Les enfants royaux

13.Louis-Joseph, duc de Bourgogne, frère de Louis XVI

Après plusieurs fausses-couches et la naissance d’une fille en 1750, une nouvelle grossesse est confirmée pour la dauphine de France, Marie-Josèphe de Saxe, au début de l’année 1751. La couronne a impérativement besoin d’un héritier mâle, le dauphin Louis-Ferdinand étant le seul fils de Louis XV et de Marie Leszczynska.  Réveillée par les douleurs de l’enfantement dans la nuit du 12 au 13 septembre, dans ses appartements au château de Versailles, la dauphine accouche seule avec son médecin et son époux, mais sans témoin. Or, en France, les naissances des enfants royaux doivent être publiques, afin d’éviter tout soupçon de substitution. Le dauphin Louis-Ferdinand s’empresse donc de faire rentrer dans la chambre de l’accouchée tous les domestiques qu’il croise : « Mon ami, entrez vite là-dedans pour voir accoucher ma femme ». Ceux-ci constatent  la naissance d’un garçon, toujours attaché à sa mère par le cordon ombilical. Le roi et la famille royale n’arrivent que bien plus tard. La dauphine a rempli son devoir : elle est désormais la mère d’un duc de Bourgogne, promis à régner un jour. Selon l’usage, Louis XV remet à son petit-fils le cordon bleu, réservé à l’héritier du trône. Ondoyé à la naissance, le prince ne sera baptisé que le 29 novembre 1760, et recevra les prénoms de Louis-Joseph-Xavier. Le roi et la reine seront ses parrain et marraine. 

La mortalité infantile n’épargnant pas la famille royale, la santé du petit prince et son développement sont surveillés de près, comme en témoigne l’amie et lectrice de la dauphine, Marie-Maximilienne de Silvestre, dans ses lettres : « Le duc de Bourgogne se fortifie, marche bien, grandit beaucoup, et nous donne la plus belle des espérances » (mai 1754). 

Portrait supposé du duc de Bourgogne, par Jean-Marc Nattier (1752)
Portrait supposé du duc de Bourgogne, par Jean-Marc Nattier (1752)

Après la naissance du duc de Bourgogne, Marie-Josèphe de Saxe donnera encore à la dynastie des Bourbon quatre fils, mais Louis-Joseph reste le préféré de ses parents, qui le surnomment « chou d’amour ». Mlle de Silvestre relate, en 1753, une scène touchante : « Ils [ le dauphin et de la dauphine] firent chercher Monseigneur le duc de Bourgogne, le prirent entre eux, le papa et la maman le tenant chacun par une main, et le promenèrent comme cela pendant une demi-heure. Il semblait que ce aimable enfant partageât par sa gaité la joie et les acclamations du public ».  Louis-Joseph  se montre bien vite précoce pour son âge. A la cour, il fait la fierté de sa famille et tout le monde voit déjà en lui un grand monarque. Le duc de Bourgogne adore sa sœur aînée, Marie-Zéphyrine, qui décède malheureusement en 1755.  On ignore comment le petit prince vit la disparition de sa compagne de jeux, à une époque où on s’intéresse peu aux sentiments des jeunes enfants. 

En 1758, le duc de Bourgogne quitte sa gouvernante pour « passer aux hommes ». Il développe un esprit vif, une grande piété et ravit par son intelligence. Ses parents s’investissent personnellement dans son éducation : Louis-Ferdinand apprend le latin et l’italien à son fils, tandis que Marie-Josèphe lui enseigne l’histoire et s’occupe de son éducation religieuse. Pour le reste, le duc de Bourgogne a des précepteurs, qui doivent souvent faire face à un jeune prince sûr de lui et imbu de sa personne, ayant conscience de son rang, ce qui le rend parfois arrogant avec son entourage. 

Louis-Joseph de France, par Jean-Marc Nattier (1754)
Louis-Joseph de France, par Jean-Marc Nattier (1754)

En 1759, Louis-Joseph fait une mauvaise chute, d’un cheval de bois, causée par l’un de ses camarades de jeux. Pour éviter à son ami d’être  réprimandé, le petit prince ne dit rien de l’accident. Car si le duc de Bourgogne est orgueilleux, il est également reconnu pour sa grande bonté. Au fur et à mesure que le temps passe, la santé de Louis-Joseph se détériore et un abcès se développe dans sa cuisse. Le 9 avril 1760, le duc de Bourgogne est opéré car il est désormais « incommodé [par sa jambe] et peine à se soutenir ». L’enfant supporte l’acte chirurgical « avec fermeté » et impressionne ses parents. La dauphine écrit que son fils s’est montré « raisonnable et courageux » durant l’opération puis « presque aussi gai que s’il ne lui était rien arrivé ».  Mais l’état de Louis-Joseph ne s’améliore pas, comme en témoigne sa mère : « Sa plaie est d’une couleur qui inquiète et le pus d’une très mauvaise qualité ». Les chirurgiens interviennent plusieurs fois à la cuisse pour « faire sortir le mauvais pus ». C’est avec beaucoup de courage que le jeune prince supporte les opérations, durant lesquelles on creuse parfois jusqu’à l’os.

Bientôt, le duc de Bourgogne ne peut plus quitter son lit, souffrant continuellement tandis qu’on ne cesse de lui changer ses pansements. Le petit prince s’ennuie et s’inquiète même du retard qu’il prend dans ses études. Pour le distraire, on introduit à son chevet son frère puîné, le duc de Berry, né en 1754. Bien que les deux frères aient de l’affection l’un pour l’autre, Louis-Joseph traite son cadet avec fermeté, le considérant comme étant l’un « de ses sujets ». Mais si le duc de Bourgogne est dur avec son frère, personne ne songe à le lui faire remarquer, en raison des souffrances qu’il doit lui-même endurer. 

Le duc de Bourgogne (pastel de Jean-Martial Fredou, 1760)
Le duc de Bourgogne (pastel de Jean-Martial Fredou, 1760)

En novembre 1760, il apparaît clairement que le duc de Bourogne est atteint de la tuberculose osseuse et qu’il est condamné. Ses parents sont effondrés : « Monsieur le dauphin et Madame la dauphine sont dans un accablement de douleur qu’on ne peut se représenter ». Pourtant le jeune prince, qui n’a pas encore 10 ans, se comporte en homme et semble résigné. Le duc de Berry finit par être retiré à son frère aîné par l’une de ses tantes, Madame Adélaïde, d’autant que l’enfant est, lui-aussi, tombé malade. Le petit Berry restera traumatisé de la vision de Louis-Joseph agonisant, dont il était devenu le souffre-douleur.

Le duc de Bourgogne aurait dit, au cours de ses derniers jours, se conformer à la volonté de Dieu : « Je renonce à la vie sans regret. Mon royaume n’est pas de ce monde ».  Mais parfois, le courage manque au petit garçon de 9 ans. Avant de mourir, le 22 mars 1761, Louis-Joseph appelle encore sa mère : « Maman, maman ». Ce dernier cri s’adresse bien à la dauphine, et non à une nourrice qui se serait occupée du jeune prince. Car Marie-Josèphe s’est grandement impliquée dans la vie de son fils aîné et lui a donné beaucoup d’affection. Lorsqu’un messager apporte au dauphin et à son épouse la nouvelle de la mort du duc de Bourgogne, il leur précise également que le duc de Berry se remet de sa maladie. Dans l’esprit des parents des deux princes, la mort « s’est trompée de victime » en leur enlevant le fils adoré. Le corps de Louis-Joseph est conduit aux Tuileries pour l’autopsie, avant d’être inhumé à Saint-Denis, le 1er mai. 

Marie-Josèphe de Saxe et le duc de Bourgogne, par Maurice-Quentin de La Tour (1761)
Marie-Josèphe de Saxe et le duc de Bourgogne, par Maurice-Quentin de La Tour (1761)

Le duc de Berry  est désormais l’héritier présomptif et est installé dans les appartements du défunt. Ce prince développera un complexe d’infériorité face à l’image de son frère aîné si admiré, d’autant que ses parents lui font ressentir qu’il « fait piètre figure » en comparaison avec le défunt Louis-Joseph. Par la suite, le dauphin avoue qu’une visite au duc de Berry, dans les anciennes appartements du duc de Bourogne, « a rouvert ma plaie avec une vivacité que je ne puis dire. […] Ces lieux  nous rappellent ce que nous avons perdu ». Marie-Josèphe de Saxe ne se remettra jamais de la disparition du duc de Bourgogne, écrivant : « J’ai perdu ce que j’avais de plus cher et je ne puis rien pour ce qui me reste ». A cette époque, il reste pourtant à la dauphine trois fils et une fille, mais elle ne semblait vivre que pour son « chou d’amour ». La princesse se tournera encore davantage vers la religion, pour mieux accepter la mort de Louis-Joseph : « La plaie de mon cœur saignera encore longtemps, heureuse si je puis profiter de ma douleur pour faire à tous moments un nouveau sacrifice à Dieu d’un enfant si tendrement aimé ».

Le fantôme de ce frère défunt poursuivra le duc de Berry, futur Louis XVI, qui doutera toujours de sa légitimité à régner : à la différence de Louis XVI, qui n’a jamais voulu monter sur le trône, Louis-Joseph avait été éduqué pour « le métier de roi » et montrait un certain goût pour le pouvoir et l’autorité. Lorsque son premier fils naîtra en 1781, Louis XVI lui donnera les prénoms du duc de Bourgogne, trop tôt disparu.

Bibliographie : 

– Maurice Comte de Saxe et Marie-Josèphe de Saxe, Dauphine de France :  Lettres et documents inédits des Archives de Dresde (édition de 1867)
– Les reines de France au temps des Bourbons : la reine et la favorite, par Simone Bertière
Marie-Josèphe de Saxe, l’émouvante et dévouée mère de Louis XVI, par Monique de Huertas
Louis XVI, par Evelyne Lever