Madame Elisabeth, sœur des derniers rois de France
Le 3 mai 1764, la dauphine Marie-Josèphe de Saxe met au monde son neuvième enfant : une petite fille. On baptise la nouvelle princesse Elisabeth-Philippine-Marie-Hélène. Couramment, elle se nommera Elisabeth. Alors qu’elle est encore un bébé, son père, le dauphin Louis-Ferdinand, meurt le 20 décembre 1765. Elle ne connaîtra pas davantage sa mère, qui décède le 13 mars 1767. Elisabeth sera toujours très proche de sa sœur Marie-Clotilde et de son frère aîné, Louis-Auguste, duc de Berry (futur Louis XVI). Elisabeth demeurera la seule personne qui aimera vraiment ce frère pour ce qu’il était. Durant sa petite enfance, la princesse aimera passer beaucoup de temps avec sa tante, Madame Louise, qui quittera la cour en 1771 pour devenir religieuse. Mmes de Guéménéé et de Marsan sont chargées de s’occuper de l’enfant et de son éducation. Autant sa sœur Marie-Clotilde est appliquée, sage et disciplinée, autant Elisabeth est têtue et distraite. Les deux princesses sortent parfois rendre visite aux pensionnaires de Saint-Cyr. Bientôt, Elisabeth s’y trouve une amie en la personne d’Angélique de Marckau, future marquise de Bombelles (dont le fils deviendra l’époux de l’Impératrice Marie-Louise). Sur la demande de Mme de Marsan, Mme de Marckau, mère d’Angélique, accepte de la seconder dans l’éducation d’Elisabeth. La petite princesse trouvera en elle l’esprit maternelle que Mme de Marsan n’a pas. On remarque très vite dans les études d’Elisabeth qu’elle est passionnée par les mathématiques, tout comme Louis-Auguste qui joue toujours le grand frère protecteur. La princesse possède une bibliothèque très fournie de deux mille soixante-quinze volumes sur l’histoire antique, la politique ; elle partage le goût de Louis XVI pour la lecture. Avec le temps, elle est devenue une élève docile et attentive autant que brillante. Madame Elisabeth est également une excellente cavalière et adore suivre ses frères à la chasse.
Elisabeth se montre fort attristée par la départ de sa sœur, Marie-Clotilde, en 1775, qui part épouser Charles-Emmanuel de Savoie, futur roi de Sardaigne. La petite princesse se rapproche de sa belle-sœur, Marie-Antoinette, avec qui elle monte quelques pièces de théâtre. Elisabeth se rapproche également de sa cousine, Louise-Adélaïde de Bourbon-Condé. En grandissant, Madame Elisabeth est devenue une superbe jeune femme et on penserait bien à la marier. On envisage un moment l’Infant du Portugal, Charles-Philippe de Savoie et même l’empereur Joseph II. Mais aucune négociation n’aboutie. Certains sont d’ailleurs persuadés qu’Elisabeth entrera en religion comme sa tante, Madame Louise. Mais bien que très croyante, la sœur de Louis XVI n’a pas de vocation religieuse. Un jour, la princesse déclarera « Je ne puis épouser que le fils d’un roi, et le fils d’un roi doit régner sur les Etats de son père. Je ne serai plus française, et je ne veux pas cesser de l’être. Mieux vaut rester ici, au pied du trône de mon frère, que de monter sur un autre ». En 1782, Louis XVI fait don à sa sœur d’une grande demeure à Montreuil où Madame Elisabeth y régnera comme la reine tient sa cour à Trianon. Elisabeth y reçoit ses amies, plus particulièrement sa chère Angélique de Bombelles qu’elle surnomme « Bombe ». La princesse est aussi la bienfaitrice des habitants de Montreuil : elle distribue le lait, les œufs et les légumes de sa maison aux enfants et aux personnes dans le besoin, rend visite aux personnes malades, accompagnée d’un médecin. Bien qu’intelligente, Madame Elisabeth ne s’engage pas trop en politique et évoque à peine dans sa correspondance l’Affaire du collier qui éclabousse la reine. Le 9 juillet 1786, Marie-Antoinette met au monde une petite fille prénommée Sophie-Béatrice, dont Elisabeth sera la marraine. Hélas, la petite Sophie meurt le 19 juin 1787, victime de convulsions. Bien qu’elle ne prenne pas part aux débats politiques, Madame Elisabeth comprend bien que son monde est en train de s’effondrer. Elle s’est fait parvenir des journaux et des libelles qui en disent long sur la fin de la monarchie. Après la chute de la Bastille, Elisabeth hâte le départ de sa chère Angélique de Bombelles le 1er août. Les deux amies sont néanmoins bien loin de se douter que c’est la dernière fois qu’elles se voient. Elles échangeront encore des lettres, espérant toujours pouvoir se retrouver. Louis XVI envoie, quant à lui, ses frères en exil étant sûr qu’il ne s’agit que « d’une affaire de trois mois ». Le comte d’Artois encourage Elisabeth à partir avec lui mais la princesse refuse, préférant rester auprès de son « auguste frère », Louis XVI. Quelques jours plus tard, la princesse suit la famille royale aux Tuileries. Là bas, elle va s’ennuyer à mourir, regrettant ses longues promenades à pieds et Montreuil. Parfois, Elisabeth aimerait aller passer quelques jours à Fontainebleau ou à Saint-Cloud. A chaque fois, c’est un refus. La famille du roi ne doit pas sortir de Paris. Durant son long séjour aux Tuileries, Elisabeth correspond beaucoup avec Mme de Bombelles.
Le 20 juin 1791, Madame Elisabeth est mise au courant du projet d’évasion qui doit avoir lieu la nuit même. Mais pour le roi de France, la fuite s’arrête, comme chacun le sait, à Varennes. Le voyage du retour vers la Capitale est un supplice pour Elisabeth, qui voit son frère et Marie-Antoinette hués par la foule. Elle avait senti la fin de la monarchie dés 1788 ; le manque de respect du peuple vis-à-vis des souverains lui fait comprendre qu’elle ne s’était pas trompée. De retour aux Tuileries, Elisabeth reprend ses correspondances avec Angélique de Bombelles et avec son frère, le comte d’Artois. Souvent, les lettres sont codées. La princesse fait preuve de calme, voit dans les malheurs de sa famille la volonté de dieu, prie beaucoup, a toujours de gentilles paroles pour ses proches et réconforte souvent Louis XVI. Le 20 juin 1792, une foule envahie le palais pour tuer la reine. Alors que le roi tente de calmer les fous furieux et que Marie-Antoinette est mise en sécurité auprès de ses enfants, Madame Elisabeth porte assistance à son frère manquant de se faire assassiner, des forcenés l’ayant prise pour la reine. Le 10 août, la famille royale est contrainte de quitter les Tuileries pour trouver refuge auprès de l’Assemblée qui siège au Manège. Le 13 août, Louis XVI et ses proches prennent la direction du Temple, palais du duc d’Angoulême (fils du comte d’Artois), vide depuis l’exil du frère du roi. La famille royale est logée dans la tour. Le 21 septembre, la monarchie est abolie. Dés lors, Madame Elisabeth n’est plus que « Elisabeth-Marie Capet ». La vie devient plus difficile pour Elisabeth qui subit les humiliations des gardes. Pourtant, si Marie-Antoinette juge que les français doivent être punis, Madame Elisabeth espère qu’ils seront pardonnés par dieu. Au Temple, elle donne des cours de mathématiques au dauphin et initie sa nièce, Madame Royale, à des travaux de coutures. Après un procès qui semblait déjà joué, Louis XVI est condamné à mort. Le 20 janvier 1793, Elisabeth voit son frère pour la dernière fois. Le roi est guillotiné le lendemain matin. Dés lors, le petit dauphin devient Louis XVII. La vie se durcie de jour en jour pour les prisonniers. Le 3 juillet, le jeune « Louis-Charles Capet » est arraché à Marie-Antoinette. Le 2 août, c’est la reine que l’on emmène. Avant de quitter le Temple, Marie-Antoinette confie sa fille à Madame Elisabeth. Voici que le 6 octobre, Elisabeth est confrontée à son neveu qui l’accuse d’attouchements et d’inceste. La princesse ne reconnaît plus l’enfant. Après s’être exclamée « Oh ! Le monstre » elle dira avec tristesse « cela ne peut être lui, ils l’ont rendu fou ». Elisabeth reporte maintenant toute son affection sur la seule parente qu’il lui reste en ces lieux : sa nièce Marie-Thérèse. La princesse apprendra à la jeune Madame Royale à se débrouiller seule, à ne pas rester inactive et à se méfier des geôliers.
Au soir du 9 mai 1794, on vient la chercher. Après des ultimes recommandations à Marie-Thérèse, Elisabeth est conduite à la Conciergerie. Après Louis XVI et Marie-Antoinette, s’ouvre le « procès » de la sœur du roi. Madame Elisabeth est humiliée par ses juges, mise plus bas que terre. On l’accusera surtout d’avoir fait parvenir des diamants à son frère, le comte d’Artois, pour organiser la contre-révolution et rétablir la monarchie. Mais tout est joué d’avance pour Elisabeth. En écoutant la sentence de mort, la princesse reste digne. Elle doit être exécutée le lendemain. Elle vient d’avoir 30 ans. Ce jour-là elle apprend la mort de sa belle-sœur, survenue le 16 octobre précédent. Elle réconforte les condamnés qui doivent eux aussi passer sous le couperet de la guillotine, leur disant qu’ils doivent être bienheureux de quitter « cette terre où il n’y a aujourd’hui que tourments et douleurs ». Elisabeth sera la dernière appelée ce 10 mai sur l’échafaud. La princesse monte courageusement les marches. Arrivée en haut, son fichu de mousseline glisse. Elisabeth demande alors à son bourreau « Au nom de la pudeur, couvrez-moi monsieur ». Le bourreau lui rajuste son vêtement, Elisabeth vient de prononcer ses derniers mots. Plusieurs témoins affirment qu’à l’instant où Madame Elisabeth fut guillotinée, une odeur de rose se répandit. Ce fut un choc pour les comtes de Provence et d’Artois ainsi que pour Marie-Clotilde d’apprendre la mort de leur sœur. Beaucoup ne comprennent pas pourquoi il fallait faire mourir cette femme pieuse qui jamais ne causa de tort autour d’elle. Napoléon Ier lui-même ne comprendra jamais pourquoi Elisabeth fut envoyée à l’échafaud car « elle ne le méritait pas ». En 1795, Madame Royale apprend la mort de sa tante et déclare qu’elle espère qu’un jour elle sera mise au rang ses saintes. Angélique de Bombelles reçut la nouvelle comme un coup de couteau. Elle ne se remit jamais de l’assassinat de la princesse. Elisabeth aurait dit un jour « je vivrai jusqu’à 80 ans, à moins qu’on ne m’assassine ! ».
pour en savoir plus « Madame Elisabeth, la sœur martyre de Louis XVI » de Monique de Huertas