Philippe et Louis de Narbonne-Lara, fils de Louis XV ?
Philippe Louis Marie Innocent Christophe de Narbonne-Lara naît le 28 décembre 1750. Officiellement, il est le fils de Jean-François de Narbonne-Lara (1718-1806), maréchal des camps et des armées du Roi, et de Françoise de Châlus (1734-1821), dame d’honneur de la comtesse de Toulouse. Le couple est marié depuis juillet 1749.
Philippe de Narbonne passe pour être, en réalité, né de la liaison de sa mère avec Louis XV. Il est vrai que – curieusement – la jeune Françoise de Châlus reçoit la charge de première dame d’honneur de la duchesse de Parme – qui n’est autre que Marie-Louise-Elisabeth de France, fille aînée du roi – en 1749. Elle conservera ce poste jusqu’à la mort de celle-ci (en 1759) avant d’être nommée dame d’honneur de Madame Adélaïde (1732-1800), elle aussi fille de Louis XV. Quant à Jean-François de Narbonne, il est fait, suite à son mariage, gentilhomme de la chambre du duc de Parme. Sa carrière militaire fait également un bond en avant : juste avant son union avec Françoise de Châlus, il devient colonel du régiment de Soissonnais-Infanterie, charge qui lui a été refusée l’année précédente. A son retour de Parme en 1753, Jean-François de Narbonne devient commandant, brigadier et enfin maréchal des camps. Des années plus tard, en 1780, Louis XVI lui accordera le titre de duc.
Pourquoi donc tant de faveurs sont-elles accordées à l’époux de Françoise de Châlus ? N’est-ce pas pour récompenser son silence et le fait qu’il ait reconnu comme sien le fils que son épouse a eu du roi ? Quant à Françoise de Châlus, comment expliquer les charges qu’on lui octroie après la naissance de son fils ? N’est-ce pas là un aveu ? Bien des années plus tard, Philippe de Narbonne témoigne : « Les bontés de la famille royale m’avaient valu, à partir du jour de ma naissance, les bienfaits du Roy qui se sont succédés » (1816). En février 1771, à l’occasion du mariage de Philippe avec la fille du marquis de La Roche-Aymon, Antoinette-Françoise (1750-1838), Louis XV accorde une pension annuelle à la jeune mariée, ainsi qu’une place de dame d’honneur auprès de sa fille, Marie-Adélaïde. Quant à Philippe de Narbonne, il sera successivement capitaine des dragons au régiment de la Reine, maréchal de camp et lieutenant-général sous la Restauration.
Si la paternité de Philippe est attribuée à Louis XV, c’est avant tout pour la bonne raison que Jean-François de Narbonne était dans l’incapacité de procréer, depuis une blessure mal placée reçue en septembre 1746 au siège de Namur, lors de la guerre de succession d’Autriche (un coup de feu lui a emporté une testicule et une partie de la verge). C’est Jean-François de Narbonne lui-même qui fait mention de cette blessure dans une lettre, adressée au ministère de la Guerre en 1747 et qui est conservée dans les archives militaires de l’armée. Jean-François de Narbonne aurait donc accepté d’épouser l’une des maîtresses de Louis XV – et de reconnaître ses enfants – afin que le nom des Narbonne-Lara ne disparaisse pas.
En partant de là, on pourrait avancer que le frère cadet de Philippe, Louis Marie Jacques Amalric de Narbonne, né le 23 août 1755, est lui aussi un fils naturel de Louis XV. Plus connu que son aîné, Louis de Narbonne est ministre de la Guerre sous Louis XVI (de 1791 à 1792), puis aide de camp et confident de Napoléon Ier. Mais, si certains ont avancé que Louis de Narbonne est né de la relation entre Françoise de Châlus et le roi, d’autres pensent qu’il est, en réalité le fils caché de Madame Adélaïde, la propre fille de Louis XV. C’est justement au service de celle-ci qu’est affectée la duchesse de Narbonne à partir de 1759 (après avoir été au service de sa sœur aînée). Madame Adélaïde joue, il est vrai, un rôle important dans la vie de Louis de Narbonne. Choisie pour être sa marraine, la princesse veille à l’éducation de l’enfant, qui grandit à ses côtés. Par la suite, la princesse intervient afin que Louis monte en grade dans sa carrière militaire. On la voit régler les dettes de son protégé et c’est également la princesse qui arrange son mariage prestigieux avec Adélaïde-Marie de Montholon (1767-1848), fille unique de Nicolas de Montholon, conseiller au parlement de Paris et président du parlement de Rouen.
En 1791, alors que Louis de Narbonne prend une place importante au sein du parti constitutionnel, il accompagne les tantes de Louis XVI, Mesdames Adélaïde et Victoire (1733-1799) jusqu’à la frontière lorsqu’elles fuient la Révolution, au risque de se compromettre. Enfin, en 1800, le comte de Narbonne se trouve à Trieste où se meurt Madame Adélaïde. La protection de la princesse envers Louis de Narbonne – et le comportement de celui-ci vis-à-vis d’elle – a suffit pour avancer que, plus qu’une marraine, Marie-Adélaïde de France était sans doute la mère du comte de Narbonne. Mais dans ce cas, qui est son père biologique ? On avance alors le nom de Louis XV, qui aurait commis l’inceste avec sa fille. Le juriste Jacques Peuchet rapportera bien plus tard : « Le duc de Nevers a dit avoir vu Louis XV renouvelant avec Madame Adélaïde les libertés du Régent avec la duchesse de Berry [sa fille]. Toute la France sait que le comte Louis de Narbonne était le fils de cette princesse et du roi ».
Cependant, l’idée d’un inceste entre le roi et sa fille ne peut être prise au sérieux. En effet, cette hypothèse est lancée après la chute de la monarchie, à une période où toutes les rumeurs sont bonnes pour discréditer l’image de la famille royale. Ces commérages, qui courent dans les salons parisiens, se propagent au delà des frontières. Ainsi, le danois Peter Andreas Heiberg écrit : « On a dit que Louis XV avait fait de toutes ses filles ses maîtresses […]. Une des princesses royales fut enceinte et il fallut jeter un voile sur cette double faute royale […]. Mme de Narbonne, avec l’assentiment de son mari, se fit passer pour enceinte […]. L’enfant dut naturellement prendre le nom de ses parents supposés ». Un diplomate russe lance également la rumeur d’une liaison incestueuse entre Madame Adélaïde et son frère (le père de Louis XVI) : « On ne sait au juste si ce fut Louis XV ou le dauphin qui se rendit coupable de cet inceste. »
Pourtant, le lien qui unit Madame Adélaïde et Louis de Narbonne peut s’expliquer : si on admet qu’il est né d’une liaison entre la comtesse de Narbonne (Françoise de Châlus) et Louis XV, alors Marie-Adélaïde est plus qu’une marraine : elle est également sa demi-sœur. Cela expliquerait toutes les attentions dont la princesse a comblé le jeune Louis, celle-ci ayant fait de même pour les fils naturels dont nous sommes certains qu’ils naquirent de Louis XV : Louis-Aimé de Bourbon et Benoit-Louis Le Duc. Il est donc tout fait possible que Louis de Narbonne soit le fils du roi. D’autant que le comte de Narbonne affiche une ressemblance étonnante avec Louis XV. M. de Trémont écrit à ce sujet que Louis de Narbonne « offrait une ressemblance tellement frappante avec Louis XV, qu’il faut l’avoir vu pour se figurer à quel point elle était exacte. Mêmes traits, mêmes mouvements du corps. Des membres de la famille royale, Louis XVI seul a eu le type bourbonien à ce degré ».
La relation qu’il y a eu entre Françoise de Châlus et Louis XV, la blessure de Jean-François de Narbonne et les bontés de Madame Adélaïde pour Louis de Narbonne, indiquent que, comme son frère aîné Philippe, Louis de Narbonne est possiblement un enfant naturel du roi de France.
Louis de Narbonne devient aide de camp de Napoléon Ier, sous le Consulat, en 1811. Il gagne la confiance de l’empereur, de qui il est très proche. Alors qu’il se trouve sur la place forte de Torgau, sur l’Elbe (en Saxe) où il est commandant, le comte de Narbonne est victime d’une chute de cheval. Affaibli, il contracte le typhus, une épidémie s’étant déclarée au sein de son armée. Louis décède le 17 novembre 1813, au service de l’empire. Son cœur est ramené en France et son nom sera plus tard inscrit sur le pilier est de l’Arc de Triomphe, à Paris.
De son union avec Adélaïde-Marie de Montholon sont nées deux filles : Louise-Amable (1786-1849) et Marie-Adélaïde (1790-1856), qui ont toujours des descendants. Le couple s’entend mal et Louis, à l’instar de Louis XV, aura des maîtresses et des enfants naturels. Il est possible qu’il soit le père des deux fils de Germaine Necker, plus connue sous le nom de Madame de Staël. Quant à Philippe de Narbonne, il meurt sans descendance, le 10 mai 1834 à Paris, chez sa nièce Marie-Adélaïde, devenue comtesse de Rambuteau.
Bibliographie– Les bâtards de Louis XV et leur descendance,
par Joseph Valynseele et Christophe Brun
– Les enfants de Louis XV: descendance illégitime, par Henri Vrignault