Jeanne de Champagne apporte la Navarre au royaume de France
Née le 14 janvier 1273, Jeanne est la fille du comte de Champagne et roi de Navarre, Henri Ier, et de Blanche d’Artois. L’année de sa naissance, ses parents perdent leur fils aîné, Thibaud, âgé de quinze mois, de manière tragique : sa nourrice et son gouverneur amusent l’enfant en se le lançant l’un à l’autre, jusqu’à ce que l’un d’eux ne parviennent pas à rattraper le bébé, qui tombe du haut de la galerie élevée (un rempart) du château d’Estella. La disparition de Thibaud est suivie par la mort prématurée d’Henri de Champagne : âgé de 30 ans, il est emporté en juillet 1274 par la tuberculose et/ou par son embonpoint. Suite au décès du roi de Navarre, c’est Jeanne hérite du trône de ses ancêtres. L’enfant est encore au berceau et c’est une fille. Bien vite, la Castille et l’Aragon émettent des prétentions sur le royaume de Navarre. Blanche d’Artois demande l’aide du roi de France, Philippe III, pour que le royaume de sa fille ne tombe pas aux mains de l’ennemi. En échange de l’intervention du roi de France, Jeanne est fiancée à l’un de ses fils.
Pour sceller l’union de la petite reine avec un prince français, une dispense papale est nécessaire : en effet, Blanche d’Artois et Philippe III ont tous deux pour grand-père le roi de France Louis VIII. Leurs enfants sont donc cousins, et ne peuvent se marier que si le pape les y autorise. Or, le pape Grégoire X ne souhaite pas que la Navarre soit rattachée à la France. Aussi, il prend soin d’accorder une dispense, non pas pour l’union de Jeanne avec l’aîné des fils de Philippe III, le prince Louis, mais avec le second, le jeune Philippe, né en 1268. Les plans de Grégoire X s’écroulent quand le fils aîné de Philippe III meurt subitement en 1276. Dès lors, c’est le fiancé de Jeanne de Champagne qui est l’héritier du trône de France. Craignant un revirement de la part de Blanche d’Artois, Philippe III exige que la fiancée de son fils vienne vivre à la cour, pour y être éduquée auprès de son futur époux. La petite reine de Navarre profite donc du même enseignement que Philippe, au château de Vincennes. Le mariage de Jeanne de Champagne et de Philippe de France est célébré le 16 août 1284, à Notre-Dame de Paris. Le royaume de Navarre est alors rattaché à la couronne de France et l’époux de Jeanne devient, dès lors, roi consort de Navarre.
En octobre 1285, Philippe III décède alors qu’il est en croisade contre Pierre III d’Aragon. Son fils ceint la couronne de France sous le nom de Philippe IV, et Jeanne de Champagne devient reine. Elle est couronnée à Reims dès janvier 1286, à l’âge de 13 ans. Il semble que l’union de Philippe IV le Bel et de Jeanne soit heureuse, et que les époux vivent en bonne entente. Si la reine s’implique parfois dans les affaires du royaume de France – elle est aux côtés de Philippe IV lorsqu’il part combattre les Flamands en 1299 – Jeanne tient à administrer elle-même ses Etats, avec l’aide de sa mère. Ainsi, elle expulse les Castillans et les Aragonais qui prétendaient s’accaparer son héritage. En 1297, la jeune reine de Navarre prend la tête de ses troupes, afin de défendre la Champagne contre le comte de Bar, qui l’a envahie. L’ennemi est vaincu, fait prisonnier, et contraint de promettre allégeance à sa reine pour être libéré. Jeanne est appréciée de ses sujets pour savoir maintenir la paix, avec sagesse et une sévérité « tempérée par une douceur salutaire ». Très pieuse, la reine fonde plusieurs abbayes, et fait des dons aux Chartreux ou encore aux Cordeliers, à Paris. Cultivée, Jeanne de Champagne crée le Collège de Navarre et de Champagne, dans l’université de Paris.
En mai 1302, Blanche d’Artois meurt subitement, d’un mal mystérieux. Le peuple accuse l’évêque Guichard de Troyes d’avoir fait assassiner la mère de la reine. Ancien conseiller de Jeanne de Champagne, Guichard est tombé en disgrâce pour avoir faciliter la fuite, en Italie, du trésorier de Blanche d’Artois, Jean de Calais, qui avait détourné des fonds. De part son intervention, Guichard s’est attiré la colère de la reine de Navarre, qui l’a fait chasser du Parlement. Certaine de la culpabilité de Guichard, Jeanne de Champagne ordonne une enquête. Mais le 2 avril 1305, c’est la reine qui décède, à l’âge de 32 ans, d’une maladie inconnue. Le peuple murmure alors que l’épouse de Philippe IV a été victime d’un envoûtement, perpétré par Guichard. En 1308, l’évêque de Troyes est jugé pour acte de sorcellerie sur la personne de Jeanne de Champagne. Faute de preuves, il est relâché.
Contrairement à l’usage, la reine n’est pas inhumée à Saint-Denis : elle laisse un testament dans lequel elle souhaite reposer en l’Eglise des Cordeliers, à Paris. Par ce choix, Jeanne souhaitait peut-être s’affirmer une dernière fois, en tant que reine de Navarre, bien consciente de sa dignité de souveraine, indépendamment du trône de France. Philippe IV est anéanti par la mort de son épouse, sa compagne depuis leur enfance, qui lui était d’un grand soutien. Sa disparition « plonge le roi dans une douleur sans nom » et les contemporains sont étonnés du « violent chagrin » qu’éprouve Philippe IV, que l’on surnomme pourtant « le roi de fer » en raison de sa dureté et de son inflexibilité. Pourvu de plusieurs fils, le roi ne se remariera pas. On ne lui connait pas non plus de maîtresses ou d’enfants naturels, un fait rare pour l’époque. Philippe IV fondera de nombreux édifices religieux en mémoire de son épouse. Jeanne de Champagne laisse d’elle le souvenir d’une reine pieuse, sage et bienveillante, ainsi que d’une mère aimante et attentionnée (elle a donné sept enfants à Philippe IV).
A la mort de Jeanne de Champagne, la couronne de Navarre passe à son fils aîné, le futur Louis X. Elle sera portée successivement par trois de ses fils (Louis X, Philippe V et Charles IV), avant de revenir à sa petite-fille, Jeanne (fille de Louis X) en 1328, en dédommagement du trône de France, qu’on lui refuse en vertu de la loi salique, parce qu’elle est une femme. Le royaume de Navarre ne réintègre la France qu’en 1589, lorsque son roi, Henri de Bourbon, hérite de la couronne de France, sous le nom d’Henri IV.
Jeanne de Champagne est parfois confondue par la légende avec sa belle-fille – qu’elle n’a pas connue – Marguerite de Bourgogne, épouse de son fils aîné Louis. En effet, celle-ci est compromise pour adultère dans l’Affaire de la Tour de Nesle, en 1314. La légende veut ensuite qu’une reine de Navarre, épouse d’un roi de France, se soit débarrassée de plusieurs de ses amants, en les faisant jeter à la rivière, cousus dans un sac chargé d’une pierre. L’un d’eux, le philosophe Jean de Buridan, aurait réussi à en réchapper. On voit parfois Jeanne de Champagne derrière cette reine de Navarre assassinant ses amants. Mais Jean de Buridan est né en 1292 et l’épouse de Philippe IV décède en 1305. Ils ne peuvent donc pas avoir été amants. Derrière cette reine de Navarre, il faut sans doute voir Marguerite de Bourgogne qui, en épousant le fils aîné de Jeanne de Champagne en septembre 1305, était devenue reine du royaume de Navarre.
Bibliographie :
– A la cour de Philippe le Bel (1305-1313), par Gaelle Audeon
– Histoire des ducs et des comtes de Champagne, par Henri d’ Arbois de Jubainville
– Le procès de Guichard, évêque de Troyes (1308-1313), par Abel Rigault
– Chronologie commentée du Moyen Age français, par Laurent Theis
– La France, les Femmes et le Pouvoir : l’invention de la loi salique (Ve-XVIe siècle), par Eliane Viennot