16. Sophie-Béatrice, fille de Louis XVI
Lorsqu’elle apprend qu’elle est enceinte, au début de l’année 1786, la reine Marie-Antoinette s’en trouve fort contrariée : après avoir donné naissance à trois enfants, dont deux fils, elle ne souhaite plus être mère à nouveau. La souveraine écrit à une amie d’enfance, la princesse Louise de Hesse-Darmstadt (1761-1829) : « Vous aurez sans doute entendu parler de ma grossesse : quoiqu’elle ait été longtemps douteuse, je crains bien à présent qu’elle ne soit tout à fait certaine ».
Contrarié par l’état d’esprit de sa sœur, l’empereur Joseph II, rapporte en avril 1786 : « En me donnant part de sa grossesse, elle me témoigne d’en être fâchée, croyant avoir assez d’enfants […] Je lui fais entrevoir les conséquences fâcheuses d’une pareille conduite si elle voulait jamais, soit par commodité ou par ménagement, se séparer du roi pour n’avoir plus d’enfants ».
Il faut dire que Marie-Antoinette, dont le premier devoir est de mettre au monde des enfants, vit très mal le fait d’être enceinte et redoute les accouchements. Elle a toujours en tête l’exemple de la première belle-fille de Louis XV, Marie-Raphaëlle d’Espagne, morte en couches en 1746 et, plus récemment, celui de la princesse Charlotte de Hessen-Darmstadt (née en 1755 et sœur de Louise, citée plus haut) qui est décédée des suites de son premier accouchement, en décembre 1785. D’autre part, si l’épouse de Louis XVI aime sincèrement ses enfants, elle ne souhaite pas imiter de nombreuses princesses, constamment enceintes. Marie-Antoinette se veut proche de ses enfants, et est persuadée qu’elle ne pourra pas jouer pleinement son rôle de mère si elle est constamment enceinte, à l’exemple de sa mère, l’impératrice Marie-Thérèse (qui a eu seize enfants) ou de sa sœur, la reine de Naples Marie-Caroline (qui accouche à dix-huit reprises). C’est une manière de penser très moderne pour le XVIIIe siècle mais qui est très éloignée de la tradition dans les familles royales, où les maternités s’enchaînent généralement.
Le 9 juillet 1786, la reine Marie-Antoinette met au monde son quatrième enfant, qui sera également le dernier. Louis XVI note dans son journal : « Dimanche 9 juillet – Couches de la reine à 7h 1/2 de ma seconde fille. Le baptême tout de suite. L’archiduc Ferdinand [frère de la reine] et Elisabeth [sœur du roi] parrains. Il n’y a eu ni compliment, ni feu d’artifice, ni Te Deum ». L’absence de festivités traduit la situation financière délicate du royaume, ainsi que le peu de cas que l’on fait alors de l’arrivée d’une fille. La princesse reçoit les prénoms de Marie Sophie Hélène Béatrice, couramment appelée Sophie-Béatrice ou la Petite Madame Sophie, pour la différencier de sa défunte grand-tante, Madame Sophie (1734-1782). Par égard pour ses tantes, Mesdames Adélaïde et Victoire, Louis XVI leur demande si le choix du prénom usuel de la princesse leur convient « dans la crainte que ce nom ne leur rappelât douloureusement une sœur qu’elles aimaient tendrement ». Les filles de Louis XV répondent « qu’ au contraire leur nièce ne leur en serait que plus chère ». Quant au prénom peu commun dans la famille royale de « Béatrice », il fait sans doute référence à l’épouse du parrain de la princesse, Marie-Béatrice d’Este.
A la naissance, l’enfant semble d’une taille plus importante que la normale, comme le note l’ambassadeur d’Autriche en France, le comte de Mercy : « La princesse nouvelle-née est d’une grosseur et d’une force extraordinaire ». Sophie-Béatrice ne grandit pas bien et semble victime d’une malformation. Certaines mauvaises langues avanceront que la reine a tenté d’avorter, sans succès, de ce quatrième enfant qu’elle ne souhaitait pas.
En juin 1787, la princesse montre des signes d’inquiétude, prise sans cesse par des convulsions. Le 15 juin, Louis XVI renonce à l’une de ses activités et note dans son journal : « La maladie de ma fille cadette m’a empêché de chasser ». Notons qu’il est alors rare qu’un souverain annule l’un de ses loisirs lorsque l’un de ses enfants – surtout au berceau – tombe malade. Le couple royal ne quitte pas le chevet de Sophie-Béatrice, soutenu par Madame Elisabeth. Malgré les soins apportés à la princesse, celle-ci décède le 19 juin, sans doute atteinte d’une tuberculose pulmonaire. Alors qu’à cette époque, les enfants morts en bas âge – surtout les filles – sont peu pleurés, Marie-Antoinette se montrera inconsolable face à la perte de son « petit ange » qui aurait été pour elle « une amie » si elle avait vécu. A la princesse de Hesse, qui lui adresse ses condoléances, la reine écrit : « J’ai été bien sensible de la part que vous avez prise à la perte que j’ai faute de ma fille cadette. Malheureusement, presque depuis sa naissance, je m’y attendais, cette enfant n’ayant jamais profité ni avancé pour son âge ».
Le corps de la Petite Madame Sophie est emmené au Grand Trianon, pour l’autopsie, le 20 juin. La princesse est inhumée à Saint-Denis, le jour même, sans faste. Au sujet de la mort de sa nièce, Madame Elisabeth écrit à son amie, la marquise de Bombelles : « La pauvre petite avait mille raisons pour mourir, et rien n’aurait pu la sauver. Je trouve que c’est une consolation. Ma nièce [Madame Royale] a été charmante : elle a montré une sensibilité extraordinaire pour son âge et qui était bien naturelle. Sa pauvre petite sœur est bienheureuse : elle a échappé à tous les périls […]. Si tu l’avais vue, tu t’y serai attachée. Pour moi, quoique je l’aie peu connue, j’ai été vraiment fâchée et je suis attendrie quand j’y pense ». Pressentant les malheurs qui allaient s’abattre sur la famille royale, la sœur de Louis XVI se console que Sophie-Béatrice ne soit plus de ce monde.
Devant le chagrin de la reine, le peintre Elisabeth-Louise Vigée-Lebrun efface Sophie-Béatrice du tableau qu’elle est en train de réaliser : la souveraine entourée de ses enfants. Le berceau, resté vide sur la toile, symbolise la disparition de la dernière fille du couple royal. Mme Campan, femme de chambre de Marie-Antoinette, notera plus tard dans ses Mémoires : « La reine avait perdu la princesse Sophie qui tétait encore. Ce premier malheur avait été, selon ce que disait la reine, le début de tous ceux qui s’étaient succédés depuis ce moment ».
Bibliographie :
– Les reines de France au temps des Bourbons : Marie-Antoinette l’insoumise, par Simone Bertière
– Les princes du malheur : le destin tragique des enfants de Louis XVI et de Marie-Antoinette, de Philippe Delorme
– Marie-Antoinette : Correspondance (1770-1793), par Evelyne Lever
– Correspondance secrète du Comte de Mercy-Argenteau avec l’Empereur Joseph II et le prince de Kaunitz, (Volume 2), par Florimond de Mercy-Argenteau