Un Tableau, une Histoire

Marie-Antoinette et ses enfants

En 1786, Marie-Antoinette passe commande d’un tableau à Elisabeth-Louise Vigée-Lebrun. Celui-ci doit représenter la reine entourée de ses enfants. Contrairement à sa mère, l’ impératrice d’Autriche Marie-Thérèse, l’épouse de Louis XVI ne désire pas avoir un grand nombre d’enfants, et être constamment enceinte. Elle choisit d’en avoir peu mais de s’impliquer personnellement dans leur éducation. A la fin du XVIIIe siècle, les mentalités commencent à évoluer et les femmes accordent plus d’intérêt à leurs enfants qu’auparavant. Dès lors, les portraits de fratries ou de mères entourées par leur progéniture se multiplient. Ainsi, la belle-sœur de la reine, la comtesse d’Artois, s’est faite portraiturer avec ses trois enfants, en 1783.  

Marie-Antoinette et ses enfants, par Élisabeth-Louise Vigée Lebrun (1786-1787)
Marie-Antoinette et ses enfants, par Élisabeth-Louise Vigée Lebrun (1786-1787)

Le tableau d’Elisabeth-Louise Vigée-Lebrun  est peint entre 1786 et 1787. Il a pour but de redorer l’image de la reine. En effet, en 1785, Marie-Antoinette est victime de l’ « affaire du collier », escroquerie montée contre elle mais qui la perd définitivement aux yeux du peuple français. Les pamphlets se déchaînent sur Marie-Antoinette, la calomniant, l’accusant d’avoir de nombreux amants, des « favorites » (la duchesse de Polignac, la princesse de Lamballe…) , de vider les caisses de l’Etat pour ses toilettes et ses bijoux. Perçue comme une mauvaise reine et épouse, Marie-Antoinette décide enfin de répondre aux accusations qui courent à son sujet depuis tant d’années. Elle choisit pour cela l’image qui lui convient le mieux : celle de la mère. Car si Marie-Antoinette n’est pas une reine idéale, c’est une mère moderne, attachée à ses enfants, les aimant plus que tout.

Le rôle premier de Marie-Antoinette est de donner un fils à la France pour assurer la succession de Louis XVI. En avoir un – ou deux – de plus en « sûreté » est également souhaitable, compte tenu de la forte mortalité infantile. Après avoir mis au monde une fille, Marie-Thérèse, en 1778, suivie de deux fils – Louis-Joseph et Louis-Charles nés en 1781 et 1785 – Marie-Antoinette estime qu’elle a assez donné à la dynastie. Elle refuse de croire à une quatrième maternité en 1786 et ne l’admet qu’au cinquième mois de grossesse. Ainsi, la petite Sophie-Béatrice naît en juillet. 

Sur le tableau d’Elisabeth-Louise Vigée-Lebrun, Marie-Antoinette ne porte qu’une modeste paire de pendants d’oreilles laissant son cou vierge de tout collier. Après l’ « affaire du collier », c’est là un détail important, qui montre que la reine veut se racheter auprès de son peuple, en affichant qu’elle n’attache pas grande importance aux diamants et autres fantaisies. Elle veut donner avant tout l’image d’une mère attentionnée.

Détail du tableau de Mme Vigée-Lebrun
Détail du tableau de Mme Vigée-Lebrun

La reine aborde un visage aimable et touchant, qui renvoie un sentiment d’amour, une tendresse maternelle. Sa fille aînée, Madame Royale, est débout à sa droite et lui enlace le bras, signe que la jeune princesse aime sa mère et se sent en sécurité auprès d’elle. Sur ses genoux, Marie-Antoinette tient le duc de Normandie (futur Louis XVII), l’entourant de ses bras comme pour le protéger. Le petit prince semble vif et donne l’impression de gesticuler, ce qui témoigne d’une bonne santé (point rassurant pour l’avenir de la dynastie). Debout à gauche de la reine, se tient le dauphin Louis-Joseph dont la santé n’est, à cette date, guère brillante. Pourtant, il semble plein de vie sur le tableau d’Elisabeth Vigée-Lebrun : l’héritier du trône ne peut être montré affaibli et malade, pour sauvegarder l’image que doit renvoyer la monarchie. Le dauphin porte le ruban bleu et la plaque de l’ordre du Saint-Esprit, en tant que fils aîné du couple royal. Enfant chéri de la reine, Louis-Joseph apparaît naturel, affichant un léger sourire triste, tout en nous montrant un berceau vide : dans celui-ci devait figurer la petite Sophie-Béatrice, décédée en juin 1787, avant l’achèvement du tableau. Le peintre a donc effacé la dernière-née de la fratrie, pour ne pas causer plus de peine de Marie-Antoinette, qui a mal supporté la mort de sa fille. Le crêpe noir qui surmonte le berceau rappelle la disparition récente de l’enfant. 

Le comte d’Hézecques (1774-1835), relate dans ses « Mémoires » la perte de Sophie-Béatrice, survenue alors que l’œuvre est en cours de réalisation : « Madame Lebrun, célèbre artiste de notre siècle, était alors occupée à peindre ce beau tableau qu’on vit un instant dans le salon d’Apollon. Elle avait représenté, avec cet art surprenant de l’imitation des étoffes, la reine en robe de velours ponceau, ayant sur ses genoux son second fils, l’aînée de ses enfants appuyée sur son épaule, tandis que le Dauphin montrait, dans un berceau, sa petite sœur endormie. Tableau touchant, mais que la magnificence des costumes rendait froid. La mort de la jeune princesse fit effacer son image ; et bientôt son frère aîné l’ayant suivie dans la tombe, ce tableau, qui ne retraçait plus que des souvenirs douloureux, fut enlevé, et, depuis, il a disparu comme les augustes personnages qu’il représentait. ». Ainsi, si la dernière-née est effacée du tableau lorsqu’elle décède, l’œuvre est ôtée des appartements de la reine dès 1789, à la mort du dauphin, Marie-Antoinette ne supportant plus de voir le portrait de son fils disparu. 

Sophie-Béatrice de France (ébauche de Mme Vigée-Lebrun pour son tableau)
Sophie-Béatrice de France (ébauche de Mme Vigée-Lebrun pour son tableau)

A travers ce tableau, la reine est célébrée en tant que mère. Entourée de ses quatre enfants, elle montre qu’elle s’est acquittée de son devoir envers le royaume, et que la dynastie des Bourbon est assurée avec deux héritiers mâles, et deux princesses qui pourront servir la politique de Louis XVI, par de futures unions matrimoniales. Mais si ce tableau a été remisé à cause de la douleur de Marie-Antoinette, une autre raison imposait qu’il soit décroché : en effet, la perte d’un enfant est une chose courante au XVIIIe siècle et le fait que ce soit une fille qui disparaît en 1787 ne fragilise pas la succession de Louis XVI. En revanche, dès lors qu’il ne reste qu’un seul fils sur les deux engendrés par le couple royal, c’est la monarchie qui est fragilisée. Dès lors,  si effacer l’image de la petite Sophie-Béatrice – encore au berceau – est concevable, il est bien plus délicat d’effacer celle du prince qui était l’héritier de la couronne. Ainsi, la disparition de deux des quatre enfants de Marie-Antoinette fragilise à nouveau sa position : avec une fille et un fils survivants, il apparaît difficile pour la reine de renvoyer l’image d’une épouse royale s’était acquittée de son devoir dynastique. Il a donc était préférable, à tous les points de vue, de soustraire le tableau d’Elisabeth Vigée-Lebrun aux yeux du monde. Celui-ci a cependant été conservé dans les collections de Versailles, et est aujourd’hui de nouveau exposé, dans les appartement de la reine. 

Voici ce qu’aurait pu être le tableau de Mme Vigée-Lebrun, censé représenter les quatre enfants de la reine  (merci à Euyrale pour cette recomposition). Il s’agit là d’un montage réalisé spécialement pour cet article. Je vous remercie de citer votre source, en cas d’utilisation de celui-ci :

la_reine_et_ses_enfants.jpg

Le tableau de Mme Vigée-Lebrun est également repris et détourné dans le film « Marie-Antoinette », de Sofia Coppola (2006) :

Le tableau, tiré du film "Marie-Antoinette" de Sofia Coppola
Le tableau, tiré du film « Marie-Antoinette » de Sofia Coppola

Dans le film, le tableau n’est pas censé restituer la réalité. Il sert à mettre l’accent sur le drame de la mort d’un enfant pour la reine. Aussi, dans la première version du tableau, les trois premiers enfants de Marie-Antoinette sont représentés. Le petit Louis-Charles n’est pas sur les genoux de sa mère, mais dans le berceau. La seconde version du tableau montre le berceau vide, faisant comprendre au public que la reine a perdu l’un de ses enfants en bas âge (sans que la chronologie et l’ordre des disparitions ne soient respectés). 

Bibliographie

– Les reines de France au temps des Bourbons : Marie-Antoinette l’insoumise, par Simone Bertière
Souvenirs d’un page de la cour de Louis XVI, par François-Félix de France, comte d’Hézecques
Les portraits de Marie-Antoinette ( étude d’iconographie critique)par Albert Vuaflart et Henri Bourin

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