Enigmes de l'Histoire

Le Masque de Fer

Depuis plus de trois cents ans, le mystère du Masque de fer fascine et l’on prête à ce prisonnier pas moins de cinquante visages possibles. De la plus improbable hypothèse à la plus vraisemblable, il convient d’aller voir derrière le masque et surtout de ne pas prendre pour argent comptant tous les bruits qui ont couru sur l’identité du Masque de fer. 

Gravure du XVIIIe siècle représentant le prisonnier masqué
Gravure du XVIIIe siècle représentant le prisonnier masqué

Itinéraire du Masque de fer

Le vendredi 19 juillet 1669, le ministre de Louis XIV, le marquis de Louvois, informe Mr de Saint-Mars de l’arrivée prochaine à Pignerol d’un nouveau prisonnier nommé Eustache Danger. C’est dans cette prison que sont détenus également Nicolas Fouquet et le marquis de Lauzun. En octobre 1681, le dénommé Eustache Danger est conduit à Exilles, toujours accompagné de Saint-Mars qui est devenu son geôlier et qui ne se séparera jamais de « son prisonnier ». Le 17 avril 1687, une nouvelle prison accueille Eustache Danger dans l’île de Sainte-Marguerite, près de la ville de Cannes. Enfin, au cours de l’année 1698, notre prisonnier et Saint-Mars arrivent à la Bastille ou le Masque de fer meurt le 19 novembre 1703. Son corps sera mis en terre au cimetière de Saint-Paul. 

Les masques du prisonnier 

Nous sommes en 1675. Saint-Mars demande à cette date la permission à Louvois de donner Eustache Danger à Fouquet en tant que valet : le ministre accepte. Dés lors, notre prisonnier est libre de confier ses secrets à Fouquet. Néanmoins, rappelons que l’ancien ministre des finances est condamné à la perpétuité. Ce n’est pas le cas de Lauzun, qui va être libéré et dont personne ne souhaite qu’il rentre en contact avec Danger. Pourtant en 1680 on découvre une ouverture entre la chambre du marquis et celle de Fouquet : Lauzun a sans doute pu parler avec le prisonnier si Fouquet ne lui a pas déjà tout révélé sur son valet. L’ancien ministre est tellement angoissé devant la découverte de cette ouverture qu’il n’y survit pas et décède d’une crise d’apoplexie, en juillet 1691. Dés lors, il faut faire croire à Lauzun que ce qu’il a pu apprendre n’a guère d’importance ou que ce n’est que foutaises. On lui fait croire que ce valet a été libéré de sorte que quand lui-même sort de prison, il semble qu’il se soit tu. En réalité, Danger a été conduit dans la Tour d’en bas où il doit porter un masque d’acier a chaque fois qu’il reçoit la visite d’un autre que Saint-Mars (médecin, confesseur…). De la sorte, Lauzun ne peut se douter que ce prisonnier et l’ancien valet de Fouquet ne font qu’un. Lorsque Danger doit changer de prison, il doit également revêtir ce masque au cours du voyage pour cacher son visage à ses gardes. C’est en 1687 qu’on lui pose un masque de velours noir dont on n’est pas sûr qu’il le porta tout le temps. 

Eustache Danger 

Qu’il soit ou qu’il ne soit pas vraiment Eustache Danger, c’est sous cette appellation que nous connaissons le Masque de fer – est il semble bien que cet homme soit réellement notre prisonnier. Ce dernier, né en 1643, pourrait être un valet d’Henriette d’Angleterre, belle-sœur de Louis XIV et sœur de Charles II, roi d’Angleterre. En 1669, la France et l’Angleterre tentent de trouver un arrangement pour mettre fin aux divers conflits entre les deux pays. Il semble que Danger est servi d’espion, qu’il est eu un double rôle. Entre autre, il était au courant du souhait secret de Charles II de se convertir au catholicisme alors que l’Angleterre était protestante. C’était là un véritable secret d’Etat qui fallait étouffer d’où son arrestation en 1669. Le 30 juin 1670, Henriette d’Angleterre qui connaissait donc l’identité de notre prisonnier – non masqué à cette date – meurt brusquement, se disant empoisonnée. L’aurait-on fait taire ? 
Autre point qui conforte la théorie que Danger est le Masque de fer : le prisonnier est mort en 1703 et aurait dit à son confesseur qu’il devait avoir environ soixante ans. Eustache Danger étant né en 1643, les dates concordent. 

Les hypothèses les plus soutenues 

1) Un certain Matthioli 

Prisonnier de Saint-Mars, on voit souvent en lui le Masque de fer. Espion italien qui, servant ses intérêts, est tantôt du côté de Louis XIV, tantôt du côté du duc de Savoie, il est arrêté par le roi de France en 1679 en territoire ennemi. Comme il est illégal de tendre un piège à un homme hors du royaume de Sa Majesté, certains prétendent que le visage de Matthioli est  alors recouvert d’un masque pour que le duc de Savoie n’apprenne jamais qu’un de ses sujets se trouve, sans jugement et en toute illégalité, prisonnier du roi de France. Mais si on se penche sur la date d’arrivée de Matthioli à Pignerol, on constate que cela se produit dix ans après la date émise dans les correspondances entre Louvois et Saint-Mars. Autre point : Louis XIV finit par avertir le duc de Savoie sur le sort de son espion et le duc n’est pas mécontent de s’en être débarrassé. Pourquoi continuer à lui faire porter un masque alors ? De plus, le nom de l’italien disparaît de la correspondance entre le ministre et Saint-Mars en 1694 pour la bonne raison qu’il est mort à Pignerol cette année là. Matthioli n’est donc pas le Masque de fer.

2) Le comte de Vermandois 

Fils légitimé de Louis XIV et de Louise de la Vallière, le comte de Vermandois meurt le 8 novembre 1683 à l’âge de seize ans, victime de maladie. Selon certains, c’est pour avoir giflé son demi-frère, le Grand Dauphin, que le roi le fait passer pour mort et disparaître derrière un masque. En 1786, Louis XVI décide de couper court aux rumeurs et fait ouvrir la tombe du comte. L’autopsie est formelle : il s’agit bien là des restes du fils de Louis XIV et de sa maîtresse.

3) Le duc de Beaufort 

Cousin de Louis XIV, né en 1616, François de Beaufort participe à la Fronde contre la politique de Mazarin avant de se ranger du côté du roi de France, en 1653. En juin 1669, il est porté disparu à la bataille de Candie contre les turcs. Son corps ne fut jamais retrouvé et les bruits commencèrent à courir sur un possible enlèvement, souhaité par Louis XIV. De plus, d’après la rumeur, le duc de Beaufort a été l’amant d’Anne d’Autriche et pourrait être le père biologique de Louis XIV. Sur son lit de mort, la reine-mère a entretenu son fils seul à seul. Lui avoua-t-elle qu’il n’avait en fait aucun droit au trône et qu’il était un bâtard ? Personne ne peut le dire. 

4) Un frère aîné de Louis XIV

Tout le monde connaît la passion amoureuse qu’il y eut entre Anne d’Autriche et le duc de Buckingham et on parle d’un fils né de cet amour interdit. A moins que ce frère aîné, qui aurait vu le jour en 1636, soit deux ans avant le roi soleil, n’ait pour père Richelieu. Devant l’incapacité de Louis XIII à donner un enfant à la reine, le cardinal se serait chargé d’assurer la dynastie des Bourbon. 

5) Un frère jumeau de Louis XIV 

C’est la thèse la plus soutenue, celle qui alimente le plus de romans ou de scénarios. Louis XIV serait né le premier ce 5 septembre 1638, en présence de toute la cour. Son jumeau aurait vu le jour huit heures et demi après, dans la soirée pendant le repas de Louis XIII, sans témoins ou presque. Le futur Louis XIV a déjà été présenté comme Dauphin et le souverain peut craindre une querelle dynastique entre les jumeaux. Après tout, Gaston d’Orléans, frère cadet de Louis XIII n’a pas hésité à intriguer contre le roi. On imagine sans mal ce qu’aurait pu donner un affrontement entre des jumeaux qui peuvent  tous deux  prétendre au trône. 

6) Une fille aînée de Louis XIII 

Pourquoi enfermer une sœur aînée de Louis XIV sous un masque quand on sait que seul les héritiers mâles peuvent prétendre à la couronne de France ? Cela fait plus de vingt ans que le couple royal est stérile. Enfin en 1637, Anne d’Autriche est enceinte pour de bon mais aurait mis au monde une fille. Craignant de ne plus avoir d’autre enfant, Louis XIII aurait substitué à sa fille un garçon, né le même jour, d’un couple inconnu : c’est le futur Louis XIV. Seulement, en 1640, la reine met au monde un fils, le duc d’Anjou. Ainsi, le Dauphin est un usurpateur et l’héritier légitime de la couronne se voit attribuer le rôle de cadet. La situation implique davantage qu’on étouffe l’affaire de l’échange des enfants en 1638. La théorie ne tient pas car il est certain que ceux qui ont vu le Masque de fer, même avec le visage caché, on reconnu un corps masculin. De plus, devait-on vraiment faire disparaître de la sorte une femme ? Là où la théorie s’effondre c’est que la naissance de Louis XIV qui se passa en public : le sexe de l’enfant fut donc connu de suite et la substitution est alors impossible. 

Pourquoi un tel traitement ? 

Si Eustache Danger est traité comme un simple prisonnier, une fois que le masque fait son apparition, le régime change totalement. Il paraît que Saint-Mars nomme son prisonnier « mon prince », lui procure la meilleure nourriture, lui fournit un mobilier des plus riches qu’il puisse trouver. Le Masque de fer est servi à genoux par ceux qui lui apportent son repas ; en sa présence, Saint-Mars et tous gardes restent debout, ne s’asseyant que lorsque le prisonnier le permet. Un ancien valet de la princesse d’Angleterre mérite-il un pareil traitement de faveur ? Mais si le Masque de fer est un prince de sang, comment expliquer qu’on ait osé faire de lui le valet de Fouquet à Pignerol ? Il semble qu’à partir du moment où Eustache Danger porte un masque, Saint-Mars monte une histoire invraisemblable pour alimenter les rumeurs. Si les gens sont occupés à chercher l’identité de ce prisonnier dans la haute noblesse, ils ne pourront jamais découvrir sa véritable identité de valet à la cour de France. Ainsi, Saint-Mars nous joue une belle comédie en prétendant détenir un prince et le servir comme tel. D’après les sources, ce serait même lui qui murmura que le Masque de fer était en réalité le duc de Beaufort en 1688, soit un an après l’apparition du masque sur le prisonnier.

Pourquoi ne pas avoir tué Eustache Danger ? 

Si le Masque de fer n’était pas un prince de sang, pourquoi s’encombrer de ce prisonnier à qui il était interdit de dire qui il était sous peine de mort immédiate ? N’était-il pas plus simple de l’exécuter discrètement ? Sous l’ancien régime, contrairement à ce que certains pensent, un homme ne peut être tué qu’après un jugement et une sentence. Le Masque de fer n’ayant pas eut droit à un jugement, point d’exécution possible. Déjà sous Louis XIII, Richelieu avait écrit à Rome pour demander si on pouvait exécuter discrètement un homme pour raison d’Etat (à cette époque, le duc de Montmorency se révoltait contre le roi) et essuya un refus de la part de l’Eglise catholique. Louis XIV ne pouvait donc se rendre coupable d’un tel crime. 

Un mythe

Aujourd’hui, il est quasi-certain que le Masque de fer était Eustache Danger, simple valet de la princesse Henriette d’Angleterre. Si beaucoup continuent à soutenir la thèse du jumeau ou du frère aîné c’est qu’une fois le masque tombé, la réalité déplaît. Quoi ? Celui autour de qui on a construit tant d’hypothèses n’est qu’un valet qui tenait dans ses mains un secret compromettant l’honneur d’un roi étranger ? Saint-Mars a donc construit lui-même le mystère enveloppant son prisonnier ? Non, diront certains. Après tout même si de 1669 à 1703 on attache au prisonnier le nom d’Eustache Danger, qui peut affirmer que cet homme n’est pas mort d’une quelconque façon en 1681 ? Et que l’on se soit servi de son nom pour désigner ce prisonnier masqué qui était en fait un prince de sang royal ? Oui, c’est possible…encore faut-il le prouver. Donnez à une énigme une solution qui ne plait pas, les gens s’empresseront d’émettre de nouvelles hypothèses qui séduisent davantage. 

Eustache Danger est probablement notre homme, encore faut-il que cela plaise au public. Selon la légende, dans la nuit qui suivi l’enterrement du Masque de fer, un homme curieux creusa la tombe pour trouver une grosse pierre à la place de la tête. Pour certains historiens, les restes du Masque de fer sont dans les catacombes de Paris, quelque part perdus dans un tas de milliers d’os et de crânes. 

Bibliographie

– Les secrets de Louis XIV : Mystères d’Etat et pouvoir absolu, par Lucien Bély
– Les bâtards d’Henri IV : L’épopée des Vendômes (1594-1727), par Jean-Paul Desprat
– Le masque de fer, par Jean-Christian Petitfils

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