Un Tableau, une Histoire

Deux princesses pour un portrait

Sur ces deux gravures de Nicolas IV de Larmessin (1684-1753), une même jeune femme est représentée. A en juger de par sa robe, le décor, et surtout à la couronne à droite du tableau, il s’agit d’une princesse. Ainsi, nous avons deux princesses identiques sur ces gravures. Sous le règne des Bourbon, nous connaissons des jumelles : les filles de Louis XV et de Marie Leszczynska les princesses Marie-Louise-Elisabeth et Anne-Henriette de France, nées en 1727. Pourtant, il ne s’agit pas des filles aînées du roi mais les princesses représentées ici ont bien vécu à la cour de Louis XV. Ces jeunes femmes ne sont ni jumelles ni même sœurs… mais ont toutes deux ont été la belle-fille de Louis XV. La première  (gravure de gauche) est une infante d’Espagne, la seconde  (gravure de droite) une princesse de Saxe.

L’infante Marie-Thérèse-Raphaëlle de Bourbon-Espagne épouse le dauphin Louis-Ferdinand de France, en 1745. Nicolas de Larmessin exécute alors une gravure de la jeune dauphine de France. Celle-ci meurt prématurément, des suites de son accouchement, le 22 juillet 1746. Le dauphin, qui a tendrement aimé son épouse, ne veut pour rien au monde se remarier. Pourtant, étant le fils unique de Louis XV, l’héritier de la couronne n’a pas le choix et se voit contraint de prendre une nouvelle épouse. Le choix de Louis XV se porte sur la fille du roi Auguste III de Pologne, la jeune Marie-Josèphe de Saxe. Le remariage de Louis-Ferdinand a lieu moins de six mois après la disparition de sa première épouse, le 9 février 1747. Le dauphin vit très mal cette nouvelle union précipitée. Marie-Josèphe remplace ainsi la timide Marie-Thérèse-Raphaëlle dans tous les esprits et dans tous les lieux jadis occupés par la première dauphine.

L'infante Marie-Thérèse-Raphaëlle de Bourbon-Espagne
L’infante Marie-Thérèse-Raphaëlle de Bourbon-Espagne

Cette « substitution » va jusqu’à la gravure de Larmessin. A part l’expression du visage de la princesse, l’artiste ne change rien à sa gravure. On peut cependant remarquer que Marie-Thérèse-Raphaëlle affiche une expression plus timide et plus sage que Marie-Josèphe, qui paraît plus souriante sur la gravure qui la représentant. La coiffure change aussi très légèrement d’une dauphine à l’autre. On remarque également que l’Infante d’Espagne ne porte aucun bijou alors que la princesse de Saxe est parée d’un collier, ainsi que d’un bracelet à chaque bras. Mise à part ces petits détails, les deux princesses sont exactement identiques ! Pourtant une princesse espagnole et une princesse allemande ne peuvent présenter autant de similitudes dans les formes de leur corps. Bien que l’on soit à la cour de France, il est coutume de faire des « économies de portraits ». Ainsi, lorsque le dauphin convole avec Marie-Josèphe de Saxe, on va ré-utiliser la gravure de Nicolas de Larmessin, la précédente dauphine n’ayant pas eu le temps de marquer les esprits, de par sa courte existence. Après le décès de sa fille unique en 1748, il ne restera rien pour rappeler le souvenir de Marie-Thérèse-Raphaëlle d’Espagne à Versailles…

La princesse Marie-Josèphe de Saxe
La princesse Marie-Josèphe de Saxe

On ne peut qu’imaginer le choc du dauphin lorsqu’il découvre la gravure de Marie-Josèphe inspirée par celle de Marie-Thérèse-Raphaëlle. Les portraits officiels des deux épouses de Louis-Ferdinand le confirment pourtant : elles ne se ressemblent  en rien. Avec ce procédé, l’auteur de ces gravures traduit la pensée de la cour de France : une dauphine peut aisément en remplacer une autre, sa principale fonction étant de donner un héritier au royaume.

Fait rarissime pour l’époque : le dauphin n’oublia jamais sa première épouse, en dépit leur courte union, et malgré dix-huit ans de mariage – et neuf enfants – avec la princesse de Saxe. Lorsqu’il meurt en 1765, Louis-Ferdinand demandera que son cœur rejoigne celui de l’infante d’Espagne, à Saint-Denis.

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