L'empire des Habsbourg

Marguerite d’Autriche : Princesse de la Renaissance

Marguerite d’Autriche, princesse de Bourgogne, naît le 10 janvier 1480 à Bruxelles. Elle est la fille de l’empereur Maximilien Ier de Habsbourg (1459-1519) et de Marie de Bourgogne (1457-1482). Le couple a déjà eu un garçon, Philippe, né en 1478. De par sa mère, Marguerite se trouve être la petite-fille de Charles le Téméraire (1433-1477). En mars 1482, Marie de Bourgogne décède prématurément d’une chute de cheval, laissant deux enfants et un époux qui a du mal à se faire accepter des flamands, en raison de ses origines étrangères. Pour conserver une paix fragile, Maximilien n’a d’autre choix que de céder l’Artois et la Franche-Comté au roi de France, Louis XI. Le traité d’Arras, signé le 24 décembre 1482, prévoit l’union de la jeune princesse de Bourgogne avec le dauphin, Charles de Valois.

Marguerite doit quitter sa famille pour être élevée à la cour de France par Anne de Beaujeu, fille aînée de Louis XI.  Celle que l’on appelle désormais « Madame la Dauphine » prend la route de son pays d’adoption en avril 1483. Durant tout le voyage, la petite  archiduchesse est honorée comme la future reine de France, selon le souhait de Louis XI. Marguerite rencontre le dauphin à Amboise, et le mariage des deux enfants – âgés de 3 et 13 ans – est célébré le 22 juin.

Marie de Bourgogne (par Niklas Reiser, fin XVe siècle) et Maximilien Ier (par Bernhard Strige, vers 1500)
Marie de Bourgogne (par Niklas Reiser, fin XVe siècle) et Maximilien Ier (par Bernhard Strige, vers 1500)

Lorsque Louis XI s’éteint le 30 août 1483, Marguerite d’Autriche devient théoriquement reine de France, bien que son mariage ne soit pas encore consommé. A la cour d’Anne de Beaujeu (sœur aînée de Charles VIII et régente durant sa minorité) Marguerite reçoit une éducation soignée, digne de sa future fonction, et vit entourée des enfants royaux qui sont également ses cousins. En effet,  Marguerite descend du roi de France Jean II par sa grand-mère maternelle, Isabelle de Bourbon. Le jeune Charles VIII manifeste beaucoup de tendresse à l’égard de la petite reine, mais la voit rarement. Il lui écrit cependant de nombreuses lettres, pleines de gaieté. Élève douée et en avance sur son âge, Marguerite maîtrise rapidement les langues et la musique.

Tout bascule à la mort du duc de Bretagne, François II, en 1488 : le père de Marguerite s’unit à sa fille et héritière, Anne de Bretagne. Mais la France convoite le duché et la situation en Europe s’envenime. Pour sauvegarder la paix, Anne de Beaujeu propose une union entre Charles VIII et Anne de Bretagne ! Le mariage de Maximilien et de la petite duchesse bretonne est annulé, tandis que Marguerite est répudiée.  Son union avec le roi de France n’ayant pas été consommée, il est très facile de renvoyer l’archiduchesse. Charles VIII « prend congé » de Marguerite en novembre 1491. La scène est touchante et la princesse de Bourgogne soupire : « A cause de ma jeunesse, personne de pourra dire ou présumer que ce qui arrive l’a été par ma faute ». Elle n’a que 11 ans mais se sent déjà humiliée par la France et gardera une profonde rancœur à l’égard de ce pays, qui l’a rejetée après l’avoir traitée en reine. Marguerite reste encore deux ans en France, en otage, le temps que Charles VIII et l’empereur Maximilien négocient la restitution d’une partie de la dot, par le traité de Senlis, signé le 23 mai 1493. Marguerite peut alors regagner les Pays-Bas. Elle y est accueillie par son frère, Philippe le Beau, et s’installe à Namur, où elle parfait son éducation, entourée par l’affection de « sa grand-mère » par alliance, Marguerite d’York (1446-1503), seconde épouse de Charles le Téméraire, qui éleva la défunte Marie de Bourgogne comme sa propre fille.

Marguerite d'Autriche, par Jean Hey (vers 1490)
Marguerite d’Autriche, par Jean Hey (vers 1490)

En 1495, l’empereur Maximilien, toujours en conflit avec la France, conclut avec une double alliance avec les souverains espagnols Ferdinand II d’Aragon et Isabelle de Castille : Philippe le Beau épouse la princesse espagnole Jeanne (née en 1479) , tandis que Marguerite s’unit avec son frère Juan (né en 1478), héritier des couronnes d’Aragon et de Castille. Le mariage a d’abord lieu par procuration, le 5 novembre 1496, avant que la princesse de Bourgogne ne quitte une fois de plus sa famille, pour se rendre en Espagne, où elle épouse Juan d’Aragon le 3 avril 1497. Marguerite tombe vite sous le charme de son époux, cultivé et prévenant envers elle, avec qui elle partage une passion pour la chasse et la musique. Mais le prince espagnol est, hélas, de santé fragile. A la fin de l’été, Juan d’Aragon contracte la variole – ou la tuberculose – et s’affaiblit rapidement. Pour les médecins de l’époque, ce sont les ébats amoureux de Juan et de son épouse qui ont mené le prince au tombeau ! Il décède le 4 octobre, à l’âge de 19 ans, laissant Marguerite enceinte. Âgée de 17 ans, la princesse de Bourgogne est veuve, après seulement quelques mois de mariage. Le 8 décembre, elle accouche d’une fille mort-née. N’ayant plus rien en Espagne, où sa présence rappelle trop de souvenirs douloureux aux souverains en deuil, Marguerite rentre aux Pays-Bas en 1499. En mars 1500, elle assiste au baptême de son neveu – dont elle est la marraine – le futur Charles Quint.

Jeune et à nouveau « disponible », Marguerite est proposée en mariage à un allié de son père et de son frère, le duc de Savoie Philibert II, âgé lui-aussi de 20 ans. Les deux jeunes promis sont parents : la mère de Philibert et la grand-mère maternelle de la duchesse de Bourgogne – Marguerite et Isabelle de Bourbon – étaient sœurs. Le pape accorde une dispense. Jeune et aimant les divertissements, Philibert II laisse son gouvernement et son demi-frère naturel René, dit « le bâtard de Savoie », diriger les affaires. Partie rejoindre les terres de Savoie, Marguerite épouse Philibert le 3 décembre 1501. Les deux époux se plaisent et la nouvelle duchesse de Savoie s’attire rapidement la sympathie de ses nouveaux sujets.

Juan de Castille et d'Aragon (détail du tableau "La Vierge des Rois Catholiques", 1491/1493)
Juan de Castille et d’Aragon (détail du tableau « La Vierge des Rois Catholiques », 1491/1493)

Marguerite est décidée à exercer le pouvoir qu’a délaissé Philibert, et met en pratique les leçons que lui a données Anne de Beaujeu durant son séjour en France. Pour elle, il est inconcevable que le frère bâtard de son époux dirige les affaires savoyardes. Bientôt, René est accusé de trahison et doit s’exiler. Mais le 10 septembre 1504, le nouveau bonheur de Marguerite vole en éclats : Philibert meurt d’une pleurésie, à l’âge de 24 ans. Le sort semble s’acharner sur la jeune princesse, qui adopte la devise « Fortune infortune fort une », (qui signifie « Fortune et Infortune ne font qu’une »), reflet de ses malheurs personnels. Marguerite, qui a goûté au pouvoir, ne veut pas lâcher celui-ci et administre son douaire en véritable souveraine, entrant souvent en conflit avec le successeur et frère cadet de Philibert, Charles II. Philippe le Beau souhaiterait que sa sœur épouse le roi d’Angleterre Henry VII, mais Marguerite ne souhaite pas se remarier.

Le 25 septembre 1506, Philippe le Beau meurt d’une fièvre typhoïde. Depuis le décès de Juan d’Aragon, sa sœur Jeanne (l’épouse de Philippe), était destinée à hériter des couronnes d’Aragon et de Castille. Philippe et Jeanne avaient rejoint l’Espagne après la mort d’Isabelle de Castille (1504). Dès lors, le fils aîné de Philippe le Beau, Charles, hérite du duché de Bourgogne, mais est également héritier des couronnes de Castille et d’Aragon. Sa mère sombre dans la folie après le décès de Philippe et entrera dans l’histoire sous le nom de « Jeanne la Folle ». Marguerite d’Autriche est désignée pour assurer le gouvernement des Pays-Bas et l’éducation de ses neveux et nièces. Quittant la Savoie, elle est proclamée régente des Pays-Bas le 22 avril 1507, et s’installe à Malines avec le petit Charles et ses trois sœurs.

Philibert II de Savoie, d'après Jean Mostaert (portrait posthume, vers 1521)
Philibert II de Savoie, d’après Jean Mostaert (portrait posthume, vers 1521)

Bien que de retour chez elle, Marguerite sera toujours perçue comme une étrangère par les habitats des Pays-Bas, et les membres des État généraux, qui lui reprochent les guerres auxquelles le pays doit faire face. La régente ne peut compter sur l’aide de son père et doit faire front seule, mettant encore une fois à profit son éducation française, et son expérience en Savoie. D’abord alliée de la France, Marguerite finit par s’associer à l’Angleterre et à l’Espagne contre le royaume de Louis XII. Dans toutes les décisions qu’elle prend, la régente ne voit que l’intérêt de son neveu. Mais les États généraux demandent rapidement à ce que Charles soit émancipé, ce à quoi Marguerite consent, le 5 janvier 1515. Elle n’a désormais plus qu’un rôle de représentation et a de moins en moins de contacts avec son neveu, désormais sous l’influence de son précepteur, le seigneur de Chièvres né Guillaume de Croy, qui devient l’un des plus proches conseillers de Charles.

En 1516, Charles hérite du trône d’Aragon suite à la mort de son grand-père maternel, Ferdinand II, et se retrouve également roi de Castille, conjointement avec sa mère Jeanne. Charles part pour l’Espagne avec le seigneur de Chièvres. Il nomme sa tante membre de son Conseil et lui donne, par la suite, plus de responsabilités, Marguerite parvenant à s’attirer la sympathie du peuple, qui se sent abandonné par Charles. A la mort de l’empereur Maximilien, en janvier 1519, Charles se présente à la succession de son grand-père, contre le roi de France François Ier. Il est élu « roi des Romains » le 28 juin 1519. Conscient que sa tante a œuvré pour sa cause, celui qui est désormais Charles Quint nomme Marguerite « régente et gouvernante » des Pays-Bas, lui accordant ainsi « autorité, faculté et pleine puissance » sur ses états. Marguerite entretient une correspondance régulière avec son neveu, et est la seule destinataire de la correspondance secrète de l’empereur.

"Enfance de Charles-Quint : une lecture d'Erasme", par Edouard Hamman (1863) : Charles, âgé de 11ans, est assis près de sa tante Marguerite
« Enfance de Charles-Quint : une lecture d’Erasme », par Edouard Hamman (1863) : Charles, âgé de 11ans, est assis près de sa tante Marguerite

Depuis l’accession au pouvoir de Charles Quint, le conflit avec la France n’en finit pas. Marguerite fait de son mieux pour maintenir son autorité – et donc celle de son neveu – aux Pays-Bas, malgré le manque d’argent et les mauvaises révoltes. En effet, en dépit de la victoire de Charles Quint à Pavie, le 24 février 1525 – et de la capture de François Ier – les Pays-Bas traversent une crise et Marguerite écrit à son neveu : « Vos sujets sont las de la guerre, et moi de la mission que vous m’avez confiée ». Les États sont fatigués de payer pour un empereur qu’ils ne voient que trop rarement, et qui réclame toujours plus de fonds pour financer ses guerres.

En 1529, la mère de François Ier, Louise de Savoie, prend contact avec Marguerite d’Autriche pour négocier la paix entre son fils et Charles Quint. En effet, depuis le traité de Madrid de 1526, les deux petits-fils de Louise sont les otages de l’empereur, à la place de leur père. Louise de Savoie tient à récupérer les jeunes princes. Marguerite et Louise se connaissent bien et ont grandi ensemble à la cour de France. Cette dernière est également la sœur du défunt mari de Marguerite, Philibert II. Les deux femmes vont discuter de la paix en l’absence de leur fils et neveu et les négociations aboutissent à la paix de Cambrai, signée le 3 août, appelée également la « paix des Dames » : Charles Quint récupère ainsi la Bourgogne et cède l’Artois à François Ier, lequel renonce à ses prétentions italiennes. Les princes français sont libérés contre une rançon et François Ier scelle la paix en épousant Éléonore, la sœur de Charles Quint.

Marguerite d'Autriche, en habit de deuil, par Bernard van Orley (vers 1518)
Marguerite d’Autriche, en habits de deuil, par Bernard van Orley (vers 1518)

Si Marguerite d’Autriche a œuvré en politique, elle s’est également occupée de ses neveu et nièces comme s’il s’agissait de ses propres enfants. Éléonore, Isabelle et Marie de Habsbourg – nées respectivement en 1498, 1501 et 1505 – n’ont presque pas connu leur père. Quant à leur mère, Jeanne, elle a sombré dans la folie après la mort de Philippe le Beau. Marguerite leur donne une bonne éducation, les initie à l’art et la musique. L’empereur Maximilien arrange les mariages d’Isabelle et de Marie, avec Christian II de Danemark et Louis II de Hongrie. En premières noces, Éléonore avait épousé le roi du Portugal Manuel Ier, sur ordre de Charles Quint. Déposé en 1523, le roi du Danemark et sa famille viendront trouver refuge aux Pays-Bas. Lorsqu’Isabelle décède en 1526, elle laisse trois enfants qui seront, eux-aussi, élevés par Marguerite. En 1522, Charles Quint est devenu père d’une fille illégitime, qu’il prénomme Marguerite (†1586), et dont il confie également l’éducation à sa tante. De ce fait, la cour de Malines forme de nombreux princes et princesses, destinés à régner, et devient le centre du pouvoir sous la régence de Marguerite d’Autriche. Ainsi, si l’archiduchesse n’a pas été mère, elle se voit confier  un grand nombre de ses neveux et nièces, sur deux générations, ce qui en dit long sur la bonne réputation dont elle jouit en matière d’éducatrice.

Marguerite s’entoure de poètes et écrit elle-même des vers, qui rappellent les deuils qu’elle a vécus. Aimant les livres, elle veut reconstituer la bibliothèque des ducs de Bourgogne. Elle va acquérir plus de trois cents manuscrits, constituant l’une des plus grandes collections de l’époque Médiévale.

Marguerite fait bâtir l’église de Brou, à Bourg, afin d’y reposer auprès de son époux, Philibert. Si l’archiduchesse pose la première pierre de l’édifice en 1506, elle ne reviendra plus à Bourg et ne verra pas l’achèvement de l’église. De Malines, Marguerite d’Autriche envoie les meilleurs artistes et maîtres d’œuvre, dont l’architecte Louis Van Boghem qui rejoint le chantier en 1512. La princesse voulant tout contrôler, la construction prend du retard, et l’église ne sera achevée qu’en 1532.

Transit de Marguerite d'Autriche, monastère de Brou
Transit de Marguerite d’Autriche, monastère de Brou

Après la « paix des Dames », Marguerite regagne Malines. Elle est épuisée et pourtant, elle doit faire face à des problèmes religieux (qui déchirent le pays de l’intérieur), à la peste et la famine. Victime de douleurs dans les jambes, et d’une blessure au pied qui s’infecte, Marguerite développe la gangrène à la fin de l’année 1530. Elle décède le 1er décembre, à Malines, laissant tous ses biens à son neveu, Charles Quint qui, prévenu de sa maladie, ne s’est pas déplacé. Dans sa dernière lettre à son neveu, pour qui elle a fait tant de choses, Marguerite dicte : « J’arrive au terme de ma vie […], je n’ai que le regret de ne pouvoir vous revoir. » Selon sa volonté, l’archiduchesse est inhumée aux côtés de son second époux, en l’église de Brou.

La vie n’aura pas épargné Marguerite d’Autriche : orpheline de mère très jeune, fiancée à Charles VIII puis répudiée à cause de la politique, la princesse de Bourgogne aurait pu s’épanouir dans le mariage avec l’infant Juan ou Philibert de Savoie. Là encore, le destin la frappe et à l’âge de 24 ans, elle est veuve de deux époux et sans enfant. A la mort de son frère, deux ans plus tard, elle se consacre pleinement à ses neveux, devenant pour eux une véritable mère de substitution, sa belle-sœur Jeanne ayant perdu la raison. Se relevant des drames familiaux, Marguerite incarne une femme de la Renaissance, aimant les arts, la littérature et la musique. Elle aura occupé une réelle fonction politique en Europe, veillant sur les intérêts de Charles Quint aux Pays-Bas espagnols et intervenant dans la diplomatie, avec à cœur de préserver la paix.

Bibliographie

–  Marguerite d’Autriche : sa vie, sa politique et sa cour, par Jean-Jacques Altmeyer
Les reines de France au temps des Valois : le beau XVIe siècle, par Simone Bertière
– L’Espagne des rois catholiques, par Louis Cardaillac
– Marguerite : Princesse de Bourgogne, par Jean-Pierre Soisson

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