Marie de Médicis : une jeunesse endeuillée
Rien ne prédestinait Marie de Médicis à devenir un jour reine de France. Lorsqu’elle naît, la dynastie des Valois règne encore : la veuve d’Henri II, Catherine Médicis, va voir trois de ses fils se succéder sur le trône, sans qu’ils laissent une descendance derrière eux. La date de naissance de Marie de Médicis fait encore débat : certains historiens penchent pour le 26 août 1573, d’autres pour le 26 avril 1575. Ce qui est certain, c’est qu’elle voit le jour à Florence. A cette époque, le roi de Navarre Henri III de Bourbon est déjà marié à Marguerite de Valois, sœur du roi de France.
A la mort d’Henri III de Valois, en août 1589, la couronne passe à son cousin, le roi de Navarre, qui monte sur le trône sous le nom d’Henri IV. Marguerite de Valois est reine de France. Mais les époux ne s’entendent pas et vivent séparés. Leur union n’a vu naître aucun enfant, ce qui n’a pas empêché Henri IV de montrer sa virilité en ayant de nombreux bâtards. Désormais roi de France, celui-ci se doit d’assurer sa descendance légitime. En 1599, alors qu’il a demandé l’annulation de son mariage auprès du pape Clément VII, Henri IV est décidé à épouser sa maîtresse, Gabrielle d’Estrées. En effet, le roi est déjà âgé de 46 ans et est usé par les nombreuses campagnes militaires qu’il mène depuis trente ans. Sa favorite lui a donné trois enfants et est à nouveau enceinte. Mais elle n’est pas aimée par le peuple français, qui la surnomme la « duchesse d’ordures ». Marguerite de Valois ne se résout pas à accepter l’annulation de son mariage, si c’est pour permettre à Henri IV de convoler ensuite avec sa maîtresse, et le pape est également de cet avis. Gabrielle meurt – opportunément – en couches, en avril 1599. Avec sa disparition, le gouvernement d’Henri IV se met en quête d’une nouvelle épouse pour le roi. Cependant, Marguerite de Valois et le souverain pontife ne consentiront à l’annulation du mariage (pour cause de stérilité) que si Henri IV s’unit à une femme digne d’être reine de France.
A l’époque, peu de princesses à marier sont disponibles, en raison de leur âge ou d’un problème de religion. Or, il est impératif de trouver une candidate capable de donner rapidement des enfants au roi. C’est le pape Clément VIII qui propose d’unir Henri IV à l’une de ses parentes, la nièce du grand-duc de Toscane, Marie de Médicis.
Marie est une lointaine cousine de la mère des derniers rois Valois, toutes deux ayant pour ancêtre Laurent de Médicis, dit « Le Magnifique » (1449-1492). Si Marie n’est pas d’une naissance aussi illustre qu’une infante d’Espagne ou qu’une archiduchesse d’Autriche, un mariage avec cette jeune femme apporterait des ressources financières importantes – et non négligeables – à la France, car Marie est issue de l’une des familles les plus riches d’Italie. Marie de Médicis est la fille du grand-duc de Toscane François Ier et de l’archiduchesse Jeanne de Habsbourg. Ainsi, elle a des ascendants issus de grandes familles : son grand-père paternel, Côme de Médicis, contrôle Florence et son grand-père maternel n’est autre que l’empereur d’Autriche Ferdinand Ier, frère de Charles Quint. Ainsi, en épousant Jeanne de Habsbourg, François de Médicis s’est allié avec l’une des grandes puissances d’Europe. Marie perd sa mère en avril 1578 : Jeanne meurt en couches à l’âge de 31 ans, après huit grossesses rapprochées. Elle laisse derrière elle trois filles et un fils, encore au berceau : Éléonore (née en 1567), Anne (née en 1569), Marie et Philippe (né en 1577). Depuis des années, Jeanne devait composer avec la maîtresse du grand-duc, Bianca Cappello.
De petite noblesse et veuve d’un employé de banque, Bianca Cappello est déjà la maîtresse de François de Médicis, avant son union avec Jeanne de Habsbourg. Le jeune homme a dû obéir à son père, le grand-duc Côme, et contracter une alliance avec l’Autriche, qui sert alors les intérêts du duché de Toscane. Avec la mort de Côme de Médicis, en 1574, Jeanne a perdu son principal soutien et doit faire face à un époux cruel et violent, qui l’humilie en s’affichant ouvertement avec sa maîtresse, dont l’influence s’est renforcée après la naissance d’un fils, en 1576.
Jeanne de Habsbourg est à peine enterrée que le grand-duc François s’empresse d’épouser Bianca, en décembre 1478. Pour la famille Médicis, ce nouveau mariage est une mésalliance. Le frère puîné de François, le cardinal Ferdinand de Médicis, ne cache pas son hostilité à l’égard de sa nouvelle belle-sœur. Quant à Marie, elle déteste Bianca, et s’indigne de voir « monter au lit de la fille d’un grand empereur [Jeanne de Habsbourg] la veuve d’un bourgeois de Florence ». Le comportement du grand-duc laisse même penser que la mort de Jeanne de Habsbourg n’est pas seulement la conséquence d’un accouchement malheureux : elle aurait été brutalisée par son époux, et aurait fait une chute, qui aurait entraîné une fausse-couche. Il faut dire que, dans la famille du grand-duc, trois femmes ont déjà disparu prématurément : en 1576, Pierre de Médicis (frère cadet de François), assassine son épouse, Léonora de Tolède, qui avait un amant. Quelques jours après, c’est Isabelle de Médicis, sœur du grand-duc, qui est assassinée par son mari (avec, sans doute, la complicité de son frère !) pour la même raison. On évoque également un empoisonnement pour expliquer la mort soudaine d’une autre fille de Côme Ier, Lucrèce de Médicis, décédée brusquement à l’âge de 16 ans en 1562…
Les enfants du grand-duc grandissent au palais Pitti, loin de leur père qui s’est installé à la ville de Pratolino avec Bianca et qui néglige sa progéniture. Le petit Philippe, l’unique fils légitime de François de Médicis, meurt à l’âge de 4 ans, en 1582. Il avait toujours été de santé délicate. L’héritier du grand-duc est désormais son frère, le cardinal Ferdinand. Deux ans plus tard, en 1584, Marie perd ses deux sœurs : l’aînée, Éléonore, quitte sa famille pour épouser le duc de Mantou, Vincent de Gonzague. Quant à Anne, elle est emportée, à l’âge de 14 ans, par une fièvre « causée par des saignements de nez prolongés ». La jeune Marie se retrouve seule et ne peut bientôt plus se passer d’une certaine Dianora Dori, une jeune florentine un peu plus âgée qu’elle et fille d’un menuisier. Cette nouvelle compagne de jeu – qui a beaucoup d’esprit – devient indispensable à la princesse de Toscane, si bien qu’elle la suivra en France, sous le nom de Léonora Galigaï… L’éducation de Marie est confiée par le grand-duc à une certaine Mme Orsini, qui lui inculque surtout le respect et la soumission qu’elle doit à son père. Princesse de Toscane, Marie reçoit une éducation soignée : elle aime les sciences, la chimie, s’intéresse aux arts qui font le rayonnement de Florence (architecture, sculpture, gravure, peinture) et au dessin. Comme son père, Marie se passionne pour les bijoux et les pierres précieuses, qu’elle apprend vite à reconnaître. En plus de toutes ses connaissances, la princesse demeure très dévote, extrêmement attachée au souvenir de sa mère.
En octobre 1587, Bianca Cappello et le grand-duc François meurent simultanément. Officiellement, les deux époux ont été emportés par une maladie, la « fièvre des marais » (la malaria). Le peuple de Florence ne les pleure pas : depuis son mariage avec Bianca, François de Médicis mécontentait les florentins, qui l’accusaient de débauche. Quant à la jeune femme, une « superstition populaire » en faisait une sorcière, qui avait « le mauvais œil ». Il est probable que les rumeurs répandues à son sujet venaient de la famille de Médicis, et plus particulièrement du cardinal Ferdinand, héritier du grand-duc. La disparition soudaine du couple mal-aimé laisse penser à un empoisonnement, qui aurait pu être ordonné par Ferdinand. D’ailleurs, des analyses pratiquées en 2007 sur les restes de François et de Bianca confirmeront une mort due à l’absorption d’arsenic. Mais si des soupçons d’assassinat planent sur le nouveau grand-duc Ferdinand (qui s’est empressé de renoncer à l’Église pour prendre la succession de son frère), les florentins préfèrent les oublier, trop heureux d’être débarrassés de François, qui gérait mal les affaires de Florence, et de la « sorcière ».
Si François de Médicis avait eu peu d’attentions pour Marie, Ferdinand prend sa nièce sous sa protection. En 1589, le grand-duc Ferdinand épouse une princesse française, Christine de Lorraine (petite-fille de Catherine de Médicis), à peine plus âgée que Marie, qui sera pour elle une amie. Auprès de son oncle, Marie apprend à apprécier le théâtre et la musique, dont elle était privée du vivant de son père. La princesse de Toscane est désormais une jeune fille cultivée, aimable et souriante. Comme elle avance en âge, le grand-duc Ferdinand décide de lui chercher un époux de haute naissance, digne d’elle. La richesse des Médicis attire de nombreux prétendants, qui sont repoussés, à l’exemple du duc de Bragance. Si certaines propositions sont jugées en dessous de ce à quoi peut prétendre la princesse de Toscane, d’autres n’aboutissent pas en raison de l’intervention de l’Espagne. En effet, le roi Philippe III craint que les richesses de Marie ne permettent à son futur époux de financer une guerre contre les Habsbourg. Des partis sont également rejetés par la princesse : ainsi, le comte de Vaudémont, frère de l’épouse du grand-duc Ferdinand, ne trouve pas grâce aux yeux de Marie. Il apparaît bientôt que la jeune fille croit à une prédiction que lui a faite une religieuse : elle sera un jour reine de France. Dès lors, elle annonce qu’elle préférerait s’enfermer dans un couvent, si la prédiction ne se réalise pas, plutôt que de contracter une autre alliance.
Le temps passant, il devient urgent de marier la princesse de Toscane car, en prenant de l’âge, Marie perd « de sa valeur » dans le jeu des alliances matrimoniales. Aussi, lorsque Florence apprend qu’Henri IV cherche une épouse, le grand-duc n’hésite pas à engager les négociations : Marie est largement en âge de procréer et, outre sa bonne santé, elle peut apporter une dot importante à la France, qui se relève de plusieurs décennies de guerres. D’autre part, Henri IV et ses prédécesseurs ont contracté de nombreux emprunts auprès des banques florentines. Épouser Marie de Médicis permettrait donc au roi de France d’éteindre ses dettes. Pour la princesse de Toscane, une union avec Henri IV sonne comme l’accomplissent de la prophétie. Après de multiples négociations au sujet de la dot de Marie, la France et Florence tombent d’accord sur un montant de 600.000 écus : 350.000 comptant et 250.000 qui viennent en déduction de la dette de la France.
Le 17 décembre 1599, le pape Clément VII prononce l’annulation du mariage d’Henri IV et de Marguerite de Valois. Le contrat de mariage entre le roi et Marie de Médicis est signé en mars 1600. Marie et Henri IV convole le 17 décembre 1600. Pour la nouvelle reine de France, c’est un rêve qui se réalise. Mais bientôt, elle devra faire face à bien des obstacles : dans son pays d’adoption, beaucoup la surnomment déjà « la grosse banquière » en raison des raisons financières qui ont poussé le gouvernement français à solliciter sa main. La nouvelle reine devra aussi compter avec la nouvelle favorite d’Henri IV, Henriette d’Entragues…
Bibliographie
– La vie intime d’une reine de France au XVIIe siècle : Marie de Médicis, par Louis Batiffol
– Les Médicis : XIVe-XVIIIe siècle, par Marcel Brion
– Marie de Médicis, par Philippe Delorme
– Histoire du grand duché de Toscane, sous le gouvernement des Médicis (volume 4) par Riguccio Galuzzi