Destins brisés

Gabrielle Angélique de Bourbon, fille naturelle d’Henri IV

Henri IV a pour habitude d’honorer sa favorite royale avec la même rigueur qu’il côtoie la couche de son épouse. Ainsi, il arrive très souvent que la reine Marie de Médicis soit enceinte en même temps que la maîtresse du roi. Entre elle et la jeune Henriette d’Entragues, c’est à qui accouchera la première et donnera au souverain le plus bel enfant. En 1601, toutes les deux ont donné naissance à un premier garçon. En novembre 1602, la reine met au monde une fille, la princesse Elisabeth. Henriette d’Entragues est également enceinte des œuvres d’Henri IV. Elle accouche également d’une fille, le 21 janvier 1603, au château de Vincennes.

L’enfant prend le titre de Mademoiselle de Verneuil.  Si son frère aîné, Gaston-Henri, est légitimé en février 1603, l’acte de légitimation de la petite fille n’a pas été retrouvé, bien qu’elle soit qualifiée de « fille légitimée » du roi. Si Henri IV n’a pas légitimé cette enfant, c’est peut-être parce qu’Henriette d’Entragues a été impliquée dans une conspiration l’année précédente et qu’elle récidive en 1604, perdant ainsi la faveur royale. En 1605, le roi se détourne définitivement de la mère de Gabrielle Angélique, lassé par ses intrigues. Désormais, Henriette d’Entragues ne peut plus rendre visite à ses enfants sans une autorisation de leur père. Mademoiselle de Verneuil est baptisée le 9 décembre 1607 à Saint-Germain-en-Laye, avec son frère aîné, Gaston-Henri. A cette occasion, ce sont ses demi-frère et sœur, César et Catherine-Henriette de Bourbon-Vendôme (enfants nés de Gabrielle d’Estrées) qui lui servent de parrain et marraine. La fillette est alors prénommée Gabrielle Angélique. Les contemporains voient dans ce prénom un hommage à la défunte mère des parrain et marraine, Gabrielle d’Estrées

Henri IV jouant avec ses enfants à la bataille d'Ivry, par Marie-Elisabeth Boulanger (née Blavot), XIXe siècle
Henri IV jouant avec ses enfants à la bataille d’Ivry, par Marie-Elisabeth Boulanger (née Blavot), XIXe siècle

Les deux enfants d’Henriette d’Entragues sont élevés à la cour avec les enfants légitimes d’Henri IV, ainsi que ceux nés de sa liaison avec Gabrielle d’Estrées, dans le respect des préséances : ainsi, les enfants nés de la reine ont toujours le pas sur ceux nés des maîtresses d’Henri IV. Cependant, le roi fait parfois preuve d’un relâchement, en faisant manger tous ses enfants à la même table. Le dauphin Louis appelle familièrement ses demi-frères et sœurs « féfé » et « soeu-soeu ». Une hiérarchie semble s’être établie entre les enfants naturels du roi : après ceux nés de Gabrielle d’Estrées viennent les enfants d’Henriette d’Entragues puis « le petit Moret », né de Jacqueline de Beuil, que le futur Louis XIII ne voudra jamais considérer comme son frère (sans doute à cause des basses origines de la mère et de ses nombreux amants). 

Dès 1610, le roi organise le futur mariage de sa fille avec le comte de Canaples, Charles de Créquy. A la mort d’Henri IV, le 10 mai 1610, Gabrielle Angélique demeure à la cour, ayant toute l’affection de son demi-frère, le jeune Louis XIII.  En 1612, celui-ci fait annuler le projet de mariage entre Mademoiselle de Verneuil et le comte de Canaples, afin de la fiancer à un parti plus prestigieux. Par la suite, Gabrielle Angélique devient très proche de la nouvelle reine, Anne d’Autriche, qui en fait l’une de ses amies intimes. Gabrielle Angélique est décrite par ses contemporains comme étant d’une grande beauté, ayant beaucoup d’esprit et « était si douce qu’on ne la vit jamais en colère », des qualités qui lui valent le « respect et l’estime de tous ». Mademoiselle de Verneuil est également très pieuse, et fréquente les Carmélites. 

En mars 1622, Gabrielle Angélique assiste impuissante à la fausse-couche de la souveraine, après une chute dans les couloirs du Louvre. En effet, alors la reine et sa suite s’amusent à courir dans la grande salle du palais, Anne tombe et perd l’enfant qu’elle portait. Suite à cet accident, de nombreuses amies d’Anne d’Autriche sont renvoyées de la cour, Louis XIII les tenant pour responsables de la perte de son héritier.  Mademoiselle de Verneuil lui étant chère, le roi l’autorise cependant à demeurer auprès de la reine.

Gabrielle Angélique de Bourbon, par Daniel Dumonstier (1622)
Gabrielle Angélique de Bourbon, par Daniel Dumonstier (1622)

Avant de se retirer dans le couvent qu’elle a fait construire dans Paris, Henriette d’Entragues voit sa fille contracter une brillante alliance, voulue par Louis XIII, avec Bernard de Nogaret (1592-1661). Fils du duc d’Epernon – favori d’Henri III – et fait récemment duc de La Valette, celui-ci épouse Gabrielle Angélique le 12 décembre 1622. Bien qu’elle soit fille naturelle de roi, la jeune femme noue ainsi une alliance entre la famille royale et l’une de plus puissantes familles de la noblesse.  C’est à l’occasion de son mariage que Mademoiselle de Verneuil aurait été légitimée. Il semble que le ménage de la demi-sœur de Louis XIII n’est pas heureux, comme de nombreuses unions arrangées, le duc de Valette étant décrit comme un homme « dur et hautain ». 

En 1623,  la reine Anne d’Autriche obtient pour  Gabrielle Angélique un brevet qui lui donne la préséance sur toutes les autres duchesses. Le 2 septembre 1624, la jeune duchesse de la Valette met au monde un premier enfant, une fille prénommée Anne-Louise Christine en l’honneur des souverains et de la duchesse de Savoie (sœur de Louis XIII). Gabrielle Angélique montre une « tendresse extraordinaire » pour cette enfant et tremble lorsqu’elle tombe malade, en 1625. Les médecins ayant épuisé leurs remèdes, la duchesse voue alors sa fille à Saint François de Paule. Mademoiselle de la Valette survit et développera une profonde piété, allant jusqu’à dire un jour « qu’avec toute sa reconnaissance pour Saint François de Paule, elle avait peine à lui pardonner de lui avoir fermer la porte du paradis à l’âge de deux ans ».  

Le 14 avril 1627, Gabrielle Angélique accouche d’un fils, Louis Charles Gaston, comte de Candale. Mais la jeune mère se remet mal de ses dernières couches et meurt brusquement le 24 avril, à l’âge de 24 ans. Avant de s’éteindre, elle donne sa bénédiction à ses enfants et dit vis-à-vis de sa fille : « Dieu ordonne que je la quitte, il ne faut point que ma soumission s’affaiblisse, je ne dois plus penser qu’au ciel ». Décédée à Metz, la duchesse est inhumée dans le cathédrale Saint-Etienne.

Acte de baptême de Gabrielle de Verneuil (archives départementales des Yvelines, commune de Saint-Germain-en-Laye, Cote 1168916)
Acte de baptême de Gabrielle de Verneuil (archives départementales des Yvelines, commune de Saint-Germain-en-Laye, Cote 1168916)

Le duc de la Valette est absent depuis décembre 1626 et n’assiste ni à l’accouchement, ni au décès de son épouse. La mort de Gabrielle Angélique ne ramène pas Bernard de Nogaret à Metz, ce qui alimente bientôt des rumeurs d’empoisonnement.  Le duc de Richelieu note dans ses Mémoires : « La duchesse de la Valette sortit de ce monde avec ce malheur pour son mari, qu’en perdant sa femme le bruit commun lui donna la réputation d’être devenu veuf plus par art que par nature ». Mme de Motteville avance que le duc de la Valette se montrait violent envers son épouse, évoquant que, déjà avant le mariage, Bernard de Nogaret avait battu Gabrielle Angélique devant toute la cour : « Il avait fort aimé Mme de la Valette avant de l’épouser, mais cette passion, au lieu de produire en lui les effets de l’amitié, l’avait porté à lui donner un soufflet […] ; que le roi, le connaissant de cette humeur, voulut rompre le mariage, et que cette jeune princesse lui pardonna […] il lui en couta la vie »

Bernard de Nogaret se dit pourtant  affligé de la disparition de son épouse et fait part de ses sentiments dans une lettre adressée à son frère, le cardinal de la Valette, se défendant des accusations qui pèsent sur lui : Ma douleur est sy grande , comme la perte que j’ay faite, que je ne puis trouver aucune consolation , tant de divers accidents augmentent mon juste ressentiment, que cela serait capable de me faire perdre le sens sy Dieu ne me favoriser de son assistance. Parmy ses maux je n’ai point d’autre consolation qu’à plaindre et soupirer ma perte et lui remettre toute mes volontés. Il est sy bon et sy juste qu’il vengera les offenses qu’une noire et diabolique malice invente pour accroitre mes peines et mes déplaisirs dans un sy funeste accident ». Les « offenses » qu’évoque le veuf font, bien entendu, référence aux rumeurs d’empoisonnement. En réalité, la duchesse de la Valette a sans doute était victime d’une éclampsie, comme l’a été Gabrielle d’Estrées, également décédée dans la fleur de l’âge (là aussi, des rumeurs d’empoisonnement coururent). Aucune preuve concrète n’incriminera jamais Bernard de Nogaret, dont la richesse faisait sans doute des jaloux à la cour.

Anne-Louise de Nogaret, devenue Sœur Anne Marie de Jésus (estampe du XVIIe siècle)
Anne-Louise de Nogaret, devenue Sœur Anne Marie de Jésus (estampe du XVIIe siècle)

La reine Anne d’Autriche veillera à l’éducation des deux enfants que laisse Gabrielle-Angélique, aimant avoir auprès d’elle la petite Mademoiselle de la Valette, qui lui rappelle son amie.  D’une grande piété, comme l’était sa mère, Anne-Louise désire devenir religieuse. On a également avancé que son choix avait été fait suite au décès, en 1646, du chevalier de Malte, qu’elle voulait épouser. Anne-Louise de Nogaret entre au Carmel sous le nom de Sœur Anne Marie de Jésus, contre l’avis de son père et son frère, où elle décède en 1701. C’est dans ce même lieux que Louise de La Vallière se retirera. Le fils de la duchesse de La Valette, le comte de Candale meurt en 1658, sans s’être marié. 

Bibliographie : 

Mémoires de Mme de Motteville sur Anne d’Autriche et sa cour, par Françoise Bertaud de Motteville
Fragments de la vie de Mme d’Epernon,  par l’abbé Jean-Jacques Boileau
Lettres, instructions diplomatiques et papiers d’état du cardinal de Richelieu, par Armand-Jean du Plessis de Richelieu
Les maîtresses du roi : de Henri IV à Louis XIV, par Flavie Leroux