Le drame d’Anne de Bretagne : l’absence de fils
Née en 1477, Anne de Bretagne, sera par deux fois reine de France. Cependant, elle échouera dans sa fonction principale : donner un héritier à la couronne. Féconde, Anne de Bretagne verra pourtant la plupart de ses grossesses se terminer par une fausse-couche ou la naissance d’un enfant non-viable.
Le 6 décembre 1491, Anne de Dreux, duchesse de Bretagne, épouse le roi de France Charles VIII. Le couple développe des liens très forts et la reine tombe rapidement enceinte. On sollicite les prières de François de Paule, ermite et religieux italien réputé pour ses « miracles ». Celui-ci prédit à Charles VIII qu’il « lui naîtra un fils, qui aura pour nom Orland ». Le 10 octobre 1492, Anne de Bretagne met effectivement au monde un garçon, le dauphin tant désiré, qui est prénommé Charles-Orland. Cette heureuse naissance est suivie par une série d’espoirs déçus : à peine remise de son accouchement, Anne est de nouveau enceinte mais fait une fausse-couche en juillet 1493, lors d’une chasse dans la forêt de Courcelles, durant laquelle la reine ne s’est pas ménagée. L’enfant est suffisamment formé pour que l’on constate que c’était un garçon. On se console rapidement de cette perte, Anne annonçant une troisième grossesse, au début de l’année 1494. Là encore, elle perd l’enfant au printemps, ayant voulu suivre Charles VIII à Lyon – contre l’avis des médecins – qui part guerroyer en Italie : bien qu’elle voyage en litière, à cause des pavés de la ville, la reine fait une nouvelle fausse-couche.
Lorsque le roi quitte son épouse, à la fin du mois d’août 1494, Anne est à nouveau enceinte. Depuis Naples, Charles VIII apprend que la reine a mis au monde un fille mort-née, en avril 1495. Le sort semble s’acharner sur le couple royal. Anne est-elle trop jeune pour enfanter ? Ses grossesses sont-elles trop rapprochées ? Une autre épreuve attend la reine : le 16 décembre 1495, le petit Charles-Orland meurt de la rougeole. Alors que ses parents pleurent la mort de l’héritier du trône, le cousin de Charles VIII, Louis d’Orléans, ne cache pas sa joie car, en l’absence d’un dauphin, il est désormais le premier dans l’ordre de succession. Anne supporte mal le comportement provoquant du royal cousin, qui est obligé de quitter la cour et de se retirer au château de Blois, pour avoir déplu à la reine. Celle-ci mettra longtemps avant de lui pardonner de s’être réjoui publiquement de la mort de son fils. Bien des années après du dauphin, Anne de Bretagne commandera un tombeau en marbre blanc et gris, avec les gisants de Charles-Orland et du dauphin suivant, le petit Charles, témoignant ainsi qu’elle n’a jamais oublié ses enfants disparus trop tôt. Ce tombeau sera achevé en 1506.
Peu de temps après la mort du dauphin, la reine est enceinte – devoir dynastique oblige ! – et accouche d’un nouveau fils, le 8 septembre 1496. Prénommé Charles, l’enfant décède le 2 octobre. En juin 1497 naît un autre garçon, François, qui meurt peu après. Pourtant, Anne de Bretagne fait tout pour que ses fils survivent, en recherchant le meilleures nourrices du royaume et multipliant les prières pour protéger les dauphins successifs. Le 20 mars 1498, c’est une double déception : la reine accouche d’une fille, que l’on a juste le temps de prénommer Anne avant qu’elle ne meure. Face à cette suite de maternités infructueuses, Charles VIII ne cache pas sa déception. Sur les sept grossesses de la jeune reine, seule la première a donné un héritier viable, hélas emporté par la maladie.
Lorsque Charles VIII décède prématurément le 7 avril 1498, tous les enfants qu’Anne de Bretagne a mis au monde sont morts. Le cousin du défunt roi, le duc d’Orléans, monte alors sur le trône, sous le nom de Louis XII. Ce dernier s’empresse de faire annuler son union avec l’infirme Jeanne de France – qui ne lui a pas donné d’enfants – pour épouser la veuve de Charles VIII. En effet, le contrat de mariage d’Anne de Bretagne stipule que, dans le cas où Charles VIII décéderait sans laisser d’héritier, la reine aurait le devoir de se remarier avec son successeur, afin que la France conserve le duché de Bretagne, amené en dot par Anne en 1491. Louis XII, qui, en secret, aime depuis longtemps Anne de Bretagne, est ravi de sa nouvelle union. Au fil du temps, la reine a appris à connaître celui qui n’était alors que le duc d’Orléans. Ayant excusé son comportement à la mort de Charles-Orland, Anne nourrit désormais, elle aussi, de doux sentiments pour son second époux. Le mariage a lieu le 17 janvier 1499. En octobre de la même année, la reine met au monde une fille prénommée Claude.
Comme au cours de sa première union avec Charles VIII, Anne de Bretagne multiplie les fausses-couches durant son second mariage : en juillet 1500, l’ambassadeur vénitien écrit que la reine est à nouveau enceinte. L’enfant n’arrivera jamais. Erreur due à un retard menstruel ou fausse-couche ? Il est difficile de faire la différence à cette époque. En 1501, François de Paule aurait envoyé à Louis XII douze cierges « miraculeux » pour aider lors d’un accouchement, ce qui laisse à penser qu’Anne débute une nouvelle grossesse. Là encore, il n’y aura pas de naissance.
En janvier 1503, la reine donne enfin naissance à un fils, prénommé François. Hélas, trois semaines plus tard, le petit dauphin est mort. La reine ne peut que pleurer la perte d’un nouveau mâle et aurait déclaré : « Seigneur, comment la mort auprès de moi ne peut donc jamais être distraite ? ». Face aux nombreuses fausses-couches de la reine, et suite à la perte de ce fils, Louis XII commence sérieusement à douter que son épouse puisse un jour lui donner un héritier viable. Cela le pousse à se préoccuper de sa succession : le roi entreprend de marier sa fille à son cousin, François d’Angoulême, qui deviendra son héritier à défaut d’enfant mâle. Si la loi salique interdit aux femmes de ceindre la couronne, Louis XII s’arrange ici pour permettre à Claude de devenir reine de France, en tant qu’épouse du duc d’Angoulême, si « le mauvais sort s’acharne » à ne pas lui donner de fils. C’est d’ailleurs en 1503 que Louis XII commande une enluminure mettant en scène la reine Anne, tenant la petite Claude sur ses genoux. Le roi et l’allégorie de la Raison désignent tous deux la jeune princesse, comme étant l’avenir du royaume de France :
Bien que François d’Angoulême soit le plus proche parent de Louis XII, et que la règle le désigne comme son successeur en l’absence d’un dauphin, le roi n’accepte de reconnaître officiellement son cousin comme son héritier qu’à la condition qu’il convole avec Claude. Les fiançailles entre les deux enfants sont décidées en 1506.
Contrarié par l’absence d’un enfant mâle, Louis XII se détourne peu à peu d’Anne, si bien qu’aucune grossesse ne semble suivre le décès du petit François. Le Parlement doit intervenir pour rappeler au roi, qui veut aller guerroyer, ses devoirs : « La reine n’est certainement pas enceinte et le Parlement veut que roi reste en France, n’ayant pas de fils ». La nécessité d’engendrer un héritier ramène Louis XII dans le lit de son épouse : en octobre 1507, la reine accouche avant terme d’une fille mort-née. Le 25 octobre 1510, Anne de Bretagne met au monde une nouvelle fille, Renée de France. Celle-ci survit, mais ce n’est toujours pas le fils tant souhaité. La reine est à nouveau enceinte l’année suivante. On multiplie les précautions et Anne garde la chambre, afin d’éviter tout accident. Louise de Savoie – mère du comte d’Angoulême que Louis XII a reconnu comme son héritier après ses fiançailles avec Claude – est inquiète : elle tremble à chaque nouvelle grossesse de la reine. Une fausse-couche ou la naissance d’une fille est pour elle un soulagement : depuis que son fils François d’Angoulême est né en 1494, Louise de Savoie a toujours vu en lui le futur roi de France.
En janvier 1512, la reine donne naissance à un fils, qui ne vit que quelques heures. Un contemporain notera : « il n’eut point de vie, ce dont le roi fut bien dolent ». Louise de Savoie se réjouit et consigne dans son journal, au sujet de cet éphémère dauphin : « Il ne pouvait retarder l’exaltation de mon César [François d’Angoulême] car il avait faute de vie ». La reine Anne décède le 9 janvier 1514, épuisée par ses nombreuses grossesses, mais aussi rongée par une infection urinaire et minée par la gravelle. Le second mariage de Louis XII avec Marie d’Angleterre reste stérile et le roi meurt en janvier 1515, sans laisser d’héritier à la couronne de France. Son cousin le plus proche, François d’Angoulême, devient François Ier. Pour renforcer sa légitimité et s’inscrire dans la continuité de la dynastie des Valois, François a épousé Claude de France en 1514.
Résumons : de son premier mariage avec Charles VIII, Anne a perdu tous ses enfants, majoritairement des fils. De son union avec Louis XII, ne survivront que deux filles. On a vu le futur Louis XII se réjouir publiquement de la mort de dauphin Charles-Orland et Louise de Savoie suivre avec anxiété toutes les grossesses de la reine. Se sont-ils tous deux rendus coupables de meurtres sur des nourrissons en faisant disparaître les fils d’Anne de Bretagne tandis que ses filles, Claude et Renée, survivent au delà de la petite enfance ? Ce serait oublier les filles, mortes à la naissance, en 1495, 1498 et 1507. Mais il ne faut pas forcément voir un assassin derrière chaque personne que la mort d’un dauphin rapproche du trône. A l’époque, la mortalité infantile est élevée et – à titre d’exemple – la mère de Charles VIII a elle-même perdu six enfants sur les neuf dont elle a accouché, Charles étant le seul garçon qui ait survécu… d’où la nécessité de multiplier les grossesses, pour espérer que quelques enfants dépassent la période dangereuse des premières années. Le fait qu’Anne de Bretagne fasse de nombreuses fausses-couches, ou accouche avant terme, peut également s’expliquer par le fait qu’elle ne se ménage pas pendant ses grossesses.
En revanche, le peuple verra dans ces morts successives une punition divine, dirigée contre Charles VIII et Louis XII, à cause de leur convoitise sur la Bretagne : le premier a renvoyé sa fiancée, Marguerite d’Autriche, pour épouser Anne de Dreux qui apportait la Bretagne en dot ; le second a répudié son épouse, Jeanne de France, pour ne pas laisser échapper le duché si durement acquis.
Bibliographie :
– Les reines de France au temps des Valois : le beau XVIe siècle, de Simone Bertière
– Les couches d’Anne de Bretagne, de Pauline Matarasso
– Anne de Bretagne, de Philippe Tourault