La loi salique : les femmes évincées de la succession au trône
L’expression du « miracle Capétien » renvoie au fait que tous les rois de France ont eu au moins un fils pour leur succéder. Cependant, à sa mort en 1316, Louis X ne laisse qu’une fille, Jeanne de France (née en 1311), née de sa première union. Sa seconde épouse, Clémence de Hongrie, est enceinte. Il est alors convenu que le frère cadet du roi défunt, Philippe de Poitiers, exerce la Régence jusqu’à l’accouchement de la reine. C’est un fils qui naît en novembre, Jean Ier dit « le Posthume ». Hélas, l’enfant meurt au bout de cinq jours. La princesse Jeanne est encore une enfant et le comte de Poitiers est plus apte à gouverner un royaume en difficultés. Ajoutons à cela le fait qu’un soupçon de bâtardise pèse sur Jeanne, sa mère, Marguerite de Bourgogne, ayant été reconnue coupable d’adultère.
Philippe de Poitiers soulève également un autre problème : il n’est désormais plus question d’une succession fille/père (Jeanne/Louis X) mais d’une succession sœur/frère. En effet, il ne faut pas oublier que Jean Ier a symboliquement régné après Louis X. Avec la naissance – et la mort – de Jean le Posthume, il ne s’agit donc plus de la succession de Louis X mais bien de celle de Jean Ier. Bien que Jeanne de France soit liée par Louis X à Jean Ier, le comte de Poitiers, qui prétend hériter de son neveu, parvient à rallier à sa cause un grand nombre de princes et pairs. Ainsi, l’habilité de Philippe de Poitiers paie en dépit des protestations d’Eudes IV de Bourgogne (oncle maternel de Jeanne) et d’Agnès de France (grand-mère maternelle de Jeanne et fille de Saint-Louis), qui réclament le trône de France pour la petite princesse.
Après une série d’accords, il est convenu en mars 1318 qu’Eudes de Bourgogne renonce, au nom de Jeanne, à la succession de Louis X (et de Jean Ier). Afin de justifier cet acte, on prétexte qu’il est impossible de transmettre le trône à une femme : d’une part, en cas de mariage avec un prince étranger, le royaume de France constituerait une dot que la reine apporterait à son époux. Seulement voilà, la couronne n’appartient pas à celui qui la porte. En effet, le roi ne peut la transmettre à qui bon lui semble : la couronne de France appartient au royaume et les français ne seraient être gouvernés par un étranger. D’autre part, le statut de la femme en général joue beaucoup, car celle-ci est sous tutelle tout au long de sa vie : d’abord sous celle de son père, puis sous celle de son époux. Comment, en partant de là, expliquer qu’une femme puisse avoir un pouvoir plus élevé que celui des hommes ? Néanmoins, l’accord de mars 1318 démontre indirectement que la petite Jeanne pouvait revendiquer ce statut de reine, ainsi que la couronne de son défunt père : elle doit signer – par l’intermédiaire de son oncle – une renonciation. Ce point démontre qu’il aurait été tout à fait légitime qu’elle succède à son demi-frère Jean Ier.
A partir de cette date, il est décidé que le trône de France ne peut pas échoir à une femme. La couronne revient donc au comte de Poitiers, qui devient Philippe V. A sa mort en 1322, le roi ne laisse que des filles. Conformément à la loi salique, la couronne passe à son frère cadet, le comte de la Marche, qui devient Charles IV. Lorsqu’il meurt en 1328, il ne laisse, lui aussi, que des filles. Charles IV était le dernier fils de Philippe IV : la branche directe des Capétiens par voie masculine s’éteint avec lui. Le plus proche parent du roi défunt est son neveu, Edouard III roi d’Angleterre. Cependant, sa candidature au trône de France est rejetée. D’abord parce qu’il est roi d’un pays étranger et ne connaît rien de la France. Mais surtout, il descend de Philippe IV (son grand-père) par sa mère, Isabelle, sœur des derniers rois de France. Si la couronne de France ne peut aller à une femme, une femme peut-elle transmettre cette même couronne ? Afin de ne pas tomber sous la tutelle de l’Angleterre, les grands Seigneurs répondent négativement.
Ainsi, pour des raisons politiques, Edouard III, qui est pourtant le plus proche parent du dernier roi Capétien, est écarté du trône. C’est le cousin germain de Charles IV par voie masculine, Philippe de Valois (petit-fils de Philippe III), qui ceint la couronne de France sous le nom de Philippe VI. A la mort de Charles IV, on fait cependant à signer à Jeanne de France une nouvelle renonciation à ses droits sur la couronne. Par cet acte, on écarte également du trône celui qui va devenir son époux, Philippe d’Evreux. Car, tout comme Philippe de Valois, le comte d’Evreux est un petit-fils de Philippe III, et pourrait donc prétendre au trône, prétention renforcée par son union avec la fille de Louis X. Mais, bien que la loi salique écarte Jeanne du trône de France, celle-ci obtient « en dédommagement » la couronne de Navarre, en 1328. Ce royaume avait été rattaché à la France par l’union de Philippe IV avec Jeanne de Champagne, fille unique du roi de Navarre Henri Ier. Cette compensation marque bien la validité des droits que la fille de Louis X avait sur la couronne de son père, de son demi-frère et de ses oncles. D’ailleurs, il est curieux de constater que les femmes sont écartées du trône de France, mais pas de celui de Navarre, qui continue à être transmis aux femmes, en l’absence d’héritier mâle, jusqu’à Jeanne d’Albret.
Bien que, dans d’autres pays d’Europe – à l’exemple de l’Angleterre – la couronne revienne à la fille aînée du souverain en l’absence d’héritier mâle, ce ne sera jamais le cas en France. Cependant, si une reine ne peut transmettre la couronne, elle peut faire la transition entre deux rois lors d’une régence, lorsque son fils est trop jeune pour régner. D’où le caractère complexe de la situation de reine qui peut avoir le pouvoir mais qui gouverne toujours au nom d’un roi (et non au nom d’elle même), qui, une fois majeur, reprendra sans contestation possible les rennes de son gouvernement. En France, une femme est reine uniquement parce qu’elle est l’épouse d’un roi : elle est à la fois souveraine et sujette, ce qui limite ses actions au sein du gouvernement. Bien que reine, elle reste soumise au roi son époux, qui limite – ou non – son influence à la cour et dans sa politique.
Bibliographie :
– La Reine au Moyen Age : le pouvoir au féminin (XIVe-XVe siècle), par Muriel Gaude-Ferrau
– Chronologie commentée du Moyen Age français, par Laurent Theis
– La France, les Femmes et le Pouvoir : l’invention de la loi salique (Ve-XVIe siècle), par Eliane Viennot