane. Mais le roi a décide de n’en retenir aucune des deux. Je pense en connaître la raison, il n’y a qu’à observer le changement d’état de Mme de Maintenon et de Mme de La Vallière. Avec la princesse de Conti nous espérions chasser cette vieille ripopée et nous n’avons que trop bien réussi. Vous m’objecterez qu’elle aussi est une maîtresse qui prône la vertu alors qu’elle est finalement restée à la cour. Mais quand il s’agit du roi, nul ne s’appartient plus. Mme de La Vallière fut rappelée à la cour, avec la bénédiction forcée de l’Église, qui s’accommode de tout tant que cela la sert. Et elle n’aurait pu mieux trouver. Cela sera toutefois un règne plus doux que celui d’une vielle intrigante. Je vous parlais d’un changement d’état : désormais le roi passe le matin avant et après la messe chez Mme de La Vallière ainsi que l’après dîner. Tandis que madame de Maintenon a tout juste le droit à un salut. De plus il y a de cela une quinzaine de jours, le roi offrit à Mme de La Vallière un appartement qui touche aux siens et déplaça d’un étage celui de Mme de Maintenon. Je ne saurais vous décrire le trouble de cette pauvre femme qui voit son empire à peine édifier se briser. La petite fleur qui poussait discrètement sous l’herbe a réussi à déraciner le vieux chêne. Le plus important est que Sa Majesté permet à Mme de La Vallière de recevoir les princes et les princesses assise. Sans doute le roi trouve-t-il dans cette ambiguïté tout le piquant des galanteries passées … »

Lettre de la princesse Palatine, Saint-Cloud, 28 Novembre 1683 :

« … Je peine à retenir mes larmes. Le comte de Vermandois a péri des suites d’une forte fièvre peu après la réussite du siège de Courtrai. Ce cher enfant s’est battu vaillamment alors qu’il était déjà souffrant. Si moi et la princesse de Conti pleurons le défunt, ce n’est pas le cas de tout le monde à commencer par Mme de Maintenon, qui voit là une occasion de mettre encore plus en avant son cher « mignon » le duc du Maine, qui est désormais l’aîné des fils illégitimes du roi. Cette intrigante, en dépit de la faveur de Mme de La Vallière, conserve toujours une certaine amitié avec le roi, qui la nomme sa « très chère sœur ». Quant au duc du Maine, il a toujours été le bâtard né de la Montespan que le roi préfère. Je puis dire qu’il n’a jamais pardonné au jeune comte de Vermandois ses écarts de conduite. Cela est malheureux surtout quand on sait que tout est de la faute de ce diable de chevalier de Lorraine, pensionné par le roi lui-même, alors qu’il a sans doute empoisonné la première épouse de Monsieur. Je suis tentée de croire que c’est aussi la Maintenon qui pousse Sa Majesté à cette sévérité. Elle a toujours haï Monsieur, ses mignons et toute notre maison. Enfin Mme de La Vallière n’a pas semblait réagir à l’annonce du trépas de son fils, passant pour sèche de cœur mais je sais par l’une de ses femmes de chambre qu’elle a été toute la nuit à genoux au pied d’un crucifix en pleurs. J’espère pour elle qu’elle s’endurcira davantage à l’avenir… »

Versailles,  3 février 1684 :

Cela faisait plusieurs mois que Louise était revenue à la cour et pourtant tout se bousculait encore dans sa tête. Cela semblait irréel. Comment elle, simple fille de chevalier entrée au couvent, avait-elle pu épouser un soir d’octobre le plus grand roi du monde ? Louise ne saurait se l’expliquer à elle même. Dès qu’elle le vit elle se sut perdue. Elle se souvient encore avoir pleuré la nuit de toutes ses faiblesses. La vie à la cour était demeurée légère depuis l’arrivée de Louise, comme si elle avait pris un second souffle, et cela en dépit de l’instauration de quelques mesures d’austérité. Si, à la cour les opéras, les fêtes et les chasses se succédaient, le libertinage était rigoureusement proscrit de même que les superstitions, astrologues et autres sorcelleries, qui avaient connu leur apogées sous Mme de Montespan avant l’affaire des poisons. Les dames, plutôt de consulter les astres ou les cartes, devaient se montrer pieuses, espérant ainsi faire leur cour à Louise. La cour semblait s’être scindée en deux camps : celui de l’épouse secrète et celui de la confidente. Mme de Maintenon avait certes perdu de son importance mais restait une amie proche du roi. Elle savait jouer de l’hostilité de Monseigneur le dauphin contre Louise, redoutant qu’elle donne à nouveau un enfant au roi, et qu’acceptait mal cette « fausse religieuse ». Louise n’y attachait guère d’importance, bien qu’elle se montrait plus prudente qu’auparavant. Elle était complaisante avec le roi et organisait des divertissements pour la cour. Dans le même temps, elle en profitait pour fonder des charités ou des orphelinats. Louise tentait d’intéresser les nobles dames à la charité en lieu et place des frivolités. Elle avait compris que c’était avec subtilité que l’on obtenait les meilleurs résultats. En dépit de pesantes demandes elle refusait de jouer les intermédiaires dans la course aux faveurs. Cela s’était avéré un mauvais calcul autrefois, mais l’exemple d’Athénaïs de Montespan l’engageait à être prudente. Elle-même n’était pas vraiment la reine de France. Elle était l’épouse secrète du roi et elle choisit de s’en tenir à son rôle d’ombre du soleil. Louise se permit toutefois de garder près d’elle ce qui lui reste de famille à savoir sa fille et son neveu, fils de son défunt frère, et qu’elle avait désigner, en accord avec la princesse de Conti, comme héritier du duché de La Vallière et de Vaujours.

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 Lettre de la princesse Palatine, Saint-Cloud, 2 Novembre 1685 :

« … Les mots me manquent pour décrire l’horreur que nous vivons, et peu m’importe que l’on rapporte cette lettre au roi, je ne puis dissimuler plus longtemps ce que je ressens. Le mois passé, le 18 pour être exacte, s’est abattue une catastrophe sur le royaume de France : le roi à signé la révocation de l’édit de Nantes. Pis ! Il autorise ce barbare de Louvois à martyriser les Huguenots, femmes, enfants sans distinction. Déjà un grand nombre de bons et loyaux sujets ont fui. Partout on semble acclamer le roi alors que tant d’honnêtes gens souffrent. Tout cela est l’ouvrage de la vieille ordure et de tous les dévots dont elle a entouré le roi. Mme de La Vallière a, pour la première fois, osé lever la voix et se faire entendre. Sa piété se félicitait du souci qu’avait le roi pour son Salut et celui de son peuple mais elle jugeait que les méthodes les plus douces étaient les meilleurs et que les huguenots n’en demeuraient pas moins de loyaux sujets. Le roi lui répondit sèchement qu’elle n’entendait rien à la façon de mener un Etat. Il se passa alors une chose que je ne croyais pas possible. Comme par le passé, au moment d’entrer au couvent, elle se montra déterminée arguant que persécuter son peuple n’apporterait pas à Sa Majesté la même gloire qu’à l’empereur d’Autriche, que tous acclamaient pour sa victoire contre les Turcs. Nul ne sait ce qu’il est advenu ensuite, le roi ayant congédié tout le monde. L’intervention de Mme de La Vallière l’a mis en fureur au point que celle-ci reçu l’ordre de se rendre au couvent de Chaillot et de ne pas le quitter sans la permission du roi. Nos adieux me furent douloureux. Et maintenant je dois assister au triomphe de cette intrigante de Mme de Maintenon. Le roi s’affiche partout avec cette femme qui n’a pas hésité à arracher sa nièce à ses parents huguenots. Ces mêmes parents qui avaient autrefois pris soin d’elle. Malgré le temps passé je ne m’adapte guère à ce pays-ci… »

Louise resta au couvent de Chaillot plusieurs semaines. Elle pleura beaucoup. Elle ne regrettait pas ce qu’elle avait fait, non, ce qu’elle regrettait c’est d’avoir commis deux fois la même erreur. Aucune retraite, aucun repentir ne lui était possible désormais. Elle avait été trop faible. Elle savait pourtant que les rayons du soleil la brûleraient. Mais elle avait, une fois de plus, cédé à son cœur qui ne connaissait pas la raison. De nombreux gens mourraient et elle ne pouvait rien faire à part prier et attendre un châtiment dans l’autre monde. A la mi-décembre le roi la rappela. Louise ne chercha pas à se dérober : il était son époux en plus d’être son roi. Mais dès lors, elle se mura dans le silence, reprenant le cilice et les jeûnes. A la cour on la railla. Louise, en dépit du soutien de sa fille et de Madame, songea qu’elle méritait ces injures. Ces serpents l’avaient contaminée. Malgré tout ces événements, la vie à la cour ne changeât pas. Les rôles étaient distribués. Louise se vouait aux prières et à son amour indéfectible pour Louis. Même s’il lui semblait, avec les années, aimer davantage un souvenir plutôt que le roi. Plus jamais elle ne s’opposa à lui et il lui en fut reconnaissant. Le roi se montra toujours charmant et attentionné envers Louise. Dans l’intimité il continua à lui rendre régulièrement ses devoirs conjugaux. 

Un matin de mai 1710, Louise fut prise d’un malaise. Les médecins voyaient son état empirer sans savoir la cause réelle de son mal. Ils la saignèrent à plusieurs reprises, ce qui n’eut d’autre effet que de l’affaiblir encore plus. Madame, la princesse de Conti et même Mme de Maintenon la veillaient. Un soir le roi lui dit en pleurant :

– Madame allez-vous encore une fois m’abandonner ?

Louise n’eut pas la force de répondre. Cependant, dès le lendemain, elle prit sur elle pour demander à rendre son dernier souffle au couvent des Carmélites de la rue Saint Jacques à Paris. Le roi, les yeux rougis, y consentit d’autant plus que l’étiquette voulait que seuls les membres de la famille royale puissent de mourir à Versailles. C’est donc au couvent des Carmélites que Louise s’éteignit comme elle avait vécu, avec discrétion, au matin du 6 juin 1710. Le roi, en apprenant la nouvelle, fit venir son confesseur et resta avec lui la journée entière. Mais, comme pour la reine, le deuil ne dura guère. Le roi n’était pas un particulier et ne pouvait déroger au protocole. A la cour, encore une fois, il n’y eut que Madame et la princesse de Conti pour pleurer la défunte. »


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