Philippine-Elisabeth d’Orléans, fiancée de Don Carlos d’Espagne
Le 18 décembre 1714, la duchesse d’Orléans, née Françoise-Marie de Bourbon, accouche d’une sixième fille à Versailles, titrée Mademoiselle de Beaujolais. En raison de son sexe, la naissance de l’enfant passe inaperçue, ainsi que ses premières années, les regards étant davantage tournés vers son père, Philippe d’Orléans, qui obtient la régence du jeune Louis XV à la mort du Roi-Soleil, en septembre 1715. Mademoiselle de Beaujolais sera baptisée tardivement, le 20 novembre 1722, dans la chapelle du Palais-Royal à Paris, et aura pour parrain et marraine les souverains d’Espagne : Philippe V et Élisabeth Farnèse. C’est d’eux que la princesse tient ses prénoms : Philippe-Elisabeth. En effet, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, « Philippe » est un prénom mixte, régulièrement donné aux filles. Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle qu’on lui préfère la forme de « Philippine ». Cependant, il semble qu’au quotidien, la princesse usait de la forme féminisée de ce prénom, comme en témoigne sa signature.
C’est la princesse Palatine, grand-mère paternelle de l’enfant, qui nous livre des informations sur les jeunes années de Philippine à travers sa correspondance. Ainsi, en mars 1718, elle écrit : « C’est une belle enfant, jolie, vive et amusante ; je l’aime beaucoup, elle ne manquera pas d’esprit ». Madame est pourtant connue pour son franc-parler et, dans cette même lettre, elle critique les sœurs aînées de Mademoiselle de Beaujolais, dont elle déplore la mauvaise éducation. La princesse Palatine indique même, au sujet de sa première petite-fille morte au berceau, en 1694 : « Que Dieu me le pardonne, mais la mort de cette enfant ne me causa pas beaucoup de chagrin ». Il semble donc que Philippine ait réussit à charmer sa grand-mère. En 1719, Mademoiselle de Beaujolais est atteinte de la rougeole avec sa plus jeune sœur, Louise-Diane (née en 1716) mais s’en remet au grand soulagement de Madame, qui écrit en avril : « Les deux petites [Philippine et Louise-Diane] viennent à présent me voir chaque jour. Mademoiselle de Beaujolais est plus jolie et plus gentille que jamais ». Il apparaît vite que Philippine possède « par exception entre toutes les sœurs, une âme tendre et foncièrement honnête ». A Versailles, la petite princesse a comme compagne de jeu la fiancée de Louis XV, l’infante d’Espagne Marie-Anne-Victoire (née en 1718), arrivée en France en 1721.
Alors que Philippine n’a pas encore 8 ans, il est question, en avril 1722, de la fiancer à l’infant d’Espagne, Don Carlos, fils aîné de Philippe V et de sa seconde épouse, Élisabeth Farnèse. Le Régent vient de marier l’une de ses filles, Mademoiselle de Montpensier, avec l’héritier du trône espagnol, le prince des Asturies (né de la première union de Philippe V). Bien que la nouvelle princesse des Asturies déplaise à sa belle-famille par ses manières, Élisabeth Farnèse cherche l’appui de la France afin d’établir son fils aîné à la tête du duché de Parme ou du royaume de Naples. La reine a également peut-être entendu les louanges faits au sujet de Mademoiselle de Beaujolais et le Régent reçoit une demande officielle en août 1722, sollicitant la main de Philippine pour Don Carlos (né en 1716). Philippe d’Orléans accepte, heureux de marier une seconde fille dans la famille royale d’Espagne. A l’annonce des fiançailles, en novembre, la princesse Palatine ne cache pas sa joie : « J’avoue que je suis ravie de voir ma chère Mademoiselle de Beaujolais si bien établie ». Un portrait de Philippine est envoyé à Don Carlos et le Régent reçoit bientôt le compliment de la reine d’Espagne : « Le portrait de la princesse de Beaujolais nous a tous charmés : on ne peut voir plus charmante et plus aimable enfant ». A Madame, Élisabeth Farnèse écrit que « son petit mari [Don Carlos] en est fou et il attend avec beaucoup d’impatience le moment heureux de la voir ». L’infant d’Espagne est qualifié de « beau et plein d’esprit ». Quant à Louise-Elisabeth d’Orléans, elle se réjouit de l’arrivée prochaine de sa jeune sœur, et écrit à sa mère : « Je partage très sincèrement avec vous la joie du mariage de ma sœur de Beaujolais avec M. l’infant Don Carlos. [Je suis touchée] par le renfort de bonne compagnie qui me viendra ».
Le contrat de mariage est signé le 27 novembre 1722 au Louvre. Comme l’infante d’Espagne, fiancée de Louis XV, est élevée à la cour de France, il est conclu que Philippine prendrait la route de l’Espagne, et ferait son éducation à Madrid, auprès de son futur époux. Le juriste Mathieu Marais, contemporain des événements, note : « L’Espagne nous prend ce que nous avons de meilleur [Mademoiselle de Beaujolais]. Dieu la conduise et fasse d’elle un lien de paix ». Ainsi, à l’inverse de ses sœurs aînées, Philippine recevra une éducation soignée dans son pays d’adoption, et ne subira pas l’influence de la cour du Régent, aux mœurs légères.
Mademoiselle de Beaujolais se met en route pour l’Espagne le 1er décembre 1722, un voyage qui dure plus de deux mois. Sur le chemin, elle apprend la mort de sa grand-mère, la princesse Palatine, survenue le 8 décembre. Philippine prend alors le deuil. Elle rencontre sa famille d’adoption, ainsi que son fiancé, le 15 février 1723. De suite, Philippine fait la conquête des ses futurs beaux-parents et de l’infant Don Carlos, par son entrain et ses manières. Élisabeth Farnèse écrit au Régent que la jeune fille « dit cent jolies choses ; on se saurait croire les choses qu’elle dit, à moins de les entendre ; elle a un esprit d’ange, mon fils est trop heureux de l’avoir ». A la mère de Philippine – la duchesse d’Orléans – la reine d’Espagne confie : « C’est la plus plaisante chose du monde de la voir avec son petit mari, combien de caresses ils se font et combien ils s’aiment déjà l’un l’autre, ils ont mille petits secrets à se dire et ils ne peuvent se quitter un instant ». Le petit Don Carlos, âgé de 7 ans, écrit lui-aussi au Régent que Philippine le « comble de joie ».
Louise-Elisabeth ne tarde pas à prendre ombrage des éloges que reçoit Mademoiselle de Beaujolais. Le chevalier d’Orléans (Jean-Philippe, fils bâtard du Régent, qui a accompagné Philippine en Espagne) note sa crainte que la situation « n’excite la jalousie de la princesse des Asturies, fâchée que cette petite princesse vienne ici », bien qu’elle se soit dit ravie de l’arrivée de Mademoiselle de Beaujolais. Contrairement à ce qu’elle a vécu en France, Philippine est l’objet d’une grande attention à la cour de Madrid, ce qui explique peut-être qu’elle s’acclimate très vite. Son entourage fait tout pour la distraire, encouragé par sa gentillesse. La princesse est élevée avec son fiancé et, lorsque celui-ci prend froid et tombe malade, Philippine s’inquiète, pleure et demande de ses nouvelles… ce qui ne manque pas de toucher les souverains et toute la cour.
En janvier 1724, Philippe V abdique en faveur du prince des Asturies, qui devient Louis Ier. Louise-Elisabeth est reine d’Espagne mais pas pour longtemps : son époux décède de la petite vérole, en août de la même année, forçant Philippe V à remonter sur le trône. En France, Philippe d’Orléans, décédé en décembre 1723, a été remplacé par le duc de Bourbon, prince de Condé. Celui-ci décide de renvoyer l’infante Marie-Anne-Victoire, au début de l’année 1725, afin de marier Louis XV a une princesse en âge d’avoir des enfants. C’est un affront pour Philippe V et Élisabeth Farnèse, qui, en représailles, rompent les fiançailles de Mademoiselle de Beaujolais et de Don Carlos. Philippine doit regagner la France, avec sa sœur Louise-Elisabeth, veuve de Louis Ier. Elles quittent la cour le 30 mars 1725. En laissant derrière elle Don Carlos, à qui elle était fort attachée, Mademoiselle de Beaujolais laisse paraître un « profond chagrin » et sa gouvernante affirme que la princesse ne cesse « de pleurer jour et nuit » durant le voyage.
De retour en France, Philippine rejoint sa mère, la duchesse douairière d’Orléans. Celle-ci espère qu’avec le temps, une union entre sa fille et Don Carlos pourrait à nouveau être envisagée, d’autant que Mademoiselle de Beaujolais semble toujours désirer ce mariage. En 1730, Françoise-Marie de Bourbon écrit au cardinal de Fleury, Premier ministre de Louis XV, lui affirmant qu’elle souhaite encore un dénouement heureux pour Philippine et l’infant Carlos, qui n’est toujours pas marié. Aussi, en 1731, les négociations reprennent, après que Don Carlos soit rentré en possession du duché de Parme. Celui-ci est, lui-aussi, resté fidèle au souvenir de sa petite fiancée française, chérissant les cadeaux que Mademoiselle de Beaujolais lui a fait jadis (un portrait, une bague…). Pourtant, en France, la princesse est fort convoitée en raison de « son amabilité et ses charmes » : Philippine chante à merveille et s’accompagne à la guitare. La princesse fait le bien autour d’elle, se montre pieuse et charitable et semble fuir ses sœurs « afin de n’être appelée ni au blême ni à l’imitation ». Elle n’apparaît que peu à la cour, n’ayant pas goût pour les intrigues. On songe un temps à lui faire épouser son cousin, le comte de Charolais (frère du duc de Bourbon), un prince violent dont on espère adoucir le caractère en lui donnant Philippine pour femme. Mais l’espérance qu’ont Don Carlos et Mademoiselle de Beaujolais d’être un jour réunis aurait empêché toute autre union de se concrétiser. Edouard de Barthélemy écrit que la situation a tout d’un « charmant roman que l’on est heureux de trouver en plein XVIIIe siècle ».
Les timides échanges entre la France et l’Espagne, au sujet de la possible union entre Philippine et Don Carlos sont interrompus en 1733, lorsque débute la guerre de succession de Pologne, au cours de laquelle les rapports sont tendus entre les deux royaumes. Certains prétendent que la santé de Mademoiselle de Beaujolais se détériore dès lors que son mariage avec Don Carlos semble définitivement compromis, et que c’est cette « douleur » qui causera la mort de la princesse : en mai 1734, Philippine contracte la petite vérole alors qu’elle est avec sa mère, au château de Bagnolet, près de Paris. C’est là qu’elle décède, le 21 mai, à l’âge de 19 ans. En raison de la maladie qui l’a emportée, Mademoiselle de Beaujolais ne peut recevoir les honneurs funèbres dus à son rang. Elle est inhumée dès le lendemain, au couvent du Val de Grace, sans cérémonie. Philippine-Elisabeth est unanimement regrettée et Mathieu Marais écrit : « Tout le monde est dans les larmes et moi aussi. C’était une princesse charmante ». Quant à l’infant d’Espagne, il épousera une princesse de Saxe en 1738 et deviendra roi en 1759 sous le nom de Charles III, à la mort de son demi-frère Ferdinand VI.
Bibliographie :
– Lettres de Madame, duchesse d’Orléans, née princesse Palatine par Elisabeth-Charlotte de Bavière
– L’abbé Dubois, Premier ministre de Louis XV (volume 2), par Victor de Rodorel, comte de Seilhac