Enigmes de l'Histoire

L’Affaire des Poisons et Mme de Montespan

Si  l’Affaire des Poisons n’entache pas l’image de Mme de Montespan durant sa vie, la découverte des procès-verbaux recopiés par La Reynie, vient ternir la mémoire de la favorite de Louis XIV.  Pourtant, les éléments suivants tendent à démontrer  que la marquise de Montespan a été davantage une victime qu’une coupable :

La célèbre sorcière Catherine Monvoisin, dite La Voisin, n’a jamais prononcé le nom de Mme de Montespan. C’est sa fille, Marie-Marguerite, qui l’évoque après que sa mère eut été brûlée vive le 22 février 1680. C’est le 28 mars de la même année que Marie-Marguerite Monvoisin avoue que sa mère s’était rendue à plusieurs reprises à la cour en février 1679 afin de remettre au roi un placet. La Voisin avait bien stipulé, au cours de son interrogatoire, qu’elle avait voulu voir le roi afin d’obtenir la libération de son amant, Denis Poculot, sieur de Blessis, empoisonneur retenu par le marquis de Termes (qui voulait obtenir de lui le secret de transformer le plomb en or). En juillet, Marie-Marguerite affirme que le placet était destiné à empoisonner Louis XIV. Elle confie également que sa mère et ses complices envisageaient d’empoisonner la nouvelle favorite du souverain, Marie-Angélique de Fontanges. Selon la fille Monvoisin, Mlle des Œillets, suivante de la marquise de Montespan, est venue à de nombreuses reprises chez sa mère. Il était donc facile pour La Reynie, lieutenant général de la police, de conclure que la demoiselle des Œillets agissait pour le compte de sa maîtresse, Mme de Montespan, qui enrageait de se voir supplantée par Mlle de Fontanges dans le cœur du roi. Cependant, Marie-Marguerite admet ne pas avoir vu Mme de Montespan, La Voisin la voyant toujours seule. Pourtant, quelques jours plus tard, la fille Monvoisin affirme avoir vu à plusieurs reprises la favorite du roi : « Elle a vu venir, il y a plus de huit ans, Mme de Montespan chez sa mère. Elle a porté plusieurs fois à Mme de Montespan des poudres ». Marie-Marguerite se contredit donc par rapport à ses premiers témoignages. Peut-on réellement croire en toutes les révélations de la fille de La Voisin au sujet de la favorite alors que la sorcière n’a jamais évoqué celle-ci ?

Gravure représentant La Voisin
Gravure représentant La Voisin

Autre personnage qui accuse la marquise de Montespan : l’abbé Guibourg. Arrêté en juin 1680 – après la mort de La Voisin – il affirme avoir dit trois messes noires sur le corps nu de la favorite de Louis XIV. A chaque fois, il y avait eu un sacrifice d’enfant. Mme de Montespan aurait ainsi passé un pacte avec le diable :

« Je demande l’amitié du roi et celle de Monseigneur le Dauphin, et qu’elle me soit continuée, que la reine soit stérile, que le roi quitte son lit et sa table pour moi, que j’obtienne de lui tout ce que je demanderai pour moi et mes parents, que mes serviteurs et domestiques lui soient agréables ; chérie et respectée des grands seigneurs, que je puisse être appelée aux conseils du roi, et savoir ce qui s’y passe, et que cette amitié redoublant plus que par le passé, le roi quitte et ne regarde La Vallière et que, la reine étant répudiée, je puisse épouser le roi. »

Chose étrange, Guibourg se souvient exactement du pacte au mot près mais n’est pas capable de donner une date précise : il évoque l’année 1667 ou 1668 puis plus tard l’année 1675 ! Bien qu’il affirme que la jeune femme nue était Mme de Montespan, il n’a jamais vu son visage qui restait couvert. De plus, de nombreux éléments du soi-disant pacte ne tiennent pas :

– Pourquoi demander l’amitié du dauphin, né en 1661, qui n’est encore qu’un enfant et qui n’a aucune influence sur son père ?
– En 1667, la reine a déjà donné plusieurs enfants à Louis XIV, elle ne peut donc pas être stérile.
– Le roi n’admet pas la reine à son Conseil alors qu’elle en a le droit. Mme de Montespan doit bien savoir que le roi ne mélangera jamais politique et vie amoureuse.
– Pourquoi demander que le roi laisse de côté Mlle de La Vallière ? C’est déjà fait puisque Mme de Montespan est la favorite depuis 1667.
– Chose incroyable quand Guibourg prétend que ce pacte date de 1675 : Mlle de La Vallière est au couvent depuis 1674 !
– A moins d’être stérile -ce qui n’est pas le cas – la reine ne peut être répudiée. Dès lors, pourquoi donc le demander ? De plus, le roi ne pourrait pas épouser Mme de Montespan même s’ il le voulait : celle-ci est mariée !

Portrait présumé de Mme de Montespan (1667)
Portrait présumé de Mme de Montespan (1667)

Françoise Filastre, dite La Filastre, est elle aussi jugée dans l’Affaire des Poisons. Empoisonneuse, elle a également eu recours plusieurs fois à l’avortement et a vendu ses propres enfants nouveau-nés pour des sacrifices à Satan ! La Filastre avait prévu d’entrer au service de Mlle de Fontanges. N’était-ce pas pour l’empoisonner ? Questionnée, l’empoisonneuse dément : elle cherchait à gagner de l’argent pour l’avancement de sa famille, ayant été jadis domestique. Elle affirme également ne pas connaître Mme de Montespan. Cependant, sous la « question » (sous la torture), La Filastre finit par accuser la marquise d’avoir voulu faire empoisonner Mlle de Fontanges afin de pouvoir reconquérir le cœur du souverain ! Mais avant de monter sur le bûcher, La Filastre se rétracte, disant avoir menti sous la torture à cause des souffrances qu’elle lui causait :  » Sachez que tout ce que j’ai déclaré est faux. Je ne l’ai fait que pour me libérer de la peine et de la douleur des tourments et dans la crainte qu’on me rappliquât la question. Je vous dis tout cela car je ne veux pas mourir la conscience chargée d’un mensonge ». Pour La Reynie, c’est un coup de théâtre dans l’Affaire.

Chose également étrange : de 1676 à 1679, Mme de Montespan voit sa faveur baisser mais d’après les sorcières et sorciers, toutes les visites de la marquises remontent à avant 1676. Pourquoi donc Mme de Montespan ne va-t-elle pas les voir pendant sa période critique et y aurait été avant, alors que tout allait bien pour elle ? De plus, Mme de Montespan avait des gardes du corps qui la suivaient partout depuis 1671. Comment aurait-elle pu se rendre chez des sorcières durant des années sans être vue ?

Marie-Angélique, duchesse de Fontanges (anonyme)
Marie-Angélique, duchesse de Fontanges (anonyme)

Aux dires de Marie-Marguerite Monvoisin, c’est Mlle des Œillets qui venait chercher les poudres pour Mme de Montespan. On ne peut interroger la favorite sans qu’un scandale n’éclate. De même, il n’est pas question d’arrêter sa suivante. La demoiselle est donc interrogée par Louvois, ministre chargé de l’Affaire. Celle-ci « convient d’avoir vu La Voisin une fois seulement, accompagnée par cinq ou six filles de son quartier, il y a plus de dix ans ». Elle assure également que pas un des prisonniers qui l’a nommé ne saura la reconnaître puisqu’elle ne les a jamais vus ! Néanmoins, confrontée aux empoisonneurs, Mlle des Œillets est reconnue. Il faut dire qu’elle est présentée devant eux seule et qu’il est, par conséquent, aisé de la reconnaître. Pour toute défense, Mlle des Œillets affirme qu’on a dû la confondre avec une personne lui ressemblant fortement. Il faut savoir que Claude de Vin des Œillets  était la maîtresse cachée du roi depuis le début des années 1670, lorsque Mme de Montespan était indisposée (malade, en fin de grossesse). Elle espérait devenir sa favorite officielle, prendre la place de Mme de Montespan et que le roi reconnaisse la fille qu’elle lui avait donné en 1676. Ce ne fut pas le cas, et Mlle des Œillets, pour se venger du roi et d’Athénaïs, aurait alors utilisé le nom de celle-ci pour commettre ses crimes. De plus, elle quitte le service de la marquise en 1677. Dès lors, comment Mme de Montespan pouvait-elle se procurer des poisons par son intermédiaires après cette date ?

Si les empoisonneuses et sorciers citent le nom de favorite en titre, aucun ne peut affirmer avoir vu son visage ! Ils ont juste reçu une dame qui disait être Mme de Montespan. Quelqu’un a très bien pu se faire passer pour la marquise sans que celle-ci ne soit impliquée. Et pourquoi pas Mlle des Œillets ? En 1680 Lesage avoue que celle-ci est venue un jour  chercher des poudres pour « les faire donner comme poudres pour l’amour à Mme de Montespan, et de faire empoisonner le roi par ce moyen, et par Mme de Montespan, sans qu’elle pensât le faire« . Mlle des Œillets aurait donc, par dépit, voulu se servir du nom de son ancienne maîtresse pour empoisonner Louis XIV et faire accuser Athénaïs si l’on découvrait que le monarque était mort d’empoisonnement !

Si la marquise de Montespan ne s’est pas livrée à des messes noires, ni tenté d’empoisonner le roi, il apparaît en revanche qu’elle envoyait bien sa dame de chambre, Mlle des Œillets, lui chercher des poudres pour conserver l’amour du roi. Mais on ne peut la soupçonner d’avoir voulu attenter à sa vie. Bien que certains aient avancé qu’Athénaïs avait voulu empoisonner Mlle de Fontanges et Louis XIV, pourquoi aurait-elle fait cela ? Mlle de Fontanges n’était assez intelligente pour garder la faveur royale bien longtemps, Athénaïs n’avait donc pas besoin de l’empoisonner. Si elle avait dû empoisonner quelqu’un c’était bien Mme de Maintenon qui lui faisait de l’ombre, puisqu’elle se rapprochait du souverain. Pourtant jamais celle-ci ne fut menacée par le poison. Si le roi mourrait qu’y gagnait Mme de Montespan ? Sans lui elle n’avait plus sa place à la Cour et les enfants qu’elle lui avait donnés n’étaient plus rien.  Concernant les tentatives d’empoisonnement sur Mlle des Fontanges, elles échouèrent à chaque fois, les empoisonneuses n’arrivant pas à approcher la demoiselle ou à passer les portes du palais. Si Mme de Montespan était à l’origine de ce crime, elle n’aurait pas eu de mal à introduire ses complices à la cour.

Jean-Baptiste Colbert et le marquis de Louvois, ministres opposés de Louis XIV

Pour l’historien Jean Lemoine, le ministre Louvois, ennemi de Mme de Montespan, se serait servi de l’Affaire des Poisons pour faire disgracier son « concurrent », Jean-Baptiste Colbert, ami de la marquise. D’autres personnes importantes furent mêlées à l’Affaire des Poisons (le maréchal de Luxembourg, la duchesse de Bouillon, la comtesse de Soissons), tous proches de Colbert. Quant à Louvois, il rendit même visite à des prisonniers pour leur promettre la vie sauve s’ils parlaient ! Espérait-il des aveux à propos de Mme de Montespan ?

Il faut relever que presque tous ceux qui prononcèrent le nom de la favorite évitèrent la mort ! En effet, pour être condamné à la peine capitale, il fallait avoir un procès. Mais Louis XIV refusait que le nom de sa maîtresse soit prononcé.  De ce fait, les accusés qui firent référence à la marquise de Montespan échappèrent à la potence.  La Voisin aurait donc eu intérêt à la citer si elle l’avait vraiment reçu. Par conséquent, si sa fille Marie-Marguerite évoque la marquise après la mort de sa mère c’est probablement pour ne pas être contredite par celle-ci.  Il faut savoir que les prisonniers pouvaient communiquer entre eux et ont très bien pu convenir de citer le nom de Mme de Montespan pour espérer avoir la vie sauve.

 La plupart des historiens sont aujourd’hui convaincus de l’innocence d’Athénaïs de Montespan. On peut admettre que la marquise n’avait aucun intérêt à souhaiter la mort du roi et celle de Mlle de Fontanges, qu’elle n’a pas participé à des messes noires avec sacrifice d’enfant. La favorite a probablement usé de philtres d’amour et fut victime de Mlle des Œillets qui prit son identité pour servir ses propres desseins. Mais que penser des témoignages troublants concernant la période où Mme de Montespan n’était pas encore la maîtresse du roi ? Arrêtés une première fois en 1668, les devins Lesage et Mariette avouèrent avoir dit l’Evangile sur la tête de Mme de Montespan qui désirait l’éloignement (ou la mort) de Mlle de La Vallière dans les années 1666-1668. La marquise aurait également assisté à des messes sacrilèges (avec sacrifice de pigeons) chez sa sœur, Mme de Thianges, et récité des conjurations diaboliques. L’Abbé Guibourg, qui évoquait des messes noires pour le compte de Mme de Montespan vers 1667, disait-il vrai ? Il se peut fort bien qu’il ait dit plusieurs messes et qu’il ait fondu tous les pactes en un (celui livré ci-dessus). L’incertitude demeure sur un point : ces messes noires ont-elles été commandées par Mme de Montespan elle-même ? Car encore une fois, le visage de la femme qui s’est livrée à messe noire de 1667 n’a pas été vu. Ce qui demeure, c’est le fait qu’Athénaïs s’est livrée à des sortilèges avant de devenir la maîtresse de Louis XIV dans l’espoir de supplanter Mlle de La Vallière. De ce fait, puisqu’il est avéré que la marquise a fréquenté le monde des sorcières dans les années 1666-1668, il était facile par la suite, de l’accuser pour les actions sacrilèges et les tentatives d’empoisonnements survenues au temps de sa royale faveur.

Bibliographie 

L’Affaire des Poisons (1679-1682), par Arlette Legibre
– L’Affaire des Poisons : crimes et sorcellerie au temps du Roi-Soleil,  par Jean-Christian Petitfils
– Une ombre sur le Roi-Soleil : l’affaire des Poisons, par Claude Quétel

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