Louise-Elisabeth d’Orléans, reine éphémère
Cinquième fille du duc Philippe II d’Orléans (futur Régent à la mort de Louis XIV) et de Françoise-Marie de Bourbon, Louise-Elisabeth naît le 11 décembre 1709, à Versailles. Titrée Mademoiselle de Montpensier, sa naissance est une déception, ses parents n’ayant qu’un fils, né en 1703. Alors que la duchesse d’Orléans est sur le point d’accoucher, sa belle-mère, la princesse Palatine, écrit : « Je crains qu’elle n’ait encore une fille. Dieu veuille qu’elle nous donne un garçon, comme celui qu’elle a déjà eu : c’est un charmant enfant que j’aime mieux que ses sœurs ensemble ». La princesse qui vient de naître sera suivie de deux autres filles mais il n’y aura pas de second garçon pour le couple d’Orléans.
Mademoiselle de Montpensier est envoyée très jeune à l’abbaye de Saint-Paul, à Beauvais, sans doute pour y recevoir une instruction (ses sœurs aînées ont fréquenté l’abbaye de Chelles). Pour une raison inconnue, le Régent revient chercher sa fille en novembre 1716 et, par la suite, on ne trouve aucune trace d’un professeur pour celle-ci : Louise-Elisabeth fait partie de la génération des princesses royales qui reçoivent une éducation peu soignée, parce que les parents s’en désintéressent. Peu cultivée mais intelligente, belle mais égoïste, Mademoiselle de Montpensier se montre souvent d’une grossièreté qui fait horreur à sa grand-mère paternelle, la princesse Palatine. Celle-ci écrit à propos de Louise-Elisabeth : « Je ne puis me vanter de son éducation, car comme elle a père et mère, je leur en ai laissé le soin […] On ne peut pas dire qu’elle soit laide : elle a de jolis yeux, la peau fine et blanche, le nez bien fait quoique un peu mince, la bouche fort petite. Avec tout cela, c’est la personne la plus désagréable que j’aie vue de ma vie ; dans toutes ses façons d’agir, qu’elle parle, qu’elle mange, qu’elle boive, elle vous impatiente ». Bref, la fille du Régent n’est nullement préparée au destin royal qui l’attend.
En dépit des manières de Mademoiselle de Montpensier, il est décidé en 1720 de lui faire épouser l’héritier de la couronne d’Espagne, le prince des Asturies, Louis Ferdinand (né en 1707). En effet, la France et l’Espagne – alors en guerre – ont convenu d’un double mariage qui sellera leur alliance : l’infante d’Espagne Marie-Anne-Victoire (alors âgée de 3 ans) épousera Louis XV, tandis que le fils aîné de Philippe V se mariera avec une princesse française, fille du Régent. Ses sœurs aînées étant déjà mariées, c’est Louise-Elisabeth qui est proposée pour l’héritier du trône d’Espagne. Bien que la perspective de voir sa fille régner un jour sur la France enchante Philippe V, il n’est pas des plus ravis de devoir, en contrepartie, voir son fils aîné épouser une princesse au comportement déplorable. Il faut alors l’influence de la reine, Elisabeth Farnèse, pour que le roi d’Espagne cède enfin. Le traité entre les deux pays est signé le 13 juin 1721. En septembre, le double mariage est rendu public. Certains princes français, opposés au Régent, ne comprennent pas comment celui qu’ils soutiennent, Philippe V, a pu accepter une telle alliance. La colère monte d’un cran lorsqu’en novembre, la France propose également de fiancer l’infant Don Carlos avec la jeune sœur de Louise-Elisabeth, Mademoiselle de Beaujolais, née en 1714. Ainsi, Mademoiselle de Montpensier ne se retrouvera pas seule à la cour de Madrid, qui n’a guère réussi aux princesses françaises qui l’ont précédée sur le trône d’Espagne (Elisabeth de France, épouse de Philippe IV et Marie-Louise d’Orléans, épouse de Charles II, toutes deux mortes prématurément). Maintenant que l’avenir de la princesse est tracé, on songe – enfin – à la baptiser, le 22 octobre 1721, en la chapelle du Palais-Royal à Paris. Son frère, Louis d’Orléans, est son parrain, tandis que sa grand-mère paternelle est sa marraine. C’est d’eux que Louise-Elisabeth tient ses prénoms.
Le mariage de Mademoiselle de Montpensier a lieu par procuration le 16 novembre 1721. La princesse part ensuite pour l’Espagne, son pays d’adoption. L’échange des princesses a lieu dans l’île des Faisans : tandis que Louise-Elisabeth rejoint le prince des Asturies, la petite Marie-Anne-Victoire, que l’on nomme « l’infante Reine », prend le chemin de Versailles. L’accueil de la famille royale espagnole n’est pas des plus chaleureux : bien que sa fille soit promise à devenir reine de France, Elisabeth Farnèse admet difficilement que le prince des Asturies, son beau-fils, puisse avoir une descendance, ce qui éloignerait ses propres fils du trône d’Espagne (la reine n’est que la seconde épouse de Philippe V qui a eu deux fils de sa première union avec Marie-Louise de Savoie). Le mariage de Louise-Elisabeth avec le prince Louis a lieu le 20 janvier 1722. La princesse est âgée de douze ans, son époux en compte quatorze. Louise-Elisabeth conquiert facilement son mari mais scandalise la cour par son comportement. Le duc de Saint-Simon, ambassadeur à la cour d’Espagne, relate comment la princesse des Asturies répondit à son discours :
« Je lui demandai ses ordres pour le roi, pour l’infante et pour Madame, M. [le duc] et Mme la duchesse d’Orléans. Elle me regarda et me lâcha un rot à faire retentir la chambre. Ma surprise fut telle que je demeurai confondu. Un second partit aussi bruyant que le premier. J’en perdis contenance et tout moyen de m’empêcher de rire; et jetant les yeux à droite et à gauche, je les vis tous, leurs mains sur leur bouche, et leurs épaules qui allaient. Enfin un troisième, plus fort encore que les deux premiers, mit tous les assistants en désarroi et moi en fuite avec tout ce qui m’accompagnait, avec des éclats de rire d’autant plus grands qu’ils forcèrent les barrières que chacun avait tâché d’y mettre. Toute la gravité espagnole fut déconcertée, tout fut dérangé; nulle révérence, chacun pâmant de rire se sauva comme il put, sans que la princesse en perdît son sérieux, qui ne s’expliqua point avec moi d’autre façon. On s’arrêta dans la pièce suivante pour rire tout à son aise, et s’étonner après plus librement. »
Cet épisode n’est que le premier qui met en avant les mauvaises manières de Louise-Elisabeth : elle se déshabille en public, fait fi des convenances lors des dîners et se tient mal. Elle aime manger et va jusqu’à réclamer de la nourriture dans les cuisines. Elle s’amuse en faisant des farces aux courtisans, en coupant les robes des comtesses, et se moque de ses dames de compagnie. En réalité, la mauvaise éducation de la princesse n’explique pas, à elle seule, son comportement : Louise-Elisabeth n’est encore qu’une enfant, que sa belle-famille méprise. Elle ne trouve de consolation que dans les espiègleries qu’elle commet. Surveillée, espionnée – comme toutes les reines d’Espagne – elle est un jour surprise alors qu’elle se livre à des jeux interdits avec ses caméristes.
Le prince des Asturies étant de constitution fragile – et les deux époux étant très jeunes lors de leur union – le mariage n’est consommé qu’en 1723. Si Louis a tout d’abord été conquis par sa jeune épouse, force est de constater que tous deux ont des caractères diamétralement opposés : le prince est de nature timide et solitaire depuis la mort de sa mère (en 1714) et l’état de dépression dans lequel est tombé son père peu après. Louise-Elisabeth demeure égoïste et incapable donner de l’affection à son époux, lui préférant ses jeux. Entre temps, Philippine-Elisabeth d’Orléans – Mademoiselle de Beaujolais – arrive à Madrid, en tant que fiancée de Don Carlos (fils aîné d’Elisabeth Farnèse). Louise-Elisabeth espère trouver une alliée en elle. Pourtant, très vite, les relations entre les deux sœurs se dégradent, la jeune Philippine (alors âgée de 10 ans) se distinguant de son aînée par ses manières et son charme.
Le 14 janvier 1724, Philippe V annonce qu’il abdique en faveur de son fils aîné pour se consacrer à son Salut, malgré les efforts de la reine pour l’en dissuader (Elisabeth Farnèse ne se console pas de perdre le pouvoir). Le principal intéressé n’était pas au courant de l’abdication de son père. Effrayé, le prince des Asturies se jette à ses pieds mais Philippe V le relève, lui disant : « Je me décharge sur vous d’un fardeau redoutable, mais je sais que vous ne voudrez que le bien de vos sujets ». A l’âge de 14 ans, Louise-Elisabeth se retrouve reine d’Espagne, aux côtés de celui qui est désormais Louis Ier. Philippe V, soulagé d’abandonner le pouvoir, n’a pas réalisé qu’il laisse le trône à deux enfants immatures. Louis Ier a des difficultés à s’exprimer, n’aime que la chasse et la religion. Il n’a pas été préparé à régner et se renferme vite sur lui-même. Très vite, le jeune roi se désintéresse de la politique, préférant distribuer des faveurs à des proches.
Au sein du jeune couple, il n’y a plus d’entente et désormais, les époux s’adressent à peine la parole. Louis Ier ne supporte plus le comportement de Louise-Elisabeth, qui n’agit pas en reine mais en enfant gâtée. On vient parfois à douter que le mariage ait été consommé. En juillet 1724, Philippe V menace sa belle-fille de la faire enfermer dans un couvent, et Louise-Elisabeth se retrouve bientôt séquestrée dans ses appartements, afin de ne plus choquer la cour par ses frasques. D’ailleurs, certains pensent effectivement que la jeune reine est folle, « quoiqu’avec beaucoup d’esprit » car lorsqu’on la réprimande, la reine réplique : « Belle merveille qu’à treize ans je fasse des sottises et des enfances. La reine mère avait vingt-deux ans quand elle est venue en Espagne et en fait de plus grandes que moi ». Ce genre de commentaire ne plaît pas à Elisabeth Farnèse, qui en vient à détester sa belle-fille : « Nous avons fait une terrible acquisition, elle sera comme ses sœurs [aînées] si ce n’est pire ». Alors que l’entourage de Philippe V tente de le faire revenir sur son abdication, Louis Ier contracte la petite vérole au mois d’août. Contre toute attente, la petite reine soigne son époux avec dévouement, alors que la maladie effraye toutes les dames de la cour. Mais selon certains, Louise-Elisabeth a été forcée de rester auprès du roi, afin de tomber malade à son tour, d’autant qu’on la croit enceinte. La duchesse de Saint-Pierre (née Marie-Thérèse Colbert, dame du palais de la défunte reine Marie-Louise de Savoie), rapporte : « Il n’y a rien que l’on ait fait pour lui faire prendre la petite vérole ». Les soins apportées par la jeune reine (contrainte ou non) à son époux ne suffisent pas à sauver Louis : le roi décède le 31 août 1724, à l’âge de 17 ans. Son frère cadet, l’infant Ferdinand, n’a pas encore 11 ans : Philippe V n’a d’autre choix que de reprendre les rennes du pouvoir.
Avec la disparition de Louis Ier, la présence de Louise-Elisabeth n’est plus souhaitée à la cour de Madrid, d’autant Philippe V et Elisabeth Farnèse regardent la jeune veuve comme étant « la cause de la mort du roi Louis, par l’incompatibilité manifeste qu’il y avait entre eux ». Le contrat de mariage de la princesse d’Orléans stipule qu’en cas de veuvage sans avoir eu d’enfant, elle peut retourner en France. C’est ce que désire la petite reine, tout comme sa belle-famille. Elisabeth Farnèse écrit d’ailleurs : « Elle [Louise-Elisabeth] le veut, personne ne veut d’elle, pas même ses domestiques ». En France, le duc de Bourbon, premier ministre de Louis XV depuis la mort du Régent (survenue en décembre 1723), négocie les conditions du retour de la princesse d’Orléans car, en tant que veuve d’un roi, Louise-Elisabeth a droit à un douaire que doit lui verser l’Espagne.
Tout s’accélère quand, au début de l’année 1725, la France renvoie l’infante d’Espagne – la petite fiancée de Louis XV – à ses parents : âgée de 7 ans, la princesse ne pourra pas donner d’héritier à la couronne avant plusieurs années et l’on souhaite que le roi de France, qui vient de se remettre d’une maladie, puisse rapidement avoir des fils. Devant cet affront, l’Espagne se hâte de renvoyer Louise-Elisabeth en France. La jeune Mademoiselle de Beaujolais est également du voyage, après que Philippe V ait fait annuler ses fiançailles avec Don Carlos. Les deux sœurs quittent la cour de Madrid le 30 mars.
Privée du soutien depuis la mort de son père, Louise-Elisabeth est également rejetée par la cour de Louis XV. La veuve de Louis Ier s’installe au château de Vincennes mais connaît rapidement des difficultés financières, l’Espagne négligeant de payer la pension de la reine douairière. La princesse est alors contrainte de s’installer chez les Carmélites de Paris, durant trois ans, le temps pour le gouvernement français d’obtenir de l’Espagne le paiement de ladite pension. Louise-Elisabeth peut alors s’établir au palais du Luxembourg. Elle mène une vie discrète, n’apparaissant pas à Versailles, de peur, sans doute, qu’on lui reproche son comportement honteux lorsqu’elle était à Madrid. Personne ne tient compte du fait que la princesse d’Orléans avait été envoyée en Espagne très jeune, et sans aucune préparation à son futur statut de reine, dans une cour en partie hostile à la France. Sa sœur, l’infortunée Mademoiselle de Beaujolais, meurt de la rougeole en 1734, dans sa vingtième année.
Les années passant, Louise-Elisabeth se montre de plus en plus pieuse, et fréquente régulièrement les églises, « ne voulant plus voir personne, afin de penser uniquement à son Salut » d’après le duc de Luynes. Au cours de l’hiver 1742, la princesse tombe malade et manque de succomber à une crise d’hydropisie. Elle est emportée par ce mal, le 16 juin 1742, « subitement en dînant », au palais du Luxembourg. La princesse décède à l’âge de 32 ans, dans l’indifférence générale et est inhumée en l’Eglise de Saint-Sulpice à Paris, dans un caveau particulier portant l’inscription « Cy-gît Elisabeth, reine douairière d’Espagne ». La cour prendra cependant le deuil, durant trois semaines. Au XIXe siècle, l’historien Edouard de Barthélemy écrit à propos de cette reine d’Espagne éphémère : « Elle vécut et mourut sans avoir été aimée ni heureuse, laissant une réputation équivoque, conséquence plutôt d’une enfance mal dirigée que de vices réels. Pendant toute son existence, sa double famille n’eût qu’une pensée, celle de se décharger l’une sur l’autre de cette infortunée jeune femme, et sa mort ne parut qu’un incident plaisant pour ceux-ci, qu’un heureux débarras pour ceux-là ».
Bibliographie :
– Lettres de Madame, duchesse d’Orléans, née princesse Palatine, par Elisabeth-Charlotte de Bavière
– Philippe V d’Espagne, par Philippe Erlanger
– Philippe V, roi d’Espagne, petit-fils de Louis XIV, par Suzanne Varga