La traite arabo-musulmane : L’esclavage en terres d’islam
Le magazine Historia aborde un sujet sensible : celui de l’esclavage en terres d’Islam, du VIIe au XXe siècle.
Lorsque l’on évoque l’esclavage en Orient, on pense souvent aux harems peuplés par des femmes d’origine occidentale, là pour satisfaire les désirs du sultan ou du pacha. Certaines d’entre elles, en devenant la favorite du souverain ou la mère de ses enfants, ont ainsi pu sortir de leur condition à l’exemple de la belle esclave Roxelane, d’origine ukrainienne, qui réussit à se faire épouser par le sultan Soliman II le Magnifique, au XVIe siècle.
Mais dans le monde arabe, l’esclavagisme n’est pas seulement féminin. Face aux richesses terrestres à exploiter, l’élite a recours au travail des esclaves, qui sont capturés au fil des conquêtes et des raids. Très vite, le commerce des esclaves se révèle être un marché juteux, face à une demande toujours croissante de main-d’œuvre. Ainsi, durant la seconde moitié du XIXe siècle, le sultan de l’archipel Zanzibar détient plus de 6000 esclaves, qui travaillent dans ses 45 plantations.
C’est à cette époque que deux explorateurs anglais, John Speke et Richard Burton, vont témoigner au sujet de cette traite et alerter le gouvernement britannique sur les conditions inhumaines subies par ceux qui sont réduits en esclavage. D’autres explorateurs dénonceront également ces pratiques. L’un d’eux, Samuel White Baker, va jusqu’à faire évader une jeune femme roumaine, Florence Van Sass, d’un marché aux esclaves (alors qu’elle vient d’être vendue à un pacha). Elle deviendra son épouse… mais le chemin est encore long pour obtenir que les marchés d’esclaves ferment définitivement.
On distingue deux types d’esclaves : ceux issus de la traite « à longue distance » et ceux qui ont été capturés lors de raids ou de guerres. A compter du XVIe siècle, les corsaires d’Afrique du Nord organisent des expéditions maritimes sous la conduite du calife, afin de lui rapporter des butins mais également des captifs. Ce commerce génère une nouvelle source de revenus pour les corsaires, qui sévissent sur les côtes européennes. Afin d’échapper à l’esclavage, les prisonniers peuvent ainsi racheter leur liberté ou faire appel à leurs proches pour réunir une rançon ! Cette politique de rançonnage se révèle parfois bien plus lucrative que la vente d’esclaves sur les marchés. En effet, la capture de milliers de chrétiens soulève l’indignation des ordres religieux en Europe et débouche sur des missions diplomatiques qui ont pour but de racheter les prisonniers… ce qui encourage les corsaires à poursuivre leur activité.
Si l’esclave peut être exploité, intégré de force dans l’armée, vendu ou cédé à un tiers, le Coran encadre cependant l’esclavage, rappelant l’obligation du maître à être bienveillant envers ses esclaves : il doit les entretenir et ne pas les maltraiter ou les prostituer. De même, tout enfant né de la relation entre le maître et une esclave hérite de la condition libre de son père : de nombreux dirigeants musulmans sont ainsi issus d’une telle union. Mais, en dépit des règles inscrites dans les textes sacrés, les conditions de vie demeurent inhumaines pour des millions de personnes réduites en esclavages durant ces treize siècles.
Le Coran insiste également sur l’affranchissement de l’esclave, qui dépend du bon vouloir du maître. Ainsi, une très faible minorité d’esclaves parvient à s’élever, ayant réussi à gagner la confiance de leur maître. Le plus bel exemple est celui d’Aibak : capturé enfant et vendu au sultan de Delhi à la fin du XIIe siècle, il gravit les échelons en devenant gouverneur de l’Inde musulmane avant de se proclamer sultan, à la mort de son ancien maître en 1206. Il est à l’origine de la « dynastie des Esclaves » (dynastie Muizzî) qui dirigera le sultanat de Dehli jusqu’en 1290. Mais l’affranchissement d’un esclave (ainsi que de sa descendance) entraîne indirectement de nouveaux besoins en main-d’œuvre, au fil du temps…
On estime que sur les terres d’Islam, l’esclavagisme a frappé quelques 20 millions de personnes, capturées, vendues ou échangées entre 650 et 1920. Cette traite orientale est longtemps restée un sujet tabou, sur lequel les historiens d’aujourd’hui tentent de faite la lumière.
mensuel N°899 / novembre 2021