Les enfants royaux

04. Marie-Anne, fille de Louis XIV

Depuis le 4 novembre 1664, Marie-Thérèse d’Autriche, enceinte de huit mois, est fiévreuse et victime d’affreuses douleurs aux jambes et dans le dos. Les médecin pratiquent des saignées et donnent de l’émétique à la reine pour la soulager, ce qui provoque un accouchement prématuré, comme le craignait le duc d’Enghien : « On aurait cru autrefois assassiner une femme grosse que de la saigner […] la médecine change de mode en France comme les habits ».  Dans de grandes souffrances, Marie-Thérèse met au monde une fille le 16 novembre, et semble si faible qu’on craint qu’elle ne survive pas à son accouchement.  Tandis que le roi se désole au chevet de son épouse, la reine mère, Anne d’Autriche, laisse entendre à sa belle-fille qu’elle doit se résigner au pire. Marie-Thérèse accepte de communier mais dit ne pas vouloir mourir.

Contre toute attente, la reine se remettra lentement de son accouchement mais l’état du nouveau-né est plus préoccupant : à sa naissance, la petite princesse est si chétive que beaucoup pensent qu’elle sera vite emportée par la mort. Le duc d’Enghien note : « L’enfant donne toutes les marques de vivre qu’elle peut donner, elle tète fort bien, elle a beaucoup de force […] mais étant née dans un mois aussi méchant que le huit, on n’oserait espérer qu’elle vive ». La petite princesse est si faible qu’elle est baptisée le jour même de sa naissance et reçoit le prénom de Marie-Anne.  Les médecins notent à son sujet qu’elle est née « noire comme de l’encre de la tête aux pieds » et des témoins, qui ont assisté à l’accouchement, évoquent la couleur foncée de son visage. La Grande Mademoiselle avance dans ses Mémoires que  Marie-Thérèse a pu regarder trop longtemps « un petit Maure que M. le duc de Beaufort avait amené, qui était fort joli et qui était toujours avec la reine » durant sa grossesse et que cela a joué sur la couleur de peau de l’enfant qu’elle portait. En réalité, l’accouchement  n’a pas été seulement éprouvant pour la reine et il semble que le nouveau-né ait eu des difficultés à respirer après la délivrance. Sa peau violacée (et non « noire comme de l’encre ») serait donc la conséquence d’un manque d’oxygène. La princesse Palatine notera plus tard à son sujet : « Il est faux que la Reine a mis au monde une négresse. Feu Monsieur [son époux, le duc d’Orléans] qui avait été présent, disait que la princesse était laide mais point noire ». 

Anne-Elisabeth et Marie-Anne de France (détail du tableau de Jean Nocret, 1670)
Anne-Elisabeth et Marie-Anne de France (détail du tableau de Jean Nocret, 1670)

Marie-Anne meurt au Louvre le 26 décembre 1664.  Outre la consanguinité, sa naissance prématurée et difficile ne lui donnait pas de grande chance de survie. Cependant, Pascale Mormiche évoque également trois changements de nourrices pour la petite princesse sur un mois de temps, ce qui a pu précipiter son décès.  Marie-Anne est inhumée le 30 décembre dans le crypte de Saint-Denis, tandis que son cœur rejoint celui de sœur aînée au Val-de-Grâce . La petite princesse est représentée à titre posthume sur le tableau de la famille royale, peint par Jean Nocret, aux côtés d’Anne-Elisabeth.

En 1695, une femme prénommée Louise-Marie-Thérèse, à la peau noire, prend le voile au couvent de Moret. Selon le duc de Saint-Simon, cette religieuse se pensait de sang royal : « On prétendait qu’elle était une fille du roi et de la reine, que sa couleur de peau avait fait cacher et disparaître, et publier que la reine avait fait une fausse-couche, et beaucoup de gens à la cour en étaient persuadés ».  C’est moins de sa couleur de peau que la protection royale dont bénéficie cette femme qui étonne. Celle que l’on surnomme la « Mauresse de Moret », aurait dit un jour, alors que le Monseigneur le dauphin se trouve non loin du couvent : « Voilà mon frère qui chasse ». Au XVIIIe siècle, le duc de Luynes rapporte : « On a parlé longtemps d’une religieuse mauresque qui était dans le couvent de Moret, près de Fontainebleau, et qui s’était imaginé être Fille de France. On lui avait persuadé que la reine Marie-Thérèse était accouchée d’elle et que la singulière couleur de sa peau avait déterminé de la mettre dans un couvent […] Mme la princesse de Conti a dit qu’effectivement la reine Marie-Thérèse était accouchée d’une fille dont le visage était tout à fait violet, et même noir, parce qu’elle avait apparemment beaucoup souffert en venant au monde mais cette fille mourut peu après ».  Il est généralement admis que la religieuse à la peau noire était la fille d’un couples de « Maures » travaillant à Ménagerie du roi, qui a été parrainée par Louis XIV et Mme de Maintenon. 

Bibliographie :

Marie-Thérèse d’Autriche : épouse de Louis XIV, par Joëlle Chevé
– Madame Louis XIV, par Bruno Cortequisse
– Donner vie au royaume : grossesses et maternités à la cour (XVIIe – XVIIIe siècle), par Pascale Mormiche