Louise d’Orléans, la reine mélancolique
Le 3 avril 1812, Marie-Amélie de Bourbon-Sicile, duchesse d’Orléans et épouse du futur Louis-Philippe Ier, met au monde une première fille, prénommée Louise Marie Thérèse Charlotte Isabelle, en l’honneur de son parrain Louis XVIII et de sa marraine, la duchesse d’Angoulême. Titrée Mademoiselle de Chartres, la fillette passe ses premières années en Sicile, à Palerme. En 1818, la famille d’Orléans est de retour en France et s’installe au Palais-Royal, ainsi qu’à Neuilly. Louise grandit au sein d’une nombreuse famille qui vit dans un climat bourgeois. Elle est très proche de sa sœur Marie, née en 1813, bien que leurs caractères soient à l’opposé : Louise est une jeune fille sensible, sérieuse et appliquée tandis que Marie est d’un naturel plus vif et dissipé. Louis-Philippe et Marie-Amélie sont très proches de leurs enfants et participent activement à leur éducation. Le duc d’Orléans se joint volontiers à Louise pour des chevauchées à cheval, activité favorite de sa fille aînée.
Lorsque Louise atteint l’âge de 17 ans, on songe à la marier. Les regards se portent vers la cour de Naples, où règne le frère de Marie-Amélie, François Ier de Bourbon : son fils aîné, Ferdinand, né en 1810, est pressenti pour épouser sa cousine française. Tandis que l’on discute de cette possible union, en juillet 1830 la révolution des « Trois Glorieuses » renverse le roi Charles X. La couronne est proposée au duc d’Orléans, qui l’accepte et est proclamé « roi des Français ». Louis-Philippe Ier est un roi élu et issu d’une révolution, qui a chassé du trône la branche aînée des Bourbon. Dès lors, de nombreuses cours étrangères n’acceptent pas ce changement, y voyant une imposture. De ce fait, le projet d’unir Louise d’Orléans à Ferdinand de Bourbon-Sicile est stoppé. Un autre prétendant se présente alors : Léopold Ier, roi des Belges, qui avait déjà demandé la main d’une fille de Louis-Philippe, du temps où il était question qu’il devienne roi de Grèce.
Lorsqu’elle apprend que l’on souhaite la marier à Léopold Ier, Louise ne cache pas sa tristesse : « Ce mariage serait pour moi un sacrifice qui me serait très pénible ». Très proche de sa famille, la princesse Louise a du mal à imaginer vivre loin des siens. Quant à Léopold, c’est un veuf qui compte vingt-deux ans de plus qu’elle, affiche une mine sérieuse et froide et qui vit toujours avec le souvenir de sa défunte épouse, Charlotte de Hanovre. Cependant, Louis-Philippe Ier tient à cette alliance, qui ferait de sa fille la première reine des Belges. Quant à Léopold, une union avec une princesse française conforterait sa légitimité, son pouvoir étant encore fragile. Le mariage doit avoir lieu à Compiègne. Arrivée sur les lieux, Louise laisse libre cours à son chagrin. La veille du mariage, ses parents, bouleversés par sa tristesse, lui proposent de rompre ses fiançailles et de faire épouser à Léopold sa sœur Marie. Mais Louise, résignée à se sacrifier pour la raison d’Etat, réaffirme sa décision d’épouser le roi des Belges. Le mariage a lieu le 9 août 1832, au cours duquel Louise est « pâle et triste à faire pitié ». Puis, le couple royal prend le chemin de la Belgique. Les adieux de Louise à sa famille sont déchirants mais la princesse entretiendra une importante correspondance avec sa mère.
Louise espérait trouver un ami en Léopold mais le roi, homme à femmes, a d’autres besoins : s’il a épousé Louise, c’est dans le but d’asseoir sa légitimité et d’en avoir des enfants. Il supporte difficilement le caractère sensible et mélancolique de sa jeune épouse. Si elle s’acquitte de ses devoirs conjugaux, Louise n’en éprouve, dès le début, aucun plaisir : « Je suis indifférente à ses caresses ; je les supporte, je laisse faire, mais j’y trouve plus de répulsion que de plaisir […], je ne me fais pas à ce que j’appellerai la partie animale de ma nouvelle fonction, elle m’éloigne, me répugne, me dégoûte… ». Malgré cela, Louise s’acquitte de son rôle en donnant quatre enfants à Léopold Ier :
– Louis-Philippe (1833-1834), duc de Brabant
– Léopold II (1835- 1909), roi des Belges, marié en 1853 à Marie-Henriette de Habsbourg-Lorraine
– Philippe (1837-1905), comte de Flandres, marié en 1867 à Marie de Hohenzollern-Sigmaringen
– Charlotte (1840-1925), future impératrice du Mexique, mariée en 1857 à Maximilien de Habsbourg-Lorraine
Le couple royal se partage entre le Palais Royal de Bruxelles et le château de Laeken. Dès leur arrivée en Belgique, Léopold et Louise doivent faire face aux « orangistes », partisans des princes d’Orange : en effet, avant de former la Belgique, les provinces belges étaient rattachées aux Pays-Bas, gouvernés par Guillaume Ier d’Orange-Nassau. Ce dernier étant trop autoritaire et voulant imposer des mesures linguistiques abusives, il ne put être déclaré roi des belges et les pays européens choisirent de mettre Léopold de Saxe Cobourg à la tête de la Belgique. Les fils que Louise met au monde viennent heureusement renforcer la dynastie naissante. Léopold se passionne très vite pour le chemin de fer et met en projet un vaste réseau de voies ferrées. Quant à la reine, Léopold la tient à l’écart des affaires politiques belges ou internationales sauf lorsqu’il s’agit de s’assurer le soutien de la France : Louise joue alors les intermédiaires entre son époux et ses parents. La finesse, l’intuition et la diplomatie dont fait preuve la jeune reine font dire qu’elle ferait une très bonne régente s’il arrivait malheur au roi. Cependant, Léopold ne permet pas à sa femme de s’impliquer dans d’autres affaires concernant le royaume.
Si Louise ne peut intervenir dans les affaires belges, elle n’hésite pas à donner son avis sur les événements qui se passent en France. La reine se retrouve souvent isolée dans ses appartements. Elle en profite alors pour dessiner et écrire à sa famille. Par l’âge, Louise est proche de la nièce de Léopold, Victoria de Hanovre, amenée à devenir reine d’Angleterre, avec qui elle correspond également et qu’elle rencontre en 1835. Entre 1836 et 1837, les souverains belges accueillent les neveux de Léopold, Ernest et Albert de Saxe-Cobourg, venus auprès de leur oncle parfaire leur éducation avant de se marier, pour le plus grand plaisir de Louise qui trouve la compagnie des princes fort agréable. A l’exemple de son époux, Louise prend une part active dans le mariage de ses frères et sœurs et plusieurs d’entre eux épousent des membres de la famille de Léopold. La reine sera très affectée par le décès brutal de sa sœur, Marie, emportée par la tuberculose en 1839, à l’âge de 25 ans.
De 1837 à 1839, la reine multiplie ses lettres à sa famille, afin de s’assurer l’appui de la France contre Guillaume Ier : désormais roi de Hollande, ce dernier intrigue pour récupérer la totalité de la Belgique où il compte encore des partisans. Le traité du 13 avril 1839, signé par la Belgique et les Pays-Bas, garantie son trône à Léopold Ier tandis que Guillaume Ier récupèrent le Luxembourg. Ce dernier reconnaît officiellement la nouvelle dynastie, mettant fin au conflit entre les différents partisans. En 1843, la reine des belges joue à nouveau les intermédiaires afin de rapprocher le Royaume-Uni de la France : proche de la reine Victoria, Louise organise une rencontre entre la famille royale d’Angleterre et les Orléans, en France, en 1843. Au terme de cette rencontre, naît la première Entente Cordiale entre les deux pays.
Proche de ses enfants, Louise fait tampon entre eux et Léopold, lequel se montre souvent très dur avec ses fils, qui se braquent vite contre leur père. La reine prend une part active dans l’éducation de ses enfants afin de satisfaire les exigences de Léopold. Malgré les années, Louise affiche toujours une timidité devant son époux et lui est reconnaissante pour tout ce qu’il fait pour elle. Elle ne manque jamais une occasion de le remercier et de lui faire part de son amitié. Cette tendresse dont fait preuve Louise envers lui agace parfois Léopold. Il lui écrit pourtant au bout de quinze ans de mariage : « Je pense à toi avec une grande affection, car tu es la meilleure amie que je possède ». Généreuse avec son peuple, la reine Louise devient pour ses sujets le « bon ange » de Léopold, celle qui lui apporte un soutien sans faille. Pourtant, tandis que la reine s’occupe de leurs enfants, Léopold s’éloigne de plus en plus souvent, prétextant les affaires du royaume. Au cours de ses absences, il écrit régulièrement à son épouse mais profite, en réalité, de sa maîtresse. En effet, en 1844, le roi rencontre la jeune Arcadie Claret, âgée de 18 ans, fille d’un officier belge. Léopold marie alors la jeune femme à un certain Frédéric Meyer, avant d’en faire sa maîtresse. Avant Arcadie, Léopold avait déjà eu des liaisons amoureuses, mais celles-ci restaient dans l’ombre, n’étaient que passagères, alors que la faveur de Mme Meyer semble durer.
Louise a toujours été de santé fragile mais son état se dégrade à partir de 1848. Léopold Ier pense que cela est dû à l’état nerveux de la reine : celle-ci se plaint souvent d’être délaissée par son époux, qui va rejoindre sa maîtresse. Elle supporte également avec beaucoup de peine que son père, le roi Louis-Philippe Ier, soit renversé de son trône : devenu trop rigide, le roi des français avait annulé un banquet du parti républicain. Les membres de celui-ci, bravant l’autorité royale, l’avaient maintenu. S’en étaient suivies des manifestations, des barricades dans Paris et une fusillade. Louis-Philippe est contraint d’abdiquer le 24 février 1848 et s’exile en Angleterre avec sa famille. Les Orléans s’installent à Claremont, manoir appartenant à Léopold Ier (qu’il avait acquis lors de son mariage avec Charlotte de Hanovre).
Au printemps 1849, Louise, que l’on dit « poitrinaire », rejoint sa famille à Claremont pour tenter de se soigner. Son époux juge que la reine est de « petite nature » et qu’elle se remettra vite. Mais Louise ne guérit pas. A la fin de l’année, elle apprend que Mme Meyer a donné un fils à Léopold. Cette nouvelle affecte davantage sa santé et la reine tousse de plus en plus. Victime de malaises, Louise cache son état à ses proches. Un nouveau séjour en Angleterre au printemps 1850 n’améliore pas les choses. Le 28 août, la reine apprend la mort de son père, décédé deux jours plus tôt. Cette disparition est un choc brutal pour Louise. Au cours d’une cérémonie d’hommage à Louis-Philippe, la reine des belges fait une syncope.
Léopold Ier, qui commence à s’inquiéter vivement pour sa femme, l’envoie à Ostende, afin qu’elle s’y soigne. Cependant, le roi ne reste pas auprès d’elle car son état le déprime. En apprenant cette décision, le peuple gronde contre son souverain : pour lui, Louise, la « bonne reine » est délaissée et bafouée par son époux. La liaison de leur roi avec Arcadie Claret a donné trop de souffrances morales à la reine et a ruiné sa santé. Les belges soutiennent leur souveraine et enragent contre la maîtresse de Léopold. Le roi devient impopulaire et ses conseillers lui recommandent d’éloigner Mme Meyer, qui se réfugie en Allemagne. La reine Louise, atteinte de phtisie (tuberculose pulmonaire), se meurt. Léopold se résout à ne plus quitter Ostende et fait venir Marie-Amélie ainsi la sœur et les frères de Louise. A son testament, la reine ajoute une lettre pour Léopold, dans laquelle elle se dit heureuse d’avoir été sa femme. Après avoir recommandé ses enfants à sa mère, Louise décède le 11 octobre, à l’âge de 38 ans. Elle est inhumée en l’église de Laeken. Le peuple belge gardera de Louise le souvenir d’une bonne reine, admirée et aimée de tous.
Bibliographie :
– Louise, reine des Belges (1812-1850) par Madeleine Lassère
– Les enfants de Louis-Philippe et la France par Arnaud Teyssier