Un Tableau, une Histoire

Marie-Antoinette a-t-elle emprunté les traits de sa sœur ?

L’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche met au monde seize enfants. Tous, y compris ceux qui décèdent en bas âge, sont représentés à travers de multiples portraits, réalisés notamment par Martin Van Meytens. Vers 1767 ou 1768, un  peintre resté inconnu – et surnommé aujourd’hui « le maître des portraits des archiduchesses » – réalise le portrait d’une fille de l’impératrice. Celle-ci est considérée comme beaucoup comme étant Marie-Antoinette, future reine de France. Ce portrait est  encore aujourd’hui utilisé abondamment pour illustrer les biographies de l’épouse de Louis XVI, ou encore des documentaires télévisés :

Portrait dit de l'archiduchesse Marie-Antoinette d'Autriche 
Portrait dit de l’archiduchesse Marie-Antoinette d’Autriche 

Pourtant, un doute demeure quant à l’identité de l’archiduchesse représentée sur ce tableau. Si les historiens français y voient Marie-Antoinette, pour les historiens autrichiens, il s’agit d’une sœur aînée de Marie-Antoinette, Marie-Josèphe, morte prématurément à l’âge de 16 ans, sans avoir pu rester dans les mémoires, à l’inverse d’autres filles de l’impératrice, qui ont fait un mariage prestigieux.  En effet, en 2009, on découvre sous le cartel du tableau une inscription selon laquelle il s’agit de l’archiduchesse Marie-Josèphe : 

Cartel découvert sous le portrait de l'archiduchesse (source : Le boudoir de Marie-Antoinette)
Cartel découvert sous le portrait de l’archiduchesse (source : Le boudoir de Marie-Antoinette)

La confusion est permise, les dix filles de l’impératrice présentant forcément quelques traits communs. D’autre part, comment ne pas se flatter que cette jeune et belle archiduchesse soit la future reine de France, plutôt que sa sœur morte trop tôt et tombée dans l’oubli ?

Le portait en question est actuellement conservé à Schönbrunn avec l’inscription (traduite) : « l’archiduchesse Marie-Josèphe, vers 1765-1767 ». Notons qu’à l’époque où le tableau est réalisé, Marie-Antoinette n’est âgée que de 10 à 12 ans. Or, l’archiduchesse représentée ici semble bien avoir quelques années de plus. A titre de comparaison, voici un autre portrait de l’archiduchesse Marie-Josèphe, peint par Martin Van Meytens, conservé dans la galerie des portraits, au palais impérial à Innsbruck :

l'archiduchesse Marie-Josèphe par Martin Van Meytens 
l’archiduchesse Marie-Josèphe par Martin Van Meytens 

Sur ce portrait, le visage de l’archiduchesse est identique à celui du portrait qui nous interpelle. Sur les deux portraits, l’archiduchesse porte les mêmes boucles d’oreilles, la même broche dans les cheveux, a la même coiffure. On retrouve également les mêmes traits du visage sur les deux portraits, y compris la fossette sous le menton :

Détail du portrait de l'archiduchesse Marie-Josèphe (par Van Meytens) et de celui peint par "le maître des portraits des archiduchesses"
Détail du portrait de l’archiduchesse Marie-Josèphe (par Van Meytens) et de celui peint par « le maître des portraits des archiduchesses »

Autre élément de comparaison, le tableau de Marie-Antoinette, peint également par Meytens, exposé lui aussi dans la galerie des portraits au palais impérial, à Innsbruck :

l'archiduchesse Marie-Antoinette par Martin Van Meytens 
l’archiduchesse Marie-Antoinette par Martin Van Meytens 

Force est constater que le visage de la future reine de France n’a rien à voir avec celui de sa sœur aînée, et que ce ne sont pas ses traits que l’on retrouve dans le portrait réalisé entre 1765 et 1767 :

 Comparaison des portraits des archiduchesses Marie-Josèphe et Marie-Antoinette (par Van Meytens) avec celui qui nous intéresse (au centre)

Sur d’autres portraits officiels de l’archiduchesse Marie-Antoinette, on retrouve son visage allongé :

    De gauche à droite : Marie-Antoinette par Jean-Baptiste Charpentier (1769), par Martin Van Meytens et par François-Hubert Drouais (1773)

Un tableau de l’archiduchesse Marie-Josèphe a été commandé et envoyé à Naples, à l’occasion de ses fiançailles avec Ferdinand IV, roi de Naples et de Sicile. Celui-ci a déjà été fiancé à une autre fille de l’impératrice, l’archiduchesse Jeanne-Gabrielle, morte en 1762 à l’âge de 12 ans. Marie-Thérèse propose alors au roi de Naples sa fille suivante , Marie-Josèphe, née en 1751. Le destin de celle-ci est bien malheureux : avant de partir pour Naples,  l’archiduchesse descend dans la crypte familiale, sur l’insistance de sa mère, pour se recueillir sur la sépulture de l’épouse de son frère Joseph II, emportée par la variole au mois de mai 1767. Hélas, le tombeau n’est pas scellé correctement et Marie-Josèphe contracte la maladie. La jeune archiduchesse décède le 15 octobre 1767. Ce sera finalement l’archiduchesse suivante, Marie-Caroline, qui épousera le fiancé de ses deux sœurs aînées, mortes prématurément. Le portrait officiel de Marie-Josèphe, réalisé par Francesco Liani, est toujours conservé à Naples, au palais de Caserte : 

Portrait officiel de Marie-Josèphe d'Autriche, par Francesco Liani 
Portrait officiel de Marie-Josèphe d’Autriche, par Francesco Liani 

Il est troublant de constater que l’archiduchesse représentée par le « maître des portraits des archiduchesses » a énormément de points communs avec le portrait de Marie-Josèphe peint par Francesco Liani : même position, même robe, mêmes bijoux, même décor… seul le visage est différent mais nous retrouvons les traits de l’archiduchesse Marie-Josèphe dans son portrait par Martin Van Meytens (voir plus haut) :

Détails des portraits peint par Francesco Liani (représentant Marie-Josèphe) et du "maître des portraits des archiduchesses" 
Détails des portraits peint par Francesco Liani (représentant Marie-Josèphe) et du « maître des portraits des archiduchesses » 

Dans ce cas, quelle archiduchesse est représentée sur le tableau qui nous interpelle ? Il est possible que le modèle d’origine soit Marie-Josèphe, puis que le tableau ait été copié après sa mort, pour représenter l’archiduchesse Marie-Antoinette : ainsi, seul le visage de l’archiduchesse aurait été modifié. Cela expliquerait que l’on peine à reconnaître Marie-Antoinette sur un portrait censé la représenter… mais dont les traits d’origine sont ceux de sa sœur disparue. Ce qui évident, c’est que le « maître des portraits des archiduchesses » s’est inspiré du tableau de Francesco Liani. Si l’artiste réalise son oeuvre en 1767, il peut s’agir de l’archiduchesse Marie-Josèphe. Si le portrait est réalisé fin 1767 ou en 1768, il s’agit alors de Marie-Antoinette… peinte d’après le portrait de sa défunte sœur (seuls les traits du visage auraient été retouchés). A cette époque, Marie-Antoinette est pressentie pour devenir l’épouse du dauphin de France : il faut donc des portraits d’elle et ce rapidement.  Si le procédé peut choquer, cette manière de faire n’est pas nouvelle, comme en témoignent les gravures de Nicolas de Larmessin, représentant les deux épouses successives du dauphin Louis-Ferdinand, père du futur Louis XVI.

Qu’il y ait eu deux versions du portrait de Marie-Josèphe (par Francesco Liani puis par le « maître des portraits des archiduchesses ») ou que l’on ait remanié un portrait de la défunte archiduchesse pour représenter Marie-Antoinette, je me range derrière l’avis des historiens autrichiens, et décide de voir en cette gracieuse et jolie archiduchesse, Marie-Josèphe (1751-1767). Chacun se forgera sa propre opinion… 

Sites consultés  :

– Connaissances de Versailles 

– Le boudoir de Marie-Antoinette 

– Le forum de Marie-Antoinette

– A travers champs 

– Maria Theresia und die Hofburg in Innsbruck 

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