Isabelle de Bourbon-Parme, petite-fille de Louis XV
Isabelle Marie Louise Antoinette de Bourbon-Parme naît le 31 décembre 1741, à Madrid, au palais du Buen Retiro. Elle est le premier enfant de Philippe de Bourbon (1720-1765) – fils du roi d’Espagne Philippe V – et de Marie Louise-Elisabeth de Bourbon (1727-1759), fille aînée de Louis XV. Mariée à un fils cadet de Philippe V, qui n’obtiendra le duché de Parme qu’en 1748, la princesse française estime qu’elle n’a pas fait un mariage digne d’elle, ne pouvant espérer un jour devenir reine. Son union avec l’infant d’Espagne est le fruit d’une double alliance, la fille cadette de Philippe V étant promise au dauphin de France, héritier de la couronne.
L’infante Isabelle est représentée dès 1743 sur le tableau « La famille de Philippe V », commandé par le roi d’Espagne à Louis Michel Van Loo. La petite princesse est assise au premier plan, aux côtés de sa cousine, Marie-Isabelle de Bourbon. Elles sont alors les deux seuls enfants de la famille royale d’Espagne, le futur Charles III ayant déjà perdu deux filles au berceau, en raison de la forte mortalité infantile. La disparition prématurée de Marie-Isabelle, en 1749, prive l’infante de sa compagne de jeu. Louis XV, qui souhaite découvrir le visage de sa petite-fille, reçoit une copie d’un détail de ce tableau, où Isabelle apparaît seule, en compagnie de son carlin.
L’enfance de la petite « dôna Isabelita » n’est pas heureuse : Louise-Elisabeth de Bourbon n’ayant que 14 ans au moment de son accouchement, elle néglige sa fille, se trouvant bien trop jeune pour être mère. Très vite, l’infante Isabelle étonne son entourage : très jeune, elle rédige « Remarques politiques et militaires » ainsi que plusieurs textes sur l’éducation des enfants. Elle paraît en avance sur son temps, compte tenu de ses réflexions. Elle aime la peinture et fait des copies d’œuvres célèbres, telle que « la charité Romaine ». Plus tard, Isabelle rédige « Vues sur le commerce » et « Observations sur les prussiens ». Elle compose énormément sur la politique, la philosophie, la religion et le féminisme. La princesse a la particularité de s’intéresser à tout, même au domaine de l’armée, d’ordinaire réservé aux hommes.
En décembre 1748, Louise-Elisabeth de Bourbon se rend à la cour de Versailles, afin de remercier Louis XV d’avoir favorisé l’octroi du duché de Parme à son époux. A cette occasion, l’infante Isabelle accompagne sa mère en France et charme toute la famille royale. La duchesse de Parme se fait portraiturer avec sa fille, par Jean-Marc Nattier, et ne rejoint son duché qu’à la fin de l’année 1749, ayant beaucoup de mal à se séparer des siens.
En 1751, la nouvelle duchesse de Parme met au monde deux enfants : l’infant Ferdinand en janvier, et la princesse Marie-Louise en décembre. L’infante Isabelle va s’occupe d’eux comme une mère, tandis que Louise-Elisabeth de Bourbon s’en retourne en France. Préférant les fastes de Versailles à son petit duché de Parme, l’épouse de Philippe de Bourbon est peu présente au sein de sa nouvelle famille et multiplie les séjours à la cour de Louis XV.
Le roi de France entreprend alors de fiancer sa petite-fille aînée au futur empereur d’Autriche, l’archiduc Joseph (1741-1790), fils aîné de l’impératrice Marie-Thérèse. Si la mère d’Isabelle est tout d’abord ravie de cette union, elle en devient ensuite jalouse, car sa fille est promise à un mariage bien plus prestigieux que le sien. En Autriche, l’Empereur François-Etienne est tout d’abord opposé au mariage de son fils avec la petite-fille de Louis XV, car celui-ci lui a ravi le duché de Lorraine en 1733. Marie-Thérèse parvient cependant à faire plier son époux, mettant en avant l’importance de renforcer les liens entre les maisons de Bourbon et de Habsbourg-Lorraine. La duchesse de Parme ne verra pas cette union se concrétiser : alors qu’elle est une nouvelle fois à Versailles – depuis l’année 1757 – elle décède en décembre 1759, emportée par la variole. Louise-Elisabeth est inhumée en France, à Saint-Denis, auprès de sa sœur jumelle (morte en 1752). La duchesse de Parme laisse derrière elle trois orphelins et le souvenir d’une mère absente.
Le 6 octobre 1760, la princesse de Bourbon-Parme épouse le futur Joseph II de Habsbourg, à Vienne. Bien vite, la jeune Isabelle est déçue par son mari : l’archiduc est de nature timide, renfermé et se croit l’homme le plus intelligent du monde . Isabelle parvient néanmoins à se faire aimer – voire adorer – par Joseph, en jouant les épouses soumises et en le conseillant, sans toutefois remettre en doute son jugement. L’infante de Parme est également d’une grande beauté et a l’art de charmer tout son entourage, à l’exemple de l’empereur François-Etienne et de l’impératrice Marie-Thérèse, laquelle lui témoigne bientôt plus d’affection qu’à ses propres filles, voyant en Isabelle une future impératrice parfaite : intelligente, bonne et soumise à son mari. Toute la famille impériale semble l’adorer et Isabelle s’entend fort bien avec la fille préférée de l’impératrice, Marie-Christine, qu’elle nommera toujours « Mimi ».
Le rôle principal d’Isabelle est de donner un héritier à l’Autriche. Le 20 mars 1762, la nouvelle archiduchesse donne naissance à une fille prénommée Marie-Thérèse, en l’honneur de l’impératrice, qui tient à ce que toutes les premières-nées de ses enfants portent son prénom. L’accouchement a été difficile et Isabelle a bien failli y laisser la vie. Joseph est fou de joie par cette naissance, comme toute la famille impériale, même s’il ne s’agit que d’une fille. Bien vite, il apparaît que l’infante de Parme est de constitution fragile : elle supporte très mal le froid ainsi que les longs déplacements, de château en château. Fatiguée par le rythme de vie imposé par la cour de Vienne, Isabelle est souvent en état de faiblesse et fait trois fausses-couches dans les mois qui suivent la naissance de la petite Marie-Thérèse.
Peu avant d’arriver en Autriche, Isabelle avait reçu de l’archiduchesse Marie-Christine une lettre pleine de charmes qui l’assurait de son amitié. L’infante de Parme, qui a été privée de l’affection d’une mère et d’une camarade de jeu du même âge qu’elle, nourrit donc pour sa belle-sœur une adoration avant même de l’avoir vue. A la cour de Vienne, personne n’ignore qu’Isabelle et Marie-Christine sont très proches… peut-être même trop proches. Durant toute sa vie, Mimi a soigneusement gardé les lettres d’Isabelle. Dans la famille impériale, personne ne connaît alors le contenu de celles-ci. Mais il semble que les deux jeunes femmes soient liées par des sentiments plus qu’amicaux : dans ses lettres à Marie-Christine, Isabelle la nomme « mon cher ange », « divinités de mon cœur » ou encore « ma consolation ». Les échanges des deux princesses sont parsemés de déclarations d’amour, à l’exemple de celle-ci : « Je vous aime à l’adoration et mon bonheur est de vous aimer et d’être assurée de vous ». Quant à Marie-Christine, elle reconnait à l’épouse de son frère de la bonté, de la générosité et de la compassion. Mimi écrit à sa belle-sœur qu’elle a pour elle une tendresse et une amitié égales à celles qu’Isabelle a à son égard.
Parfois, l’infante de Parme fait des crises de jalousie à Mimi : « Vous me faite des infidélités » (ici Isabelle reproche à Mimi d’avoir écrit à son frère Joseph). Mais le caractère de Marie-Christine n’est pas celui d’Isabelle et bien qu’elle l’aime, Mimi est parfois de méchante humeur et se fâche pour un rien, brisant le cœur de sa belle-sœur, qui lui écrit par la suite des lettres d’excuses, pensant l’avoir contrariée. Il se pourrait qu’un semblant d’homosexualité féminine se déclare entre les deux princesses. Cette situation est difficile à vivre pour Isabelle, qui a été tant déçue de son époux : elle pensait trouver en lui un prince charmant, qui comblerait le vide affectif dont elle a souffert durant son enfance. La réalité n’est pas à la hauteur de ses espérances. L’archiduc Joseph est, en revanche, fort satisfait de sa femme : il adore Isabelle qui a su toucher le peuple autrichien par sa gentillesse et se félicite d’avoir une pareille épouse, soumise et aimée de tous.
Tiraillée par les sentiments qu’elle éprouve pour Marie-Christine et son statut de future impératrice, Isabelle songe qu’en aimant ainsi sa belle-sœur, elle se détourne de Dieu et de ses devoirs d’épouse. L’infante sombre alors dans une « mélancolie », mot que l’on utilise alors pour parler de dépression. Lorsque la jeune archiduchesse Jeanne-Gabrielle tombe malade et meurt en 1762, Isabelle écrit avoir la sensation de vivre sa propre mort et que le ciel aurait dû la prendre plutôt que sa jeune belle-sœur âgée de 12 ans. Dans ses lettres à Marie-Christine, Isabelle ne parle plus que de sa mort qu’elle croit imminente, assurant à Mimi qu’elle a peur de la voir mourir et qu’elle serait contente d’être emportée la première. A chaque lettre, l’infante de Parme annonce à sa belle-sœur que c’est peut-être la dernière fois qu’elle lui écrit avant de mourir. La destinataire des lettres finit par se moquer des « dispositions funèbres » d’Isabelle.
Le 19 novembre 1763, l’archiduchesse, à nouveau enceinte et dans son septième mois de grossesse, est prise d’une forte fièvre. Le lendemain, les médecins diagnostiquent la petite vérole. L’impératrice Marie-Thérèse, qui n’a jamais eu cette maladie, quitte la chambre de sa belle-fille tandis que Joseph reste auprès de son épouse, ayant déjà contracté la petite vérole lorsqu’il était enfant. Le 22 novembre, l’infante de Parme met au monde une minuscule petite fille baptisée Christine en toute hâte, en l’honneur de Mimi. Celle-ci ne vivra que deux heures. Isabelle décède, son mari auprès d’elle, le 27 novembre, emportée par la petite vérole et peut-être également par un dernier accouchement éprouvant. Elle est inhumée dans la crypte des Capucins, à Vienne, avec la petite Christine.
L’archiduc Joseph est effondré et s’apitoie sur son sort en écrivant : « Il n’y a jamais eu, il n’y aura jamais une telle princesse ni une telle femme et moi j’ai possédé ce trésor et je le perds à 22 ans ». Il évoque ensuite son « malheureux métier » qui le contraint à se remarier, afin d’avoir un héritier mâle. Marie-Christine, affligée d’avoir perdu sa belle-sœur, en parle ainsi : « J’ai perdu l’amie la meilleure et la plus vraie, cette femme était douée de toutes les vertus, elle a vécu et mourut comme un ange ». Personne ne regrette l’archiduchesse Isabelle comme Marie-Christine, qui prend le deuil durant plusieurs mois. Toute sa vie, elle se servira d’un livre de prières avec le portrait de l’infante de Parme en couverture. Elle gardera secrètement avec elle toutes les lettres d’Isabelle, qu’elle confiera à son époux au moment de sa mort, en 1798.
Joseph souhaite rester fidèle à la mémoire d’Isabelle mais l’impératrice tient à ce que son fils se remarie et arrange son union avec la jeune Marie-Josèphe de Bavière, qu’il épouse en janvier 1765. Ce second mariage reste stérile et l’archiduc boude en permanence sa nouvelle épouse, trop attaché au souvenir de la première. Comme Isabelle, Marie-Josèphe de Bavière contracte la petite vérole. Si Joseph s’était occupé de l’infante de Parme durant sa maladie, il délaisse sa seconde épouse, veillée par l’impératrice Marie-Thérèse, qui est contaminée par sa belle-fille. Marie-Josèphe décède du même mal qu’Isabelle, en mai 1767, à l’âge de 28 ans, sans laisser d’enfant. L’impératrice survit à la petite vérole, grâce à sa solide constitution. Après l’échec de son remariage avec la princesse de Bavière, Joseph II ne contractera pas de nouvelle union.
Devenu empereur à la mort de son père, en aout 1765, Joseph II demeure tout particulièrement attaché à sa fille, Marie-Thérèse, également adorée par sa grand-mère l’impératrice. L’enfant rappelle Isabelle à son père et reste le seul lien qui l’unit encore à elle. Hélas, en janvier 1770, la petite Marie-Thérèse est prise d’une forte fièvre. Elle n’accepte nourriture et médicaments que de son père, qui ne quitte pas son chevet, tout comme la tante de l’enfant, Marie-Christine. La petite archiduchesse décède le 23 janvier, laissant l’empereur bouleversé : « J’ai cessé d’être père […] c’est plus que je ne puis en porter. Je ne peux m’empêcher de penser et de dire : « Mon Dieu rendez-moi ma fille, rendez-là moi ». J’entends sa voix, je la vois ».
Dés lors, Joseph II se retire dans l’ombre, devenant distant avec tout le monde, cultivant jusqu’à son dernier jour le souvenir d’Isabelle. L’impératrice Marie-Thérèse remarque « le changement total du cœur » de son fils « depuis la maladie de sa fille ».
Après la disparition de la petite Marie-Thérèse, l’empereur commande un tableau « macabre », qui le représente en compagnie de ses deux épouses et de sa fille, toutes les trois décédées. Cette curieuse commande traduit bien le profond mal-être de Joseph II, unique personne « vivante » du tableau entourée par des fantômes. La petite Marie-Thérèse est désignée à la fois par sa mère (à gauche du tableau) et par l’empereur, au centre de l’œuvre. L’enfant semble s’avancer vers son père, lequel tend les mains, comme s’il s’apprêtait à l’embrasser. Joseph II tourne le dos à sa seconde épouse, Marie-Josèphe de Bavière. A travers ce tableau, l’empereur a-t-il voulu affirmer son éternelle fidélité à Isabelle de Bourbon-Parme et à leur fille, que son second mariage n’a su ébranler ?
A la mort de Joseph II, le 20 février 1790, son frère cadet Leopold lui succède. L’empereur avait composé sa propre épitaphe : « Ici repose un prince qui eut les meilleures intentions et vit échouer tous les projets ».
Bibliographie :
– « Je meurs d’amour pour toi » : lettres de l’archiduchesse à Marie-Christine (1760-1763), par Isabelle de Bourbon-Parme (édition établie par Elisabeth Badinter)
– Isabelle de Bourbon-Parme : La princesse et la mort, par Ernest Sanger