La succession de Pierre le Grand : la course au pouvoir
La fin du règne du tsar Pierre le Grand (1672-1725) ouvre une page sombre dans l’histoire des Romanov. En 1718, le tsarévitch Alexis meurt à l’âge de 28 ans, dans d’horribles conditions. Celui-ci ne s’est jamais bien entendu avec son père. Né de sa première union avec Eudoxie Lopoukhine (1669-1731), Alexis est le seul fils survivant du tsar et, par conséquent, son héritier. Il n’a jamais pardonné à son père d’avoir répudié Eudoxie pour épouser sa maîtresse, Catherine Skavronskaïa. De ce fait, le tsarévitch méprise Pierre le Grand et ne cesse de le provoquer. A plusieurs reprises, il annonce vouloir se faire moine, plutôt que de devenir tsar. Alexis s’oppose à la politique menée par son père, qui le menace de le déshériter. Mais le tsarévitch, entêté et sournois, subit une mauvaise influence de la part de son entourage, qui ne tolère pas que son père intervienne dans la vie privée du jeune prince.
En 1711, Pierre le Grand contraint Alexis à épouser une princesse allemande, Charlotte de Brunswick-Wolfenbüttel, belle-sœur de l’empereur germanique Charles VI. Lui préférant sa maîtresse, la belle Euphrosine, le tsarévitch bat sa femme, et ce même durant ses grossesses. Charlotte meurt, victime des coups de son époux, en novembre 1715, quelques semaines après la naissance d’un fils. Le comportement violent d’Alexis n’est pas sans rappeler l’accès de folie d’Ivan IV, qui avait roué de coups sa belle-fille enceinte. Dès lors, le tsar craint pour la santé mental de son héritier, lequel s’enfuit avec sa maîtresse, pour échapper au courroux de son père. Persuadé par un diplomate de Pierre le Grand de rentrer à Moscou, Alexis renonce, en mars 1718, à ses droits au trône. Il est ensuite jugé trahison et désertion, accusé d’avoir voulu renverser le tsar. Torturé, Alexis est reconnu coupable de crimes contre l’État, et condamné à être fouetté jusqu’à ce que mort s’en suive. Ce châtiment, particulièrement cruel, entache l’image de Pierre le Grand. Alexis est finalement exécuté secrètement dans sa cellule en juillet 1718, étranglé ou empoisonné. Officiellement, les ambassadeurs de Russie annoncent que le tsarévitch est mort « après avoir confessé ses fautes et obtenu la grâce de son père »… ce qui n’empêche pas toute l’Europe d’être scandalisée par la fin tragique d’Alexis.
Lorsque que Pierre le Grand meurt en février 1725, son épouse lui succède sous le nom de Catherine Ire. Des nombreux enfants du couple, seules deux filles ont dépassé le stade de la petite enfance : Anne (née en 1708) et Élisabeth (née en 1709). Au décès de l’impératrice, en 1727, c’est le fils du défunt tsarévitch Alexis et de la malheureuse Charlotte de Brunswick, qui monte sur le trône, sous le nom de Pierre II. Cet enfant est âgé de 12 ans et ne règne qu’à travers ses conseillers. Sa formation à l’exercice du pouvoir a été négligé et il ne montre aucun intérêt pour les affaires politiques. Les Dolgorouki, puissante famille aristocratique, conseillent le jeune tsar, qui leur abandonne le pouvoir. Le jeune Pierre II est bientôt fiancé à la princesse Catherine, sœur d’Alexis Dolgorouki. Mais le 19 janvier 1730, le tsar meurt, emporté par la petite vérole, à l’âge de 14 ans. Avec Pierre II, c’est la lignée masculine des Romanov qui s’éteint.
Le Grand Conseil de Russie offre le trône à Anna Ivanovna, fille du tsar Ivan V. Celui-ci n’est autre que le demi-frère de Pierre le Grand, avec qui il a partagé le pouvoir jusqu’à sa mort en 1696. Née en 1693, Anna Ivanovna est mariée, en 1710, par son oncle à Frédéric Guillaume Kettler, prince de Courlande, neveu du roi de Prusse Frédéric Ier. Bien que veuve dès 1711, la princesse russe reste vivre en Lettonie. Elle n’est pas réputée pour sa beauté, est décrite comme étant laide, paresseuse et peu intelligente. Afin d’accéder au trône de Russie, Anna se plie aux conditions imposées par le Grand Conseil, qui cherche à avoir plus de pouvoirs. Mais une fois arrivée à Saint-Pétersbourg, celle qui est devenue Anna Ire déchire le document limitant son autorité et fait arrêter les membres du Grand Conseil, qui est immédiatement dissous. La nouvelle impératrice surprend d’abord par cet acte inattendu. Pourtant, par la suite, elle s’occupe peu des affaires de l’État, laissant ses ministres prendre la plupart des décisions. Les dernières années du règne d’Anna sont impopulaires : la tsarine, devenant méfiante et voyant des complots partout, condamne à mort les membres du Grand Conseil. Ceux qui déplaisent à l’impératrice – ou à son favori le comte Biron – sont accusés de trahison, exilés, déportés, voire exécutés. Anna décède le 17 octobre 1740, victime d’une affection rénale, à l’âge de 47 ans. Elle ne laisse pas d’enfant légitime. Avant de mourir elle désigne, pour lui succéder, son petit-neveu, Ivan.
Qui est donc celui à qui l’impératrice Anna offre le trône de Russie à sa mort ? Celui qui est désormais Ivan VI n’est âgé que de deux mois. C’est un arrière petit-fils d’Ivan V : Sa grand-mère maternelle , Catherine Ivanovna (1692-1733), était la sœur aînée de la tsarine Anna. Catherine a épousé le duc Charles II de Mecklembourg-Schwerin. Le couple a eu une fille en 1718, Elisabeth, rebaptisée Anna Leopoldovna après que sa tante soit devenue impératrice de Russie. En effet, Anna Ire n’ayant pas d’enfant, sa nièce devenait son héritière putative. En 1739, la tsarine lui a fait épouser le prince Antoine-Ulrich de Brunswick Wolfenbüttel, pour renforcer les relations entre des Romanov et les Habsbourg. De cette union est né Ivan, le 23 août 1740 à Saint-Pétersbourg. C’est cet enfant que l’impératrice désigne comme son successeur. Sa mère, Anna Leopoldovna, est nommée régente, mais se désintéresse des affaires d’État. Quant au peuple, il est fatigué de l’influence allemande que subit la Russie depuis que le pouvoir est confié à des princesses prussiennes. La jeune régente ne voit pas le danger et devient vite impopulaire, même au sein de la noblesse. A l’inverse, la fille aînée de Pierre le Grand et de Catherine Ire, Élisabeth Petrovna, attire de plus en plus de sympathisants. Écartée du trône en 1730 à la mort de son neveu, Pierre II, Elisabeth est proche du peuple russe, et très populaire auprès des soldats de la Garde, auxquels elle rend régulièrement visite. Dès lors, elle est jugée plus russe – et plus légitime – que sa lointaine cousine allemande et le nouveau-né de celle-ci.
Dans la nuit du 24 au 25 novembre 1741, un coup d’État installe la fille de Pierre le Grand sur le trône de Russie. Anna Leopoldovna et son époux sont arrêtés et enfermés, ainsi que le petit tsar âgé de 15 mois. Selon une légende, Elisabeth aurait pris Ivan VI dans ses bras, en disant : « Mon pauvre enfant, tu es innocent mais tes parents sont coupables ». Le petit tsar destitué ne sortira jamais de prison et, devenu gênant pour les prétendants au trône de Russie, il sera assassiné en 1764. Abandonnés par tous ses partisans, Anna Leopoldovna meurt en détention lors d’un accouchement, en 1746, à l’âge de 28 ans. Refusant de retourner en Allemagne sans les quatre autres enfants que lui a donnés sa défunte épouse, Antoine-Ulrich de Brunswick-Wolfenbüttel mourra en captivité, en 1775. Ce n’est qu’en 1780 que les frères et sœurs d’Ivan VI seront libérés et confiés à leur tante, la reine douairière du Danemark Juliane-Marie de Brunswick. Ils mourront tous sans alliance ni postérité.
L’impératrice Elisabeth Ire n’étant pas mariée lorsqu’elle accède au trône, elle n’a pas de descendance à qui transmettre les rennes du pouvoir. Craignant que sa succession ne ravive des conflits, elle désigne pour lui succéder son neveu Karl Peter de Holstein-Gottorp, dès 1742. Ce dernier est tout indiqué, puisqu’il est un petit-fils de Pierre le Grand. Sa mère n’est autre que la princesse Anna Petrovna, sœur aînée d’Elisabeth Ire, morte peu après la naissance de Karl Peter, en 1728. L’impératrice Elisabeth fait venir auprès d’elle son neveu, afin que le futur tsar soit élevé en Russie. Le jeune homme ceindra la couronne en 1762 sous le nom de Pierre III, afin de mieux rappeler sa filiation avec son grand-père, Pierre le Grand.
Tous les tsars suivants, jusqu’à Nicolas II, descendront de Pierre III en ligne directe. Cependant, la Russie ne gagnera pas en tranquillité, l’assassinat devenant bientôt une pratique courante au sein de la famille impériale, pour faire disparaître un époux ou un père, afin d’accéder au trône. Avec les règnes d’ Anna Ire et de Pierre III, sans oublier la régence d’Anna Leopoldovna, le peuple russe développe une aversion pour les allemands, sentiment renforcé par le fait que la plupart des tsar convolent avec des princesses prussiennes. La dernière d’entre-elles, Alexandra Feodorovna se rendra vite impopulaire et sera haïe par le peuple…
Bibliographie :
– La saga des Romanov : de Pierre le Grand à Nicolas II, de Jean des Cars
– Les Tsarines : les femmes qui ont fait la Russie, de Vladimir Fédorovski
– Terribles tsarines, de Henri Troyat