Charlotte de Belgique, chap. 2 : l’impératrice du Mexique
Voici la seconde partie de la biographie de l’Impératrice du Mexique, née Charlotte de Belgique
A leur arrivée à Mexico le 12 juin 1864, Charlotte et Maximilien sont accueillis par leur nouvelle patrie. Le couple impérial est rapidement apprécié par les mexicains : l’empereur tente de concilier les différents partis politiques présents au Mexique, tandis que son épouse s’investie en visitant les écoles et les institutions de charité, fait construire de nombreux établissements pour jeunes filles pauvres et des hôpitaux. Les absences répétées de Maximilien, qui entreprend une tournée des provinces, affectent l’impératrice mais celle-ci s’en console : au sein du couple, se sont développés des sentiments amicaux, fraternels, mais Charlotte et Maximilien semblent résigner sur le fait de ne pas avoir de vie conjugale. Chacun vit de son côté et les rumeurs commencent à circuler : on dit que l’impératrice est éprise du colonel Van Der Smissen. Commandant de la Légion Belge, il est proche des frères de Charlotte, qui lui ont recommandé le colonel. On parle aussi d’un officier français, Pierre Léonce Détroyat, pour lequel l’impératrice a « une tendre sympathie ». Charlotte semble également avoir un sérieux penchant pour un autre officier français, Charles Loysel, lieutenant-colonel, qui devient vite indispensable pour Maximilien. Lorsque celui-ci doit s’absenter, Charles Loysel reste auprès de l’impératrice et partage avec elle « une grande intimité ». Quant à Maximilien, il a une maîtresse depuis 1865, connue sous le nom de Maria Anna Leguizano.
La question de l’avenir dynastique pour le couple impérial ne tarde pas à refaire surface : il faut un héritier. Maximilien envoie alors un émissaire en Autriche pour proposer d’adopter l’un des jeunes fils de son cadet frère, l’archiduc Charles-Louis, qui s’est remarié avec Marie-Annonciade de Bourbon-Sicile en 1862 et est père de plusieurs garçons. Charlotte est favorable à l’idée d’adopter l’un de ses neveux, et envisage même de se rendre en Autriche pour ramener un petit archiduc au Mexique, et l’élever comme son propre fils. Cette proposition met en évidence la réalité : le couple impérial est incapable d’avoir un enfant. Certains murmurent que la faute revient à Maximilien, qui serait impuissant ou attiré par les hommes. Pourtant, en 1866, sa maîtresse, Maria Anna, met au monde un garçon, fruit de sa liaison avec l’empereur. La stérilité du couple est alors imputée à Charlotte. Son rêve d’adoption ne se fera pas : l’empereur d’Autriche François-Joseph s’oppose à la demande du couple, car Maximilien conteste désormais le pacte familial qu’il a signé et qui le prive d’un éventuel héritage en Autriche.
Au Mexique, la situation se détériore : en février 1866, le président des Etats-Unis exige de Napoléon III qu’il retire ses troupes du Mexique, et cesse d’apporter son soutien à l’empereur. Le problème, c’est que Maximilien n’est toujours parvenu à s’imposer face à un peuple toujours divisé entre le régime impérial et le régime républicain. De plus, la dette du Mexique vis-à-vis de la France ne cesse d’augmenter. Tandis que Maximilien tente de trouver des solutions, Charlotte est victime de nausées : elle se croit alors empoisonnée par une drogue dissimulée dans sa nourriture. De la mélancolie, l’impératrice va bientôt glisser vers la paranoïa. D’ailleurs, le couple impérial a déjà échappé à un attentat en 1865, qui a profondément marqué Charlotte . Plusieurs membres de son entourage seront également persuadés que l’impératrice a pu être empoisonnée par la suite, par des opposants au régime, lorsqu’elle entreprend de se rendre en France chercher l’appui de Napoléon III.
Le sort semble s’acharner sur l’impératrice, puisqu’elle perd successivement son père, le roi Léopold Ier, en décembre 1865 puis sa grand-mère maternelle, Marie-Amélie, en mars 1866. Ces drames, auxquels s’ajoute une situation politique qui s’envenime, replonge Charlotte dans la dépression : au début de l’année 1866, Napoléon III annonce à Maximilien qu’il doit retirer ses troupes du Mexique. L’empereur envisage d’abdiquer mais la fière Charlotte s’oppose à cette éventualité : elle propose de se rendre elle-même en France afin de faire revenir Napoléon sur sa décision. Pour l’impératrice, abdiquer serait une humiliation. Elle n’est pas fille de roi et petite-fille de roi pour abandonner sa couronne. Maximilien a du mal à se séparer de son épouse et écrira à sa mère : « Combien il m’a coûté de me séparer d’elle, il m’est impossible de le dire. De savoir la compagne, l’étoile de ma vie, si loin… » Charlotte et Maximilien ne se reverront pas.
L’impératrice Charlotte arrive en France en juillet 1866. Napoléon III tente tout d’abord d’éviter de la rencontrer, en prétextant sa mauvaise santé : c’est son épouse, l’impératrice Eugénie, qui accueille Charlotte. Cependant, l’impératrice du Mexique entend bien exposer son point de vue à Napoléon, qu’elle rencontre finalement le 11 août. L’empereur des français reste sur ses positions : il n’a pas eu le choix lorsqu’il a rappelé ses troupes du Mexique, risque un conflit majeur avec les Etats-Unis et n’a toujours pas reçu les quelques 300 millions que lui doit le Mexique. Exaspérée, Charlotte fait une crise de nerfs, et pense que l’on veut l’empoisonner lorsqu’Eugénie lui propose une orangeade. Cette hantise d’être assassinée par le poison ne quittera plus la pauvre impératrice du Mexique. Elle entreprend ensuite de demander l’aide du pape Pie IX. Cependant, ce dernier ne souhaite pas entraîner l’Eglise dans la cause mexicaine.
C’est au Vatican que Charlotte est prise d’une nouvelle crise nerveuse, avançant qu’elle est entourée d’espions à la solde de Napoléon III, qui veut l’empoisonner ! Devant l’état de l’impératrice, le pape fait une entorse à la règle qui veut qu’aucune femme ne puisse dormir à l’intérieur du Vatican : Charlotte ne se sent en sécurité auprès du Saint-Père et refuse de partir : elle passe la nuit dans la bibliothèque du Pape et va jusqu’à dicter son testament, persuadée que l’on va tenter de l’assassiner. Son frère, le comte de Flandre, vient la chercher pour l’emmener jusque Miramare. Charlotte y est prise en charge par le docteur Jilek, un psychanalyste. C’est l’une des rares personnes en qui elle a confiance. Mais l’état de Charlotte ne s’améliore pas : elle accuse tantôt Napoléon III, tantôt ses frères, et même Maximilien, de vouloir l’empoisonner.
A Miramare, Charlotte est sous la protection de l’Autriche. Peu à peu, elle devient totalement prisonnière de sa demeure. L’impératrice avoue qu’elle se sent persécutée par son entourage. Maximilien, prévenu de l’état de santé de son épouse, souhaite venir la chercher mais la situation au Mexique ne lui permet pas : les libéraux ont formé une armée et parviennent à se saisir de l’empereur, en mai 1867. Après un procès hâtif, Maximilien est exécuté le 19 juin. Personne n’ose prévenir Charlotte, craignant que celle-ci ne s’enfonce encore davantage dans sa dépression. Sa famille réclame son retour en Belgique, sa patrie d’origine. Cependant, Charlotte a toujours la nationalité autrichienne : en effet, face à la situation désespérée de son frère, l’empereur François-Joseph avait réintégré Maximilien dans ses droits d’archiduc, espérant ainsi dissuader les libéraux de l’exécuter. Veuve, Charlotte reste toujours archiduchesse d’Autriche. Pourtant, son frère aîné, désormais Léopold II, souhaite le retour de sa sœur au sein de sa famille. Cette demande n’est pas désintéressée puisque le roi des belges entend gérer la fortune de sa sœur. C’est la reine des belges Marie-Henriette de Habsbourg, cousine de l’empereur François-Joseph, qui se rend en Autriche pour négocier le retour de Charlotte.
Au cours de l’été 1867, l’ex-impératrice du Mexique quitte Miramare, pour le château de Tervueren. Marie-Henriette avouera que sa belle-sœur était comme séquestrée lorsqu’elle l’a trouvée, et que son entourage autrichien a tout fait pour qu’elle ne puisse la ramener auprès des siens. Sa famille belge agit tout autrement puisqu’au lieu d’enfermer Charlotte, le roi Léopold II la laisse aller librement, de manière à ce qu’elle ne se sente pas retenue. La reine s’occupe d’elle avec beaucoup de patience et d’amitié. Si le roi est persuadé que le retour de Charlotte au sein de sa famille va améliorer sa santé, il se trompe : sa sœur n’ira jamais mieux. La princesse ne cessera d’affirmer qu’elle a été empoisonnée au Mexique, qu’on a voulu attenter à ses jours. Elle alterne les moments de lucidité avec les moments où elle délire. Malgré sa folie, Charlotte se remet à la musique et à la peinture.
En 1868, on avoue à Charlotte la mort de Maximilien. Elle se montre d’abord choquée par cette nouvelle puis reprend le cours de sa vie. A la fin de l’année, son état se dégrade : elle est persuadée que Maximilien est vivant et qu’il va venir la délivrer de sa famille. Autre détail troublant : Charlotte prend l’habitude de signer « Charles » ou « C. Loysel ». Le graphisme de sa signature est d’une ressemblance troublante avec celle du véritable Charles Loysel, pour qui Charlotte a probablement nourri des sentiments amoureux. Sans doute la princesse rêve-t-elle d’être un homme, afin de pouvoir décider de sa vie puisqu’à l’époque, la femme est soumise à l’époux, au père, et ici, aux frères. La correspondance que Charlotte entretient depuis toujours, notamment avec sa famille des Orléans, cesse définitivement en 1869, signe que la santé mentale de la princesse se détériore. Dans l’une de ses dernières lettres, Charlotte avoue que son mariage ne fut jamais consommé. Cette absence d’enfant a sans doute fortement contribué à plonger la princesse dans la dépression.
Les médecins, qui ont longtemps cru pouvoir soigner Charlotte, se rendent à l’évidence en 1870 : son état mental ne s’améliorera pas. En 1879, suite à un incendie à Tervueren, Charlotte est transférée au château de Bouchout, en Flandres, où elle finira sa vie. Depuis la mort de son fils en 1869 – le petit Léopold qui n’avait que 10 ans- la reine Marie-Henriette est de plus en plus tournée vers la dévotion et déléguera, au fil du temps, à ses filles le soin de s’occuper de Charlotte : ce sera d’abord la princesse Stéphanie, née en 1864, qui prendra soin de sa tante. Par la suite, sa sœur cadette, la princesse Clémentine, prendra le relais : née en 1872, Clémentine est le dernier enfant de Léopold II et de Marie-Henriette. Le couple espérait la venue d’un garçon, pour remplacer leur fils disparu. La naissance de Clémentine sera une déception et très vite, la petite princesse sera rejetée par sa mère. Charlotte prendra sous son aile sa jeune nièce délaissée. En 1912, Charlotte perd sa seconde belle-sœur, la comtesse de Flandre Marie de Hohenzollern-Sigmaringen. L’ex-impératrice du Mexique reste la seule survivante de sa génération : ses frères et leurs épouses sont tous décédés au cours de la première décennie du XXe siècle . C’est désormais son neveu, Albert Ier – fils de son défunt frère Philippe – qui règne sur la Belgique (depuis 1909).
Lorsqu’éclate la Première Guerre Mondiale, le gouvernement de Bruxelles demande aux soldats allemands de ne pas déranger la princesse, en raison de son grand âge et des malheurs que la vie ne lui a pas épargnés. Charlotte s’éteint le 19 janvier 1927, à l’âge de 86 ans.
Si l’on se penche sur la vie de la princesse Charlotte de Belgique, on se rend compte que les nombreux deuils qu’elle a vécu, la perte de la couronne de Lombardie-Vénétie et surtout la chute de l’empire mexicain, sont autant de drames qui ont fait sombrer la jeune femme dans une mélancolie, qui se transformera vite en une profonde dépression. L’échec de son couple y joue également un grand rôle : auprès de Maximilien, Charlotte pense trouver l’amour, un amour qui peut-être viendra compenser celui de sa mère, disparue beaucoup trop tôt. Au lieu de cela, elle se retrouve encore plus seule puisque son époux s’éloigne d’elle, sans avoir réussi, semble-t-il, à consommer leur union. L’absence d’un héritier sera un autre drame pour Charlotte, qui vient confirmer officieusement l’échec de son mariage. La princesse exprimera ce désire d’être mère en voulant adopter l’un de ses neveux autrichiens, puis en se montrant très proche de ses nièces. A la fin de sa vie, Charlotte avait également noué des liens très affectifs avec la fille de l’un de ses domestiques. Enfin, on peut penser que Charlotte avait en elle une prédisposition à la dépression : en effet, sa mère, Louise d’Orléans, passait pour une princesse au caractère résigné et mélancolique.
Bibliographie :
– Maximilien et Charlotte, par André Castelot
– Charlotte de Belgique : Impératrice du Mexique, par Paul Mourousy
– L’impératrice Charlotte, le soleil noir de la mélancolie, par Dominique Paoli