Elisabeth d’Orléans, fille du Régent, chap. 2 : Du mariage au veuvage
Voici la seconde partie de la biographie consacrée à Marie Louise Elisabeth d’Orléans, fille du Régent. Ce chapitre couvre la période de son mariage à son veuvage (1710-1714), époque où la princesse occupe une place de premier choix à la cour de Louis XIV.
Duchesse de Berry : Mademoiselle révèle sa vraie personnalité
Le mariage de Mademoiselle et de Charles de Bourbon est célébré le 6 juillet 1710, à Versailles. Le faste déployé n’est pas à la hauteur de l’évènement, de même que la pension que le roi accorde à son petit-fils , et pour cause : la guerre de Succession d’Espagne a plongé la France dans des difficultés financières. La nouvelle duchesse de Berry regrettera toujours les économies faites à l’occasion de son mariage.
Jusqu’à son union avec le petit-fils de Louis XIV, Elisabeth s’est efforcée de plaire au roi et à son entourage : « Elle su se contraindre d’une manière si étonnante qu’on ne parlait que de sa retenue à Mme de Maintenon et à la duchesse de Bourgogne […] Comprenant que sa fortune dépendait de sa bonne conduite, elle se comporta avec tant de réserve que personne ne soupçonnait rien de ses mauvaises inclinations ». Le duc de Saint-Simon, qui avait lui-aussi œuvré au mariage de Mademoiselle et de Charles de Bourbon, témoigne : » La duchesse de Berry était un prodige d’esprit, d’entêtement, d’orgueil, d’ingratitude et de folie. A peine fut-elle huit jours mariée qu’elle commença à se développer sur tous les points ». La première personne qui s’attire les foudres de la nouvelle duchesse de Berry n’est autre que sa mère, qui a pourtant joué un rôle clef dans son mariage. Saint-Simon rapporte : « On s’aperçut bientôt de son mépris d’être née d’une mère bâtarde, à laquelle elle devait tout, pour qui sa haine éclatait à tout moment ». Dès lors, la princesse refuse d’obéir à sa mère, se sentant supérieure à elle car épouse d’un prince du sang.
Elisabeth jalouse également sa nouvelle belle-sœur, la duchesse de Bourgogne, qui a également soutenu son union avec le duc de Berry. Elle ne cache pas son dépit quand Marie-Adélaïde de Savoie devient dauphine, à la mort du Grand Dauphin, en avril 1711. La duchesse de Berry refuse de servir la future reine de France, comme l’exige l’étiquette, et tente de brouiller son époux avec son frère aîné, désormais dauphin. Louis XIV se montre fort mécontent de l’attitude d’Elisabeth, et demande à la princesse Palatine de sermonner sa petite-fille. Celle-ci s’exécute, met en garde la jeune duchesse : » Je lui ai remontré tout ce qu’elle devait au roi, à son mari, ainsi qu’à ses père et mère […] Si elle voulait être parfaitement malheureuse, elle n’avait qu’à continuer [ainsi] mais que si, au contraire, elle voulait être heureuse, elle devait commencer par se faire aimer de tout le monde comme elle s’en était fait détester ». Ce ne sera pas la dernière fois que Madame devra faire entendre raison à la duchesse de Berry.
La jeune princesse se donne souvent en spectacle, boit excessivement et s’affiche un peu trop avec son père, que le duc de Berry trouve régulièrement chez Elisabeth. Des pamphlets attribuent bientôt des relations incestueuses entre Philippe d’Orléans et sa fille, d’autant que celle-ci préfère la compagnie de son père à celle de son époux. Madame rapporte, en juillet 1711 : « La duchesse de Berry se comporte d’une manière si choquante vis-à-vis de son père, que sa mère et son mari en deviennent jaloux… J’ai averti mon fils bien des fois, mais il ne m’écoute pas. »
A la cour, il est évident que la princesse a de l’ascendance sur le duc d’Orléans, qui cède à tous ses caprices, ce que déplore Madame : « Je voudrais que mon fils comprît que sa fille est bien pourvue […] Elle use largement des bontés de son père ; elle ne rougit pas le moins du moins de tendre la main. » Philippe prend également le parti d’Elisabeth, publiquement, même contre sa propre épouse : un jour que Françoise-Marie de Bourbon refuse de prêter un somptueux collier de perles à sa fille, celle-ci parvient à l’obtenir de la part du duc d’Orléans. La princesse Palatine doit prendre fait et cause pour sa belle-fille – qu’elle n’apprécie pourtant pas – afin que l’effrontée rende le bijou à Françoise-Marie. La grand-mère d’Elisabeth en profite pour la réprimander, une nouvelle fois : « Votre père est aveugle à votre égard […] On vous accuse de trop boire, de maltraiter votre mari, de vivre mal avec la dauphine, d’être impolie et autres choses semblables ». La duchesse de Berry s’excuse, et se « raccommode » avec sa mère… pour mieux lui témoigner « sa haine et son mépris au cours de scènes violentes » où il est toujours question de la bâtardise de la duchesse d’Orléans.
Elisabeth scandalise également la cour en remettant en cause la religion, suivant là l’exemple de son père. La princesse Palatine tente, là aussi, de raisonner sa petite-fille : « Rien n’est plus laid que de voir une personne de votre âge s’efforcer de ne pas croire à la divinité. Cela nous attire non seulement la colère et le châtiment de dieu, mais le mépris des hommes ». Mais la duchesse de Berry entend mener sa vie comme bon lui semble, malgré les mises en garde de sa grand-mère : « C’était entre le père et la fille un assaut d’irréligion et de mépris des mœurs. Leur impiété était autant une manie qu’un vice. »
En dépit de la conduite de son épouse, le duc de Berry se montre toujours aussi épris d’Elisabeth, comme le rapporte Madame, en 1712: « Il est très amoureux de sa femme, qui malheureusement ne l’est pas de lui ». Après son mariage, la jeune princesse tombe rapidement enceinte, et donnera naissance à trois enfants :
– Louise (mort-née en juillet 1711)
– Charles (mars-avril 1713), duc d’Alençon
– Marie Louise Elisabeth (16-17 juin 1714)
Si la consanguinité peut expliquer la fragilité des enfants du couple (le duc et la duchesse de Berry sont cousins germains, ayant tous deux Louis XIV pour grand-père), les excès en tout genre d’Elisabeth la font à chaque fois accoucher avant terme, réduisant encore les chances de survie de ses enfants. La maternité n’assagit pas la jeune princesse, qui n’en fait toujours qu’à sa tête.
La presque reine : hécatombe à la cour à la fin du règne de Louis XIV
En février 1712, le duc et la duchesse de Bourgogne décèdent à quelques jours d’intervalle. Elisabeth se retrouve alors au rang de première dame de la cour, en l’absence d’une reine. Si la cour se désole de la disparition du jeune couple, le duc de Saint-Simon observe que la duchesse de Berry est « transportée de joie de se voir délivrée d’une plus grande et mieux aimée [la duchesse de Bourgogne] qu’elle. Elle suppléa tant qu’elle put au cœur par l’esprit et fit assez bonne contenance ». En effet, Elisabeth était demeurée jalouse de Marie-Adélaïde de Savoie, oubliant vite le soutien qu’elle lui avait apporté pour conclure son mariage. L’héritier du trône est désormais un enfant de 2 ans, le duc d’Anjou, fils du couple défunt. Louis XIV sait que celui-ci peut être emporté par une maladie infantile et confie à Charles de Bourbon : « Mon cher enfant, je n’ai donc plus que vous ». En effet, si le nouveau dauphin, décède, c’est le duc de Berry qui deviendrait l’héritier de la couronne, et son épouse serait la future reine de France. Il n’en faut pas plus pour que la rumeur n’accuse Philippe d’Orléans, père d’Elisabeth, d’avoir fait empoisonner le dauphin et la dauphine. Les bruits de relations incestueuses entre le père et la fille reprennent de plus belle, encouragés par la duchesse de Bourbon, qui ne digère toujours pas que l’on ait marié le duc de Berry à Mademoiselle d’Orléans, plutôt qu’à l’une de ses filles. La princesse Palatine note : « Mon fils et sa fille s’aiment tant que, malheureusement, cela fait dire de vilaines choses sur leur compte. »
Le roi ne semble pas accorder de crédit aux rumeurs qui circulent au sujet de son neveu et de la duchesse de Berry. Vieux et fatiguée, marqué par la perte du couple Bourgogne, Louis XIV se réjouit de la gaieté que montre Elisabeth. Désormais, à Versailles, le duc et la duchesse de Berry occupent les appartements du dauphin et de la dauphine, et la princesse multiplie les extravagances, comme le rapporte sa grand-mère, en octobre 1712 : « Notre duchesse est plus folle, plus polissonne et plus impertinente que jamais » et ne veut « plaire qu’à elle-même ».
A cette époque, entre le duc et la duchesse de Berry, les disputes se multiplient. L’infortuné Charles de Bourbon doit vivre avec une épouse « emportée, incapable de retour, qui le méprisait parce qu’elle avait infiniment plus d’esprit que lui ». Le duc de Berry n’apprécie pas la présence quasi-permanente de son beau-père lorsqu’il va rendre visite à sa femme, ni les rumeurs qui courent sur leur intimité. Quant à Elisabeth, elle prend bientôt un amant, en la personne de M. de La Haye, écuyer de son mari, qu’elle fait chambellan. La princesse ne cache pas sa liaison et échange des lettres passionnées avec La Haye. Le duc de Berry, humilié et fâché par la conduite d’Elisabeth, se plaint au roi « pour lui déclarer toutes ses peines et le supplier de le délivrer de Mme la duchesse ». Mais Louis XIV ne veut pas d’un scandale et ne peut défaire ce que Dieu a uni. Dès qu’elle peut rabaisser son époux, Elisabeth ne se gêne pas et l’attaque sur le sujet de la religion. Un contemporain note : « La duchesse de Berry raillait impudemment son mari sur une dévotion qui était pourtant un préservatif qu’il eût contre des soupçons qu’elle devait tâcher de détruire ».
Il n’ a pas fallu longtemps à M. La Haye pour s’éloigner de la duchesse de Berry, laquelle veut se faire enlever par son amant et s’enfuir aux Pays-Bas. Celui-ci doit craindre la colère du roi et de l’époux trompé. Charles de Bourbon menace sa femme de la faire enfermer dans un couvent si elle ne change pas d’attitude et il y a entre les époux « des scènes violentes et redoublées » aux dires de Saint-Simon.
Le 26 avril 1714, Charles de Bourbon s’adonne à sa grande passion : la chasse en forêt de Marly. Soudain, son cheval glisse et le duc de Berry « le retint d’une poigne si vigoureuse que l’animal se releva brusquement et le pommeau de la selle vint frapper le cavalier avec une extrême violence entre la poitrine et l’estomac ». Le choc est douloureux, mais le petit-fils du roi cache la mésaventure à son entourage, par dégoût des remèdes que ses médecins allaient l’obliger à prendre. Le soir de l’accident, le duc de Berry vomit du sang mais, là encore, défend à son valet d’en parler. Le 28 avril, Charles repart chasser le loup, au grand étonnement d’un paysan qui avait été témoin de son accident. Celui-ci prend des nouvelles du duc Berry et confie au valet qui lui assure de la bonne santé de son maître : « Il faut donc que les princes aient les os plus dur que nous autres paysans, car je lui vis recevoir jeudi, en relevant son cheval, un coup dont trois paysans en seraient crevés ». Charles de Bourbon pense souffrir de « désordres intestinaux » et cache son mal jusqu’au 30 avril, où il est pris de fièvre et de nouveaux vomissements de « matières noires ». Les saignées et l’émétique ne font aucun effet. Les médecins déclarent bientôt que le prince s’est rompu une veine de l’estomac lors de son accident, et qu’ils sont impuissants.
Elisabeth, enceinte, est restée à Versailles. Son père la dissuade de rejoindre le duc de Berry à Marly, lequel n’a, à aucun moment, réclamé son épouse. Le 3 mai, le prince pense aller mieux et reçoit la princesse Palatine : « Je crois pouvoir dire que je suis sauvé. Je n’ai plus de fièvre et ne ressens plus aucun mal ». C’est juste un répit pour Charles, dont l’état se dégrade brutalement ensuite. Il reçoit l’extrême-onction dans la nuit et confesse son accident, demandant au roi « de lui pardonner sa mort, dont il avouait être lui-même la cause, pour avoir dissimuler son mal, en espérant le surmonter ». Le duc de Berry décède au matin du 4 mai 1714. Face à la perte de son petit-fils, Louis XIV reste digne, trop marqué déjà par la disparition de son fils, en 1711, et du couple Bourgogne, en 1712. Saint-Simon notera au sujet du roi que « son esprit était plus noirci que son cœur ».
A la mort du duc de Berry, on accuse encore Philippe d’Orléans d’avoir empoisonner le prince, pour plaire à sa fille, qui se querellait sans cesse avec Charles, lequel voulait se débarrasser de sa scandaleuse épouse. Pourtant, avec la disparition du prince, Elisabeth perd la possibilité de devenir un jour reine de France. La princesse Palatine note à son sujet : « Elle est bien à plaindre, car elle a assez d’esprit pour comprendre tout l’étendue de son malheur et de la perte qu’elle vient de faire […] De la femme la plus heureuse du monde, elle va devenir la plus malheureuse si elle n’a pas de fils. Elle croit fermement qu’elle n’aura qu’une fille… ». Ce sera effectivement une fille que la duchesse de Berry mettra au monde en juin et qui ne vivra pas. Elisabeth surmonte vite la double perte qu’elle vient de subir, et sa grand-mère peut bientôt écrire : « La fille [née en juin] n’est pas à plaindre, puisqu’elle est sûrement auprès de dieu. Quant à sa mère, je ne la trouve pas malheureuse d’être sans mari ». En effet, même veuve, la duchesse de Berry continue de tenir la première place à la cour, présidant dans les cérémonies et animant les divertissements.
Bibliographie :
– Mademoiselle, fille du Régent, duchesse de Berry par Henri Carré
– Lettres de Madame, duchesse d’Orléans, née princesse Palatine par Elisabeth-Charlotte de Bavière
– Louis XIV et sa cour par Auguste de Caumont, duc de La Force
– Mémoires de Saint-Simon, par Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon