Philippe II Auguste : le roi empêché
A son retour de croisade en 1191, le roi Philippe II Auguste se met en quête d’une nouvelle épouse (la reine Isabelle de Hainaut est morte en 1190) pour assurer l’avenir de la dynastie car le fils unique qu’il a eu de son premier mariage, Louis, montre des signes de faiblesse. Philippe II fait demander la main de la sœur du roi du Danemark Kanut VI. Si certains s’étonnent que le roi de France aille chercher si loin une épouse, n’oublions pas que les danois possèdent alors une flotte bien équipée et pourraient devenir un appui pour Philippe Auguste, qui est en conflit avec le roi d’Angleterre, Richard Cœur de Lion.
Le 14 août 1193, Philippe II épouse ainsi Ingeburge de Danemark, à Amiens. On dit que la princesse danoise est d’une grande beauté et que le roi est immédiatement tombé sous son charme. Pourtant, au lendemain de la nuit de noces, le souverain avoue à l’archevêque de Reims qu’il est « ensorcelé » par la nouvelle reine et qu’elle le rend impuissant. Philippe Auguste exige qu’elle reparte pour le Danemark. On l’aura comprit, le mariage n’a pas été consommé. Encore aujourd’hui, on ignore ce qui a pu repousser le roi chez Ingeburge durant leur première nuit. Les rumeurs les plus folles ont couru à ce sujet. Certains parlent d’une malformation chez la reine (écailles sur le ventre, peau de lézard…), d’autres avancent que la reine n’était plus vierge lorsqu’elle est arrivée en France. A l’époque, on parle aussi beaucoup de sorcellerie. On évoque également une déception de Philippe Auguste face aux accords avec le Danemark.
Philippe II envoie la reine dans un couvent et obtient l’annulation de son mariage pour cause de parenté. Une fois débarrassé d’Ingeburge, le roi désire toujours se remarier pour avoir des fils. Après avoir essuyé plusieurs refus – les puissances étrangères n’ont nullement envie d’être humiliées comme le Danemark – le roi obtient la main d’Agnès, fille du duc de Méranie, Berthold IV. Philippe II l’épouse le 1er juin 1196 et devient bigame aux yeux de l’Eglise. En effet, bien que le pape Célestin III ait, dans un premier temps, cassé le mariage du roi avec la princesse de Danemark, le Saint-Père s’était ensuite rétracté (notamment à cause de l’opposition d’Ingeburge) et avait ordonné aux prélats français de ne pas permettre le remariage de Philippe Auguste.
En 1198, le nouveau pape Innocent III presse le roi de renvoyer Agnès de Méranie et de reprendre Ingeburge. La troisième femme de Philippe Auguste est considérée comme une concubine et Ingeburge comme l’épouse légitime du roi. Mais le souverain n’entend pas se plier aux exigences du pape. Furieux, Innocent III convoque un concile en l’abbaye Saint-Bénigne de Dijon le 6 décembre 1199. L’assemblée prononce l’interdit qui s’abat sur la France le 15 janvier 1200 : les messes et les prières collectives sont interdites, les déclarations de naissances, mariages et décès ainsi que les sacrements (baptêmes, confessions, communions, extrêmes-onctions) ne sont plus délivrés.
La situation préoccupe fort à Philippe Auguste, qui doit justement unir son fils aîné avec la jeune Blanche de Castille, mariage qui, de par l’interdit, ne peut plus se faire. Le roi promet alors de rappeler Ingeburge et renvoie Agnès de Méranie à contrecœur. En septembre 1200, suite à une réconciliation officielle entre le roi et son épouse légitime, l’interdit est levé. Enceinte, Agnès meurt le 20 juillet 1201 au château de Poissy après la naissance d’un troisième enfant de Philippe II, prénommé Tristan en raison « des peines au milieu desquelles sa mère l’avait mis au monde ». Le chagrin d’avoir dû quitter son époux qu’elle aimait et la honte qui pèse sur elle l’ont probablement achevée. Son dernier-né la suit dans la tombe.
Pour l’Eglise, la disparition d’Agnès et de son enfant est perçue comme une punition divine. Philippe Auguste fait inhumer Agnès à Mantes, en l’église de Saint-Corentin. Quant à Ingeburge, bien que reine de France, elle reste enfermée dans le château d’Etampes tandis que le roi continue de vivre en concubinage avec une « demoiselle d’Arras » (dont l’Histoire n’a pas retenu le nom), qui lui donne un fils naturel en 1208, Pierre-Charlot (qui sera légitimé par le pape Honoré III). La situation d’Ingeburge est figée jusqu’en 1212, date à laquelle Philippe Auguste projette d’envahir l’Angleterre. Il rappelle alors son épouse pour s’assurer de l’appui du Danemark.
Bien que reine, Ingeburge ne pourra jamais construire une relation avec son époux, en raison d’un trop lourd passif entre eux. Ce n’est qu’aux portes de la mort que Philippe II la nomme, pour la première fois, « ma chère épouse », en 1222, lorsqu’il rédige son testament.
Ainsi, Philippe Auguste ne put jamais supporter sa seconde épouse qui lui avait « noué l’aiguillette » selon l’expression de l’époque. Il fut un roi « empêché » jusqu’à son union avec Agnès de Méranie. En novembre 1201, peu après la mort de celle-ci, le pape légitime les deux enfants qu’elle a donnés au roi, afin qu’ils puissent ceindre la couronne de France, dans le cas où le prince Louis, fils aîné du roi, ne vivrait pas. En dépit de sa santé fragile, ce fils succède à Philippe Auguste en juillet 1223, sous le nom de Louis VIII. Il montre à Ingeburge un grand respect, laquelle n’aura jamais été appréciée de son époux, pour des raisons qui font encore débat aujourd’hui. Retirée au prieuré hospitalier de Saint-Jean, à Corbeil, la reine douairière décède en juillet 1236.
Bibliographie :
– Philippe Auguste de John Baldwin
– De quoi sont-ils vraiment morts ? du Dr Jacques Deblauwe
– Reines légitimes et reines d’aventure d’Emmanuel de Lerne