Portés disparus
En 2023, le magazine Historia consacrait son double mensuel de l’été aux affaires criminelles non résolues. Cette année, les historiens tentent de faire la lumière sur les disparitions mystérieuses qui ont jalonné le temps, du Moyen-Age au XXe siècle. Des personnalités, des peuples, des trésors, qui se sont évaporés sans que l’on sache, encore aujourd’hui, ce qu’ils sont devenus…
Dès qu’une disparition ne peut s’expliquer, elle donne lieu à toutes les rumeurs les plus folles : certains y voient un complot, un assassinat, un enlèvement. Et lorsque la personne dont on perd la trace est célèbre, l’opinion publique est d’autant plus disposée à croire que cette disparition est liée à un crime, plutôt que d’envisager l’hypothèse d’un « banal » accident. Comment admettre celui-ci quand il s’agit d’un homme ou d’une femme qui est connu(e) pour son courage, sa force, son agilité ? Dans l’esprit des gens, il est plus facile de penser que ces personnalités ont été éliminées parce qu’elles dérangeaient… ou qu’elles ont mise en scène leur disparition pour fuir et commencer une nouvelle vie, à l’autre bout du monde. Ces disparitions fascinent leurs contemporains, tout comme les générations suivantes, tant que le voile n’est pas levé. Car en l’absence d’un corps, il est impossible de commencer le travail du deuil, l’entourage de l’absent voulant croire à un retournement de situation, à la découverte d’un élément nouveau. Certains attendent alors, parfois toute leur vie, le retour miraculeux de l’être qui s’est évaporé soudainement. C’est là le drame de ces disparitions, lorsque qu’il reste quelqu’un pour continuer à espérer, même lorsque l’administration déclare le disparu comme étant officiellement mort. Un espoir qui mène, parfois, jusqu’à la folie tant il est difficile d’accepter sans preuve formelle, qu’un être cher ne reviendra pas…
Parmi les personnalités disparues, nous citerons celles de l’aviatrice Amelia Earhart (1928) et d’Antoine de Saint-Exupéry (1944) : des destins prometteurs, qui se sont volatilisés dans les airs. Sur les mers, on a perdu la trace du comte de Lapérouse (1788) et du navigateur Alain Cols (1978), après qu’ils aient essuyé de violentes tempêtes. Dans ces quatre cas, des recherches ont été entreprises sans qu’un scénario précis ne puisse se dessiner : accident, naufrage ? Dans ce cas, ont-ils pu être secourus ? Le moindre indice (un débris, un objet, un os…) est analysé – et interprété – pour attester (ou non) de la fin de ces explorateurs…
D’autres figures connues ont disparu à l’autre bout du globe, sans que leur corps ne soit jamais retrouvé. En raison de leur nom, ou de leur importance, on a longtemps refusé de croire à une issue funeste. Ainsi Michael Rockfeller, fils de celui qui deviendra vice-président des États-Unis, disparaît en 1961 en Nouvelle-Guinée, lors d’un expédition. En l’absence d’élément pouvant expliquer la fin du jeune homme, une rumeur glaçante se répand : il aurait été dévoré par un peuple cannibale…
L’Histoire regorge également de cas où la mort mystérieuse d’un jeune monarque a donné lieu à des spéculations, surtout quand le pouvoir est en jeu : il en est ainsi pour le jeune roi du Portugal Sébastien Ier, qui perd la vie au cours d’une bataille en 1578. Son corps n’est pas retrouvé. Âgé de 24 ans, le roi n’avait pas encore de descendance. Sa disparition met le Portugal dans une situation délicate car l’Espagne a désormais des vues sur la couronne. Le peuple ne veut pas croire à la disparition de Sébastien et espère toujours son retour quelques soixante ans plus tard. En Russie, le cas du décès du tsarévitch Dimitri, le plus jeune fils d’Ivan IV, se transforme en une histoire d’imposture : décédé à l’âge de 8 ans (égorgé « accidentellement »), la mort du petit prince arrange ceux qui convoitent le trône. Pourtant, des années plus tard, un jeune homme prétend être Dimitri et parvient à devenir tsar de Russie. D’où venait-il ? Qui était-il vraiment pour que la propre mère de l’enfant disparu en 1591 le reconnaisse comme étant son fils ? Autre enfant royal disparu opportunément : le petit roi de France Jean Ier, né posthume en 1316 et mort cinq jours plus tard. Son décès permet à son oncle, alors régent du royaume, de monter sur le trône. Mais il se murmure que Jean n’est pas mort et qu’il a été échangé dès la naissance avec l’enfant de sa nourrice…
Les disparitions énigmatiques concernent parfois non pas un seul individu, mais toute une communauté, dont l’existence est attestée, et qui, subitement, n’ont plus donné signe de vie. Historia vous emmène de l’autre côté de l’Atlantique, au Nouveau-Mexique où tout un peuple a déserté ses terres sans raison apparente, vers l’an 1300. Fuite ? Mauvais présage annoncé ? Que penser également de cette colonie anglaise qui s’est établie en Amérique en 1587, et dont les compatriotes ne trouvent plus aucune trace lorsqu’ils accostent trois ans plus tard ? Les colons ont-ils été attaqués ? Décimés par une maladie ? Les fouilles archéologiques permettront peut-être un jour de lever le voile de mystères qui entoure ces disparitions massive…
Les objets d’art dont la trace est perdue fascinent également. Souvenons-nous qu’avant d’être dérobée en 1911 au musée du Louvre, La Joconde de Léonard de Vinci n’est pas aussi célèbre qu’aujourd’hui : c’est le vol de ce tableau qui suscite l’intérêt et, dès lors qu’elle est retrouvée, Mona Lisa n’en finit pas d’attirer les foules. Mais d’autres œuvres, qui se sont évanouies dans la nature passionnent également et on ne désespère pas de les voir, un jour, réapparaître…
mensuel N° 931-932 / juillet-août 2024 (numéro double)