Louis d’Orléans, fils du Régent, chap.2 : le retrait du monde
Enceinte pour la seconde fois, la jeune duchesse d’Orléans, née Augusta de Bade, se trouve à Versailles, lorsqu’elle ressent les premières douleurs annonçant l’accouchement, le 4 août 1726. Françoise-Marie de Bourbon est présente, et tient absolument à ce que sa belle-fille accouche, cette fois-ci, au Palais-Royal, siège de la maison des Orléans. Consultés, les médecins jugent que la princesse est trop faible pour voyager, le travail ayant déjà commencé, et que déplacer la duchesse dans cet état la mettrait « en danger de mort ». L’accoucheur n’est pas de cet avis et donne finalement son accord : Augusta se voit contrainte d’obéir au vœu sa belle-mère, et de quitter Versailles. A l’époque, on sait pourtant que les secousses durant un trajet en carrosse peuvent provoquer une fausse-couche. Aussi, il est incompréhensible que l’on ait laissé la duchesse d’Orléans, en plein travail, prendre la route. Pierre Narbonne écrit : « La jeune princesse partit de Versailles le 4 août, à peine en route, elle ressentit quelques douleurs et voulut revenir, mais on lui fit continuer sa route, et elle arriva à Paris où elle accoucha ». Barbier relate lui-aussi : « Elle était toute couchée dans son carrosse ; elle se trouva mal en chemin. Hier, 5, elle accoucha d’une fille, en sorte que la joie n’a pas été complète au Palais Royal […] Ce voyage, dans l’état où était la princesse (car on dit qu’elle avait de la fièvre) n’a été ni prudent, ni heureux, car Madame la duchesse est très mal aujourd’hui ».
Effectivement, faire voyager l’épouse de Louis, alors qu’elle était en train d’accoucher l’a mise en grand danger. Le fait que le dénouement de ce périple n’est « pas heureux », c’est qu’Augusta a finalement donné naissance à une fille, alors que l’on espérait un second garçon. La duchesse d’Orléans reste souffrante après l’accouchement, qui l’a épuisée et les médecins ne trouvent rien de mieux que de proposer une saignée (le remède à tout à l’époque). D’après Barbier, devant l’état de faiblesse de la princesse, une sage-femme, Élisabeth d’Anglois, suggère, plutôt qu’une saignée, « un remède pour appliquer sur le côté, mais les médecins n’en ont pas voulu » (sans doute n’ont-ils pas toléré qu’une femme ait une meilleure solution que la leur pour sauver la duchesse d’Orléans). Le chroniqueur poursuit : « Elle a été saignée, le matin au pied, et, à midi on lui a porté le bon Dieu par les mains du curé de Saint-Eustache ». Le fait que le religieux prenne la place des médecins laisse présager du pire : Augusta de Bade décède le 8 août 1726, au Palais-Royal, à l’âge 21 ans. Notre témoin relate : « Aujourd’hui à six heures du matin , la pauvre duchesse d’Orléans est morte par une suppression arrivée après ses couches. C’est un chagrin général dans tout Paris ».
Barbier et l’opinion publique n’hésitent pas à incriminer les hommes de sciences : « Les médecins l’ont fait saigner, de manière qu’elle n’avait plus de force ; en sorte qu’on dit publiquement que ce sont les médecins qui sont cause de la mort de cette princesse, qui n’avait pas 22 ans et qui est regrettée généralement ». Selon lui, la cour est « consternée » par la disparition de la duchesse d’Orléans, « aimée de tout le monde ». L’avocat Jean Zorobabel Aublet de Maubuy écriera plus tard : « Auguste Marie Jeanne de Bade sembla n’avoir parue en France que pour y laisser après elle les regrets les plus vifs et les plus sensibles ». La princesse de Bade est inhumée au couvent du Val-de-Grâce, à Paris, le 15 août. Mathieu Marais témoigne : « J’ai vu hier le convoi de Mme la duchesse d’Orléans, qui était fort triste et point du tout magnifique ». La reine Marie Leszczynska, qui vient de faire une fausse-couche et qui se remet difficilement, n’est informée de la mort de la princesse de Bade que le 22 août, car « comme on prévoyait qu’elle serait fort sensible à cette perte, on la lui avait prudemment cachée ».
Louis d’Orléans est dévasté par la mort de son épouse, avec laquelle il vivait une union « sans nuages ». Lorsqu’elle expire, le prince « se saisit de son épée et poursuivit l’accoucheur qui n’eut de temps que de se soustraire à la vengeance de ce malheureux époux ». Pierre Narbonne écrit : « M. le duc d’Orléans la regretta beaucoup […] car elle était belle, bonne et très vertueuse, rares qualités à trouver ». La mort tragique et inattendue de son épouse replonge Louis d’Orléans dans « les graves réflexions » qu’il a eues au décès de son père, moins de trois années plus tôt. Le jeune veuf de 23 ans refuse de se remarier, bien qu’il n’ait qu’un fils, encore au berceau. On le voit se retirer progressivement de la cour et de toute vie politique, comme le note Pierre Narbonne : « M. le duc d’Orléans est d’une dévotion édifiante. Il vient peu à la cour et n’assiste jamais au conseil du Roi ». Le prince fait de plus en plus de retraites religieuses et se démet de ses fonctions à Versailles, pour faire des séjours réguliers parmi les moines de l’abbaye de Sainte-Geneviève, à Paris. Il laisse l’administration de ses biens à sa mère et ne reste proche que de sa sœur Louise-Elisabeth, éphémère reine d’Espagne renvoyée en France en 1725. Le duc de Luynes témoigne du changement de vie qui s’opère chez Louis : « M. le duc d’Orléans vit dans une grande retraite […] qui augmente tous les jours ». (1741).
Les deuils continuent à s’enchaîner chez les Orléans : la princesse née le 5 août 1726, prénommée Louise Madeleine, a visiblement souffert de l’accouchement difficile et présente une difformité physique. Elle meurt le 14 mai 1728, sans que l’on sache aujourd’hui si elle décède d’une maladie (son frère est alors atteint de la petite vérole) ou à cause de son handicap. Une lettre de Mathieu Marais témoigne du peu de cas que l’on faisait de la princesse : « La petite fille de M. le duc d’Orléans est morte ; on l’enterra comme incognito, et on n’en porta pas le deuil ; elle était toute contrefaite ». Après la perte de son épouse et de sa fille, le duc voit mourir ses sœurs cadettes Philippine-Elisabeth et Louise-Diane, disparues respectivement en 1734 et 1736, à l’âge de 20 ans.
En 1740, le duc d’Orléans tente d’obtenir de Louis XV la main de sa fille, Madame Henriette, pour son fils qui en est épris. En effet, il n’a pas échappé aux courtisans que le roi apprécie le jeune duc de Chartres, « qui est tout à fait à son goût et à son sens : il aime la chasse et la promenade, comme Sa Majesté […], il aime les honnêtes gens et la dignité. Il [Louis XV] lui parle souvent comme un père qui badine avec son enfant et ce jeune prince se conduit à merveille et s’attache véritablement le roi » (marquis d’Argenson, 1739). Mais les ministres font comprendre au roi les dangers d’une union entre le duc de Chartres et la princesse Henriette, qui rapprocherait trop les Orléans du trône dès lors que le jeune Louis-Philippe deviendrait le gendre de Louis XV : cela attiserait encore davantage les querelles entre les Orléans et les Condé, sans parler de Philippe V d’Espagne qui prétend toujours avoir des droits sur la couronne de France (car il est né prince français, petit-fils de Louis XIV) dans le cas où le dauphin décéderait sans descendance. Aussi, le roi, qui encouragea pourtant l’idylle entre le jeune prince et Henriette, est contraint de faire marche arrière, au grand mécontentement de son cousin. Le marquis d’Argenson commente : « C’est le roi lui-même qui poussait M. le duc de Chartres à rechercher Madame [Henriette] ; il approuvait leur amour ; il avait répondu positivement qu’on pouvait y songer ; ensuite, par degrés, il va jusqu’au refus ».
Malgré ce mariage manqué, le duc d’Orléans est bien décidé à établir le duc de Chartres, avant d’abandonner la cour de Versailles pour de bon. Le mémorialiste d’Argenson note cette année-là : « Le duc d’Orléans veut absolument marier son fils, et au plus tôt. Il veut se retirer du monde. A cela, il dit qu’il laissera à sa mère son fils à marier ; or sa mère le marierait certainement à Mademoiselle de Conti. Le parti est tout pris ». Louis d’Orléans n’ayant aucun goût pour les intrigues, c’est bien sa mère qui arrange l’union du jeune Louis-Philippe : ainsi, la duchesse douairière d’Orléans parvient à unir son petit-fils avec la jeune Louise-Henriette de Bourbon-Conti (1726-1759). Celle-ci a pour grand-mère la sœur de Françoise-Marie, Louise-Françoise de Bourbon : par ce mariage, les deux filles légitimées de Louis XIV réunissent leur descendance.
Alors que le mariage du duc de Chartres n’a pas encore eu lieu, c’est la reine douairière d’Espagne, Louise-Elisabeth qui décède, en juin 1742. Dès lors, le duc d’Orléans abandonne le Conseil du roi, renonçant ainsi à tout rôle politique, se désintéressant de presque tout ce qui lui rappelle son ancienne vie. Le prince se retire à l’abbaye de Sainte-Geneviève, à Paris : « Ce prince ne vient presque plus à la cour et passe sa vie à Sainte-Geneviève. Outre cela, il n’a nulle curiosité de s’informe de ce qui se passe dans ce pays-ci [la cour], de sorte que les événements connus de tous sont quelquefois nouveaux pour lui » (le duc de Luynes, 1742). Tandis qu’à la cour, le duc et la duchesse de Chartres (mariés en décembre 1743) représentent la Maison d’Orléans, Louis se consacre désormais à des exercices de piété et à l’étude des sciences (botanique, physique, géographie). Le prince s’entoure de savants et de lettrés, dont il finance les travaux. Mais la plus grande partie de son temps est dédiée aux pauvres, qu’ils soulagent par des dons aux œuvres de charité.
L’entourage du duc d’Orléans commence à s’inquiéter pour la santé mentale du prince, dès lors qu’il s’éloigne de sa famille, néglige ses devoirs envers la couronne et méprise bientôt tous les membres de sa famille encore en vie. Le chroniqueur Barbier écrit, en 1737 : « C’est l’homme le plus emporté, le plus violent, le plus entier dans ses volontés qui se puisse rencontrer ». Le marquis d’Argenson, qui est l’intendant du duc d’Orléans, est persuadé que c’est la nouvelle vie austère que mène le prince qui affaiblit ses facultés intellectuelles : « M. le duc d’Orléans est fou à force d’être sage […] Ce prince dévot a plus de folie encore que de dévotion » (1740) , « Il devient chaque jour de plus en plus misanthrope et les tracasseries lui augmentent encore ses humeurs » (1741).
En réalité, Louis d’Orléans a montré des signes d’instabilité dès la mort de son père, convaincu que « les âmes vertueuses ne s’absentent que momentanément de la terre, pour y reparaître sous d’autres formes ». Ainsi, il refuse d’abord d’accepter le titre de duc d’Orléans, persuadé que le Régent est vivant. Lorsqu’il apprend la disparition de sa sœur Louise-Elisabeth, en 1742, le prince refuse de croire à la mort de celle-ci avant d’avoir pu voir son corps. Avec le temps, Louis en vient à remettre les décès de ses aïeuls, Henri IV et Louis XIV, et doute de celui de Philippe V d’Espagne, survenu en 1746. A plusieurs reprises, durant son veuvage, il se rend à Versailles pour exiger de parler à Augusta de Bade, dont il ne parvient pas à faire le deuil. Ainsi, les proches du duc d’Orléans lui cachent certains décès, « autrement il serait entré dans des actes de colère qu’il était prudent de lui éviter », écrit le marquis d’Argenson.
Au fil des années, le duc d’Orléans développe également une « aversion insupportable » pour Louis XV, ce qui conduit le roi à « défendre à tous ses ministres de lui écrire et de lui répondre sur aucune affaire » (duc de Luynes, 1750). La famille du duc d’Orléans n’est pas mieux lotie, le prince ne cessant de se quereller avec les membres de sa famille, depuis qu’il fréquente l’abbaye de Sainte-Geneviève : Louis est en procès avec sa sœur, la duchesse de Modène, dont la dot n’a pas été intégralement réglée ; il est en froid avec sa mère, « qui a perdu toute autorité sur lui », et refuse de voir le duc de Chartres et son épouse pour qui il a « une invincible répulsion ». Le duc de Luynes précise même, en 1747, que le prince a l’esprit altéré au point de « douter de la naissance de ses petits-enfants » (le comte de Montpensier et la princesse Bathilde, nés respectivement en 1747 et 1750) Sur ce point, le jugement du duc d’Orléans n’est peut-être pas si erroné car sa belle-fille a des amants et la chose est de notoriété publique.
Malade, Louis d’Orléans meurt à Paris, le 4 février 1752, à 48 ans, sans recevoir les derniers sacrements. En effet, le curé exige du prince qu’il reconnaisse ses petits-enfants et leur donne sa bénédiction. Mais le duc d’Orléans refuse, ne pouvant « parler contre sa conscience ». Au contraire, il menace sa belle-fille « de la colère de Dieu » pour sa conduite scandaleuse, qui est « d’un grand danger pour l’honneur et la sûreté de la Maison Royale » (marquis d’Argenson, février 1752).
Bien que Louis d’Orléans ait voulu donner son corps à l’École Royale de Chirurgie, « pour rendre un dernier service à la science », le prince est inhumé auprès de son épouse, au Val-de-Grâce. Son fils unique, Louis-Philippe de Chartres, devient le nouveau duc d’Orléans (†1785). Le duc de Luynes écrit à propos du défunt : « Il n’avait jamais été aimable, et convenait lui-même qu’il était gauche et maussade…Outre cela, il avait reconnu qu’il n’avait pas l’esprit juste, et c’est par cette raison qu’il s’était retiré du conseil [du roi]. Il y avait eu un temps assez court dans la jeunesse où il avait voulu par air être libertin […] les réflexions chrétiennes le firent entièrement changer. »
Profondément marqué par les morts dans son entourage, il n’est pas déraisonnable de penser que c’est en grande partie le chagrin d’avoir perdu des êtres chers qui a tourmenté l’âme de Louis d’Orléans durant les dernières années de sa vie. Quant à son comportement cruel envers sa famille après de nombreux deuils, rappelons-nous que sa mère est à l’origine du décès de son épouse, et que ses sœurs aînées avaient une réputation scandaleuse, que reproduira ensuite sa belle-fille. La duchesse de Chartres avouera elle-même ne pas savoir qui était le père de ses propres enfants. Très attaché à l’honneur de son nom, Louis d’Orléans n’a pas supporté que les frasques de sa famille. Des années plus tard, sous la Révolution Française, son petit-fils (qui revendique alors être proche du peuple) change de nom pour devenir « Philippe-Egalité », se servant des rumeurs selon lesquelles il n’avait pas pour père le dernier duc d’Orléans mais un valet d’écurie, avec qui Louise-Henriette de Conti avait commis l’adultère.
Bibliographie
– Chronique de la Régence et du règne de Louis XV (1718-1763), par Edmond Jean François Barbier
– Mémoires du Comte de Maurepas, par Jean Frédéric Phélypeaux de Maurepas
– Histoire des d’Orléans d’après les documents et mémoires légitimistes et orléanistes, par Théodore-Paul Gazeau de Vautibault
– Journal des règnes de Louis XIV et Louis XV de l’année 1701 à l’année 1744, par Pierre Narbonne