Henri II : l’ultime tournoi du roi
Le 22 juin 1559, Henri II marie sa fille aînée, Elisabeth, avec le roi d’Espagne Philippe II. A cette occasion, un tournoi est organisé auquel le roi tient à participer puisque passionné des rituels chevaleresques. Le tournoi se déroule le 30 juin sous une chaleur étouffante, ce qui ne décourage pas la foule. Au milieu de cette fête, seule la reine Catherine de Médicis est inquiète : la nuit précédant le tournoi, elle a rêvé que son époux était gravement blessé, la figure en sang. Elle a encore en mémoire ce que, sept ans auparavant, l’évêque et astrologue Luc Gauric lui a conseillé : que le roi évite tout combat singulier autour de la quarantaine car il serait alors menacé d’une blessure à la tête, entraînant la mort. Henri II a justement eu 40 ans en mars 1559. Remonte également dans l’esprit de Catherine la prédiction de Nostradamus (né Michel de Nostre-Dame), astrologue et conseiller du roi, qui a annoncé en 1555 une prophétie qui s’appliquera parfaitement à la situation, quatre ans plus tard :
Le lyon jeune, le vieux surmontera
En champs bellique par singulier duelle
Dans cage d’or les yeux les crèvera
Deux classes une, puis mourir : mort cruelle
Pour renforcer l’inquiétude de la reine, le cheval que monte son époux alors de ce tournoi porte le nom singulier – et signe de mauvais présage – de « Malheureux ».
Après s’être mesuré aux grands noms de la noblesse à l’image du duc de Nemours et duc de Guise, le roi a pour rival le jeune Gabriel de Lorges, comte de Montgomery, capitaine de ses gardes. Une première fois, les deux adversaires s’élancent : il y a un choc entre les deux hommes mais aucun n’est désarçonné. Henri II insiste alors pour rompre une deuxième lance. Malgré les supplications de la reine, qui voit dans cette action un présage néfaste, et même si Montgomery affirme que « la victoire est au roi », Henri, orgueilleux, tient à recueillir une belle victoire sur le capitaine. Bien que la requête soit contraire aux usages, les juges du tournoi accèdent à la royale demande. Après tout, ce que roi veut…
Le maréchal de Vieilleville couvre le souverain de son casque mais, dans la précipitation, il oublie de mettre le crochet à la visière. Autre erreur d’importance – dont personne ne se rend compte sur le moment : Gabriel de Montgomery omet de changer de lance, comme le veut la règle. Or, la sienne a été brisée par le premier duel et ce qu’il en reste est « acéré comme une lame de rasoir ».
Lorsque les deux cavaliers s’élancent à nouveau, la lance de Montgomery se brise sur la cuirasse royale, glisse sur l’armure et pénètre à travers le casque du roi. Un moment, on croit Henri II simplement étourdi par la violence du choc. Personne ne comprend la gravité de la situation, sauf peut-être la reine Catherine, qui est livide devant ce spectacle. Finalement, le roi s’effondre et tombe de cheval. Lorsqu’on lui enlève son casque, on se rend compte que la lance cassée a transpercé en cinq endroits le visage de souverain. Henri II est emmené au palais des Tournelles (à Paris). Son premier médecin, Jean Chapelain, ne parvient pas à faire face à la grave infection. Il fait alors appel à Ambroise Paré, chirurgien du roi. Un médecin de Philippe II d’Espagne, gendre du roi de France, accourt à son tour. Cinq éclats sont retirés dont l’un, dans l’œil, fait près de dix centimètres. Le roi n’est pas anesthésié et s’évanouit sous la douleur. De son côté, Ambroise Paré se fait apporter les têtes de condamnés à mort (3, 4 ou 6 selon les versions), exécutés dans l’urgence, afin de reproduire les blessures du roi et d’y trouver un remède. Le chirurgien veut tenter une ultime opération (le « trépan ») sur son royal patient, mais constate sur la plaie une « altération en la substance du cerveau qui estoit d’une couleur jaunâtre, environ la grandeur d’un pouce, auquel lieu estoit un commencement de putréfaction« . Face à l’état désespéré du roi, Ambroise Paré renonce et annonce que son patient est condamné.
Avant de mourir, Henri II pardonne à Gabriel Montgomery, qui n’a fait qu’obéir, selon lui, aux ordres de son roi. Le souverain trépasse après dix jours d’agonie, le 10 juillet. La reine est auprès de lui. Sa maîtresse, Diane de Poitiers, s’est vue interdire la chambre du roi sur ordre de Catherine. Pourtant, Henri II a plusieurs fois réclamé sa maîtresse. D’après certains historiens, le souverain aurait pu mourir dès le 3 ou 4 juillet, compte tenu de la gravité de ses blessures. Catherine de Médicis aurait retardé l’annonce de sa mort, pour raisons politiques, afin de préparer une régence en sa faveur.
Dans la prophétie de Nostradamus, comment ne pas voir le tournoi dans le « duelle », le casque du roi dans « la cage d’or » et Gabriel de Montgomery derrière « le lyon jeune » (le lion apparaît d’ailleurs sur les armes de Montgomery) ? Le capitaine des gardes du roi, bien que pardonné par Henri II, risque d’être accusé de régicide. Banni de la cour, il quitte la France, redoutant le courroux de Catherine de Médicis. Il prend bientôt le parti des protestants et devient l’un de leurs chefs durant les guerres de religions. Capturé en 1574, il est condamné pour crime de lèse-majesté et décapité, sous les yeux de la veuve d’Henri II qui tient alors sa vengeance. Catherine de Médicis fait élever un monument à la mémoire de son époux, en la Basilique de Saint-Denis.
En engageant un second combat avec le capitaine de ses gardes, Henri II a-t-il forcé le destin ? L’un des astrologues italiens de Catherine de Médicis, Gabriel Simeoni, avait lui-aussi prédit, quelques années plus tôt, que le roi périrait « transpercé par les yeux ». La précision des détails des différentes prophéties et des « mises en garde » reste troublante…
Bibliographie :
– Les reines de France au temps des Valois : les années sanglantes, par Simone Bertière
– Les Valois : de François Ier à Henri III (1515-1589), par Georges Bordonove
– Les morts mystérieuses de l’histoire, d’Augustin Cabanès