Le mal mystérieux de la duchesse de Fontanges
Marie-Angélique de Fontanges, favorite de Louis XIV, meurt à l’âge de 20 ans, en juin 1681. Depuis dix-huit mois, la jeune femme est malade et craint, parfois, d’avoir été empoisonnée. A cette époque, la France est plongée en pleine Affaire des Poisons et le décès d’une personne jeune, fortunée ou comptant des ennemis est attribué à quelques « poudres de succession ». Dès lors, en raison de l’âge de Marie-Angélique et de sa position à la cour, des rumeurs d’empoisonnement circulent, pour expliquer sa mort prématurée, d’autant que le roi a tout d’abord tenté d’éviter une autopsie du corps.
Emportée par la maladie ou le poison ?
Lors des interrogatoires des sorcières et devins, certains d’entre eux citent le nom de Mlle de Fontanges et évoquent un complot qui visait à empoisonner la jeune femme. Ainsi, Marie-Marguerite Monvoisin, fille de la sorcière La Voisin, accuse des complices de sa défunte mère d’être impliqués dans l’empoisonnement de la duchesse de Fontanges. Un dénommé Romani et un certain Bertrand ont été arrêtés en 1680. Le premier est accusé d’avoir voulu vendre des étoffes empoisonnées à Mlle de Fontanges. Le second, d’avoir tenté de remettre à la jeune femme des gants imprégnés de poison. Les accusés prononcent le nom de Mlle des Œillets, dame de chambre de la marquise de Montespan. Cependant, les accusés ont la possibilité de communiquer entre eux en prison et, à première vue, ils se sont mis d’accord pour répéter, le plus souvent possible, les noms de Madame de Montespan et de Mademoiselle de Fontanges, espérant ainsi ne pas avoir à subir l’épreuve de la “question” (la torture). Leurs témoignages peuvent donc être montés de toutes pièces. Il apparaît également que Françoise Filastre, faiseuse d’anges et empoisonneuse, a cherché à entrer au service de Marie-Angélique de Fontanges. Interrogée, la Filastre nie avoir voulu attenter à la vie de la jeune favorite de Louis XIV : tout ce qu’elle souhaitait, c’était entrer comme domestique à son service, afin de subvenir aux besoins de sa famille. Sous la torture, elle avoue cependant avoir agi pour le compte de Mme de Montespan : la marquise désirait la mort de sa jeune rivale pour retrouver l’amour du roi. Cependant, avant d’être exécutée, l’empoisonneuse revient sur ses déclarations : “Tout ce que j’ai déclaré est faux. Je ne l’ai fait que pour me libérer de la peine et de la douleur des tourments et dans la crainte qu’on me rappliquât la question. Je vous dis tout cela car je ne veux pas mourir la conscience chargée d’un mensonge“.
A l’évidence, la marquise de Montespan n’a jamais cherché à faire empoisonner Mlle de Fontanges. D’ailleurs, toutes les tentatives d’empoisonnement échouent. Si Mme de Montespan avait été mêlée à ces complots, il lui aurait été facile de faire pénétrer les empoisonneurs au sein de la cour. En juillet 1680, il est avéré que Marie-Angélique échappe bien à une tentative d’empoisonnement : alors qu’elle se trouve à l’abbaye de Chelles – où sa sœur vient d’être nommée abbesse – de l’eau minérale lui est apportée dans six flacons, sur recommandation de son médecin. En effet, depuis son accouchement, en décembre 1679, Marie-Angélique de Fontanges est souvent malade et quitte régulièrement la cour pour se soigner. La duchesse ne boit heureusement pas cette eau car, le lendemain, on s’aperçoit que les flacons sont remplis de poison, après que son médecin ait affirmé ne rien avoir envoyé à sa patiente. On ne su jamais qui était l’auteur de cette tentative d’empoisonnement.
Lorsqu’il apprend la mort de sa maîtresse, Louis XIV exige qu’il n’y ait pas d’autopsie et écrit au duc de Noailles, en charge des funérailles : “Sur ce qu’on désire de faire ouvrir le corps, si on peut l’éviter, je crois que c’est le meilleur parti”. Cette requête du monarque ne fait qu’amplifier les rumeurs d’empoisonnement. Louis XIV a-t-il peur que l’examen ne révèle des traces de poison ?
A la demande de la famille de la défunte, le roi autorise finalement l’autopsie. A l’ouverture du corps, les médecins notent que “la cause de la mort doit être uniquement attribuée à la pourriture total des lobes droits du poumon”. Les praticiens trouvent également « de l’eau dans la membrane enveloppant le cœur ». Les poumons de la duchesse sont en très mauvais état, “gangrenés” et “ulcérés”. Marie-Angélique de Fontanges serait donc décédée de tuberculose. On peut également pencher pour une pneumonie, si on se réfère à une lettre écrite par son premier gentilhomme, M. Richebourg, trois jours avant la mort de la jeune femme : “Il y a tout à craindre pour cette nuit ; l’abcès de Madame est crevé et elle crache le pus. On craint que celui qui est répandu dans sa poitrine ne l’étouffe.”
N’en déplaise aux ennemis de la marquise de Montespan, aucune trace de poison n’est trouvée lors de l’examen du corps de Marie-Angélique de Fontanges. Le compte rendu de l’autopsie mentionne d’ailleurs l’intégrité de l’estomac et des intestins, signe que la jeune femme n’a pas absorbé de poison.
De funestes couches ?
Si la mort de Marie-Angélique de Fontanges est liée à l’état de ses poumons, comment expliquer les pertes de sang dont elle est victime durant des mois, à partir de 1680 et ce jusqu’à la fin de sa vie ? Mal remise de son accouchement de décembre 1679, Mademoiselle de Fontanges est victime d’hémorragies que les médecins ne parviennent pas à soigner. A la cour, on l’a dit “blessée au service du roi”.
La jeune femme ira cacher son mal à l’abbaye de Maubuisson, le roi étant « dégoûte par sa maladie ». C’est un certain Charles Trimont de Cabrières, un ecclésiastique ayant des connaissances en botanique, qui parvient à soigner Marie-Angélique. Rétablie, elle revient à Saint-Germain en mai 1680. Mme de Sévigné écrit : « Voyez un peu comment le prieur de Cabrières est venu redouter cette belle beauté à la cour ». Le comte de Bussy-Rabutin note également que “Mlle de Fontanges présente toutes les apparences de retour de santé”. En juillet, la favorite est à nouveau victime d’un « flux de sang », au sujet duquel Mme de Sévigné écrit à sa fille : « Vous avez ri de cette personne blessée dans le service du roi ; elle l’est à un point qu’on la croit invalide ». Marie-Angélique quitte la cour pour l’abbaye Chelles « perdant tout son sang, pâle, changée, accablée de tristesse ».
Lorsqu’elle revient à la fin de l’été 1680, la duchesse doit rapidement s’aliter. Elle quitte définitivement la cour en mars 1681. Que s’est-il passé au cours de ces quelques mois ? Il semblerait que Marie-Angélique soit à nouveau enceinte. En effet, bien que les historiens ne lui attribuent généralement qu’une seule grossesse – en 1679 – pour beaucoup de ses contemporains, la duchesse de Fontanges est décédée à la suite d’un accouchement. Mme de Caylus, nièce de Mme de Maintenon, écrit : « Cette fille s’est tuée pour avoir voulu partir de Fontainebleau, le même jour que le roi quoiqu’elle fut en travail et prête à accoucher ». Dix-huit mois s’écoulant entre son accouchement de 1679 et son décès, il faut que Marie-Angélique se soit retrouvée une nouvelle fois enceinte pour que les courtisans évoquent une mort provoquée par de funestes couches. Au XIXe siècle, l’historien Ernest Lavisse notera d’ailleurs que “deux fausses couches lui firent perdre la faveur du roi“. Au siècle suivant, François Bluche donne à Mademoiselle de Fontanges une fille, non viable, née en 1681.
Cependant, lors de l’autopsie, les praticiens trouvent « la matrice et la vessie fort saines et naturelles ». Ainsi, si la duchesse supporte mal ses grossesses, qu’elle ne mène sans doute pas à terme, celles-ci n’auraient pas été la cause de son décès. Ses « malheureuses couches » auraient juste affaibli la jeune femme, dont le corps n’aurait pu se défendre ensuite contre une infection respiratoire. Ainsi, qu’elle soit mal remise de ses couches aurait juste « hâté l’action » d’une pneumonie d’origine tuberculeuse. D’ailleurs, Marie-Angélique semble être en rémission en mai 1680, après avoir été soignée par Cabrières, pour retomber dans ses maux (flux de sang) en juillet d’après Mme de Sévigné. A cette date, elle débute sans doute sa seconde grossesse et est donc plus fragile.
Le rapport d’autopsie donne également une explication sur les « flux de sang » dont fut régulièrement victime Marie-Angélique de 1680 à sa mort, les médecins ayant trouvé “une altération et intempérie chaude et sèche du foie qui, ayant une fait une grande quantité de sang bileux et âcre, lui aurait causé les pertes naturelles qui ont précédé”. Les hémorragies de la duchesse de Fontanges n’auraient donc aucun lien avec ses grossesses, et viendraient du foie « d’une grandeur démesuré, et sa partie droite non seulement altéré, mais sa substance corrompue et sa couleur fort chargée ». D’ailleurs, du vivant de Marie-Angélique de Fontanges, le comte Primi Visconti a écrit que les médecins pensaient de sa maladie lui venait « d’un rupture d’intestins ». Aucun lien donc, avec un accouchement.
Si le rapport d’autopsie semble écarter définitivement un lien entre la mort et une grossesse, en 1988, le professeur de gynécologie Yves Malinas attribue pourtant le décès Marie-Angélique, non pas à la tuberculose ou à un empoisonnement, mais à un cancer de la membrane fœtale (ou à un cancer de l’utérus), consécutif à un accouchement ou fausse-couche. Après ses couches malheureuses, un morceau de placenta serait resté l’utérus (on parle de rétention placentaire) et aurait ainsi provoqué ces pertes de sang. Cette hypothèque ne remet pas en cause le rapport d’autopsie, un abcès au poumon pouvant se déclarer à la suite d’une infection génitale. Selon le docteur Laulan (1952), le fait que les lésions initiales soient en voie de guérison expliquerait la saine apparence de la vessie et de l’utérus lors de l’autopsie, et l’état catastrophique du foie et des poumons.
Si Marie-Angélique de Fontanges est décédée d’un cancer de la membrane fœtale, celui-ci se manifeste forcément après son deuxième accouchement, début 1681. Mais, si on adhère à cette thèse, comment expliquer les hémorragies qui débutent en janvier 1680 ? Il faudrait donc que la duchesse n’ait connu qu’une seule grossesse, ses problèmes gynécologiques l’empêchant de tomber enceinte à nouveau. Son état de santé se serait dégradé durant dix-huit mois, avec des périodes de rémission.
Conclusion :
Si on peut écarter une mort provoquée par un empoisonnement, doit-on l’attribuer à une tuberculose pulmonaire, comment le laisse penser le rapport d’autopsie, ou à un cancer qui se déclenche suite à un malheureux accouchement, ce que suggèrent les médecins de la seconde moitié du XXe siècle ? Je pencherais pour la première hypothèse au regard des éléments suivants :
– le témoignage des contemporains qui évoquent les problèmes respiratoires de la duchesse de Fontanges
– les hémorragies, longtemps inexpliquées, qui peuvent venir du foie plutôt que de mauvaises couches
– le fait qu’il est très probable que la duchesse de Fontanges fut enceinte une seconde fois, en 1680, chose que n’aurait pas permis un cancer de la membrane fœtale ou de l’utérus.
– la période de rémission, entre mai et juillet 1680
A la lumière des éléments ci-dessus, le lecteur se forgera sa propre opinion.
Ouvrages consultés :
- De quoi sont-ils vraiment morts ? du Dr Jacques Deblauwe
- Mademoiselle de Fontanges, de Jean Gallotti
- La duchesse de Fontanges, favorite de Louis XV, de Henri Pigaillem
- Mémoires sur la cour de Louis XIV, de Primi Visconti