La dernière lettre de Mme de Châteauroux
Voici ma première fiction historique. Elle a été écrite dans le cadre d’un concours d’écriture avec le thème suivant : se mettre dans la peau d’un personnage réel et rédiger une lettre pour un proche, en racontant un événement réel ou fictif.
Afin de mieux comprendre cette lettre fictive, vous pouvez vous reporter à l’article consacré aux sœurs Nesle.
« Le 25 novembre 1744, le comte de Maurepas apporte à la duchesse de Châteauroux un billet de Louis XV : après des mois de séparation, le roi exige le retour de sa maîtresse à Versailles. Depuis la maladie du souverain à Metz, en août de même année, son entourage (ses ministres comme le clergé ainsi que la famille royale) lui avait fortement conseillé de rompre avec la duchesse de Châteauroux, afin de cesser sa vie de péchés et sauver son âme. Le roi, alors faible, avait renvoyé sa maîtresse. Miraculeusement rétabli, il souhaite maintenant son retour.
Paris, 28 novembre 1744,
A ma sœur la duchesse de Lauraguais,
Ma chère sœur,
Vous qui m’avez tant soutenue au cours de ces derniers mois, vous qui pour moi êtes plus qu’une sœur, une amie, une confidente. Votre soutien a toujours été sans faille, même lorsque le peuple me maudissait, à Metz, me rendant injustement coupable du mal qui accablait notre roi. Comme il est facile de rendre la maîtresse de Sa Majesté responsable de tous les maux. A quoi donc devais-je m’attendre en vérité ? Nos sœurs ont été elles aussi calomniées ! Avant elles, les maîtresses de Louis XIV ne connurent pas non plus de repos. Admirées lors des démonstrations de fastes et de magnificences, elles ne sont que jalousées et mises plus bas que terre, dès que l’occasion se présente pour leurs nombreux ennemis. Ma victoire personnelle, c’est bien naturellement la visite de Monsieur de Maurepas. Cet homme, qui s’est réjoui de ma chute en août, s’est présenté chez moi il y a trois jours, contraint par le roi de m’apporter un billet dans lequel Sa Majesté réclame ma présence à la cour. J’aurai dû m’y rendre aujourd’hui. Tout cela, vous devez déjà le savoir. Mais je ne serai pas à Versailles ce soir. On me dira souffrante, pour expliquer mon retard.
En réalité ma chère sœur, je me porte encore assez bien, pour le moment. Je porte en réalité un lourd secret, qui me pèse affreusement. Aussi, pardonnez-moi de vous mettre dans la confidence, et de vous demander de porter ce fardeau avec moi malgré que vous êtes sur le point d’accoucher. Personne, hormis la vieille et bonne Marie, n’est au courant et ne devra apprendre ce que je vais vous révéler : depuis quelques semaines, je suis las, prise de vertiges et de faiblesses. J’ai fait venir un médecin, lui cachant qui j’étais. Ce qu’il m’a révélé n’a fait que confirmer une crainte qui grandissait en moi. Il y a deux nuits de cela, je me suis secrètement rendue à Versailles. Seul Lebel était instruit de ma venue. Lorsque je pénétrai dans la chambre de Louis, nos retrouvailles, après cette longue séparation, furent émouvantes et passionnées. Mais je n’étais pas là pour cela. Je devais paraître de nouveau à la cour et Louis devait être au courant de mon état : je n’ai pas quitté Metz tout à fait seule : depuis un moment, je me sais grosse des œuvres du roi. Cela ne posait aucun problème tant que j’étais indésirable à Versailles. Oubliée de tous, j’aurais mis au monde, dans le plus grand des secrets, cet enfant. Je l’aurai envoyé à la campagne, espérant qu’un jour j’aurai pu lui faire rencontrer Sa Majesté. Mais pour l’heure, je sais que le roi ne désire pas d’enfant de ses maîtresses. Ayant pris conscience de mon état, Louis a été pris de panique. Notre regrettée sœur Pauline était mariée, lorsqu’elle s’est retrouvée mère d’un bâtard du roi. Notre neveu a donc été reconnu par le marquis de Vintimille. Mais mon époux étant décédé depuis quatre ans, ma grossesse ne peut être imputée qu’à Sa Majesté.
Je ne vous apprendrez sans doute rien en vous écrivant que nous avions un accord, un accord que notre sœur Louise avait elle-aussi avec le roi : Sa Majesté ne veut en rien imiter son bisaïeul Louis XIV, en ayant des bâtards qui feront un jour de l’ombre aux héritiers légitimes de sa couronne. Un enfant né d’une femme de haute condition n’est pas envisageable : Louis craint trop que cet enfant ne trouve plus tard des appuis parmi la noblesse, pour l’aider à faire reconnaître sa royale naissance. Sa Majesté ne veut pas de bâtard. C’est pourquoi nous avions très souvent recours à ce que l’on nomme un « condom », afin que nulle vie ne puisse s’installer en mon sein. Cependant, ce moyen d’éviter une grossesse n’est pas sans faille. Le roi m’a demandé de trouver un moyen pour faire disparaître rapidement le fruit que je porte. Je ne peux retarder que de quelques jours, voire quelques semaines, mon retour à la cour. La condition posée par Sa Majesté, non négociable, est que je reparaisse telle que j’étais jadis : vide de toute vie. Peu importe les moyens que j’utiliserai, pourvu que cela soit efficace et rapide m’a confié Louis. Par là, il me suggérait d’avoir recours à un avortement. Cependant, il n’a jamais prononcé ce mot : le roi peut se montrer bien lâche et égoïste. Il sait fort bien que cette pratique est condamnable par les hommes, encore davantage par Dieu. Il ne veut pas en prendre la responsabilité. Il ne veut rien savoir de ce qui va se passer. Il m’a quitté grosse, il souhaite me revoir vide. C’est là l’unique condition à mon retour. Ce fruit que je porte est l’unique obstacle à mon triomphe.
J’ai été salie, bafouée, humiliée par les ministres, le confesseur de Sa Majesté, haïe et méprisée par la reine et les dames de sa maison. Je veux les voir plier dorénavant. Ils ont profité de la faiblesse du roi pour m’évincer. Certains ont été disgraciés dès le rétablissement de Sa Majesté. Le point final est mon retour alors que Louis avait promis de ne jamais me revoir. Le roi m’a également attribué la charge de Surintendante de la maison de la future dauphine. Je ne peux pas rester dans l’ombre. Je ne me retirerai pas du monde pour élever un bâtard et laisser mes ennemis triompher, donner au roi une autre maîtresse. Cette nuit, une faiseuse d’ange doit venir. Il paraît que c’est l’une des meilleures dans Paris, et que plusieurs dames de la noblesse ont déjà eu recours à ses services. Ne vous effrayez pas ma sœur et ne me jugez point. Vous aurez compris l’importance de cette venue. Ma bonne Marie la fera entrer discrètement par derrière. Nous ne serons que toutes les trois. Demain, mon ventre ne sera plus qu’un cimetière. Et dans quelques jours, je rejoindrai la cour pour écraser mes ennemis. Sitôt que vous aurez lu cette lettre, brûlez-là. Ainsi, il ne restera plus de trace de cette fâcheuse affaire.
Adieu ma chère sœur,
Marie-Anne de Châteauroux
Cette lettre de la duchesse de Châteauroux fut la dernière que sa sœur, Mme de Lauraguais, reçu. Le 30 novembre, le roi fut averti que sa maîtresse, fiévreuse, était au plus mal, victime de convulsions et de fortes douleurs dans tout le corps. La cour trouva Louis XV « rongé par l’anxiété ». Marie-Anne décéda le 8 décembre, officiellement d’une péritonite bien qu’on parla de poison. Elle n’avait que 27 ans. En réalité, la duchesse était morte des suites d’un avortement raté, ce que personne ne sut jamais. Alors qu’elle se mourrait, Mme de Lauraguais mettait au monde une fille, prénommée Marie-Anne… »
Au delà de la fiction : Renvoyée par Louis XV – sur pression de son entourage – en aout 1744, Marie-Anne de Nesle est rappelée à la cour en novembre. Alors toute puissante, la duchesse de Châteauroux meurt subitement deux semaines plus tard, le 8 décembre. J’ai choisi d’expliquer son décès par un avortement, le roi se refusant à avoir des enfants naturels de ses maîtresses en titre. En effet, seules ses « petites maîtresses » issues du peuple ont donné des enfants à Louis XV. La duchesse de Lauraguais a accouché d’une petite fille le 27 novembre 1744, alors que sa sœur était au plus mal. L’enfant n’a pas reçu de prénom, et est décédé en 1749.
Note : Merci de respecter ce travail personnel et de ne pas le reproduire sans citer votre source.